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L’esprit nomade: « Carnets de steppes » de Sylvain tesson & Priscilla Telmon

Carnets de steppes

 

Sylvain Tesson & Priscilla Telmon

 

Pocket 2017 nouvelle édition

 

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Un très bel objet que ce livre de poche. Il s’agit en même temps d’un récit de voyage, cher à Sylvain Tesson, et d’un livre de photographies. Les illustration sont placés en regard des textes qui les concernent ou qu’elles éclairent. Mais le livre peut aussi être feuilleté uniquement pour la contemplation photographique.

 

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C’est un livre sorti en 2002, donc une aventure assez ancienne. Le projet : parcourir à cheval, à deux, les routes de la soie de l’Asie Centrale (et même un peu plus). Le récit est linéaire et suit la progression des voyageurs du Tian Shan à la mer d’Aral. Ce n’est pas un livre structuré dans la continuité.  Les auteurs abordent des thèmes au grès de ce qu’ils voient ou vivent. On y lit donc aussi bien la description d’une ville comme Samarkand que des considérations sur la vie en yourte ou une philosophie de la déambulation équestro-pédestre. Le grand talent de Tesson est de ne jamais donner l’impression de difficulté, même quand on la devine au détour d’une phrase ou d’un dialogue. Il est aisé de comprendre que ce périple de six mois et plusieurs milliers de kilomètres dans les pays de l’Asie Centrale n’a pas été toujours une partie de plaisir. Mais ce n’est pas ce que les auteurs veulent partager avec leurs lecteurs. C’est d’émerveillement qu’il s’agit. Presque d’éveil au sens bouddhiste du terme. Or les raisons de s’émerveiller sont autant dans les grandes choses attendues (les villes mythiques, les fleuves réputés ou la mer d’Aral) que dans l’attention aux faits infimes, tels l’accueil chez les nomades ou la communion entre l’homme et sa monture. Les photographies font d’ailleurs la part belle aux portraits de ces inconnus rencontrés, qui ont souvent ouvert leurs demeures et exercé un des devoirs sacrés de l’humanité qui est en train de sombrer dans le maelström de l’individualisme mondialiste capitaliste : l’hospitalité. Il faut parfois payer cela au prix d’un effort, comme quand il s’agit d’ingurgiter le kumiss, le fameux lait de jument fermenté. Mais le devoir d’hospitalité va avec le devoir de partager la culture de l’hôte.

On sort de ce beau livre avec un sentiment contrasté. D’un côté, le lecteur est heureux et ému par tout ce qu’il a pu partager (car la lecture est vie). De l’autre, il sait, car les auteurs ne s’en sont pas caché, que ce monde de nomade disparaît sous leurs yeux, écrasé par le mirage du confort, de la consommation, traqué par les frontières et els polices, ruiné par son inadaptation à l’économie de la performance. Seuls survivent ceux qui osent habiter dans les univers qui nous semblent particulièrement inhospitaliers et loin de tout.

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Plus je lis les livres de Tesson et plus j’aime ce qu’il fait et la façon de le vivre. Sans doute notre formation commune de géographes (pas dans une optique académique mais humaniste, version Elisée Reclus) y est-elle pour quelque chose. La géographie est la lecture et l’écriture du monde ; on n’y vient pas comme on va au droit ou à la gestion, ou alors on y meurt à l’esprit. Ici Sylvain Tesson a parfaitement su nous faire vibrer à l’esprit des steppes et des nomades qui les parcourent. Ce n’est pas si courant pour ne pas être souligné. Puissent les nomades vivre encore longtemps dans ces marges du monde !

 

Jean-Michel Dauriac

Published in les critiques les livres: essais

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