Soumission… mais à qui ?
Je viens d’achever la lecture du dernier roman de Michel Houellebecq, « Soumission », que j’ai enchaînée avec celle de « La carte et le territoire », acheté en son temps de sortie, puis mis de côté, en attendant que… Cette lecture me suggère immédiatement une réflexion générale externe au livre lui-même.
Le personnel médiatique français – je parle ici de »la volaille qui fait l’opinion », comme le chantait Souchon il y a trente ans, c’est-à-dire les journalistes et critiques parisiens de télévision, radio et presse nationale magazine, hebdomadaire ou quotidienne- serait-il recruté avec des critères d’illettrisme très fort et drastiques (au sens premier de ce mot) ou serait-il de mauvaise foi ? Autrement dit, avons-nous affaire à des crétins ou à des manipulateurs ? Je renvoie le lecteur de cette note critique au tapage du tam-tam médiatique avant la sortie du livre. Houellebecq avait encore frappé. Après la petite phrase sur « l’islam, religion la plus con du monde », tirée d’un roman de 400 pages, « Plateforme », on nous a refait le coup du roman scandaleux et raciste. Autant le dire de suite : les lecteurs habituels de Houellebecq n’en ont pas été inquiété du tout, et cette polémique à sens unique lui aura sans nul doute amené des lecteurs nouveaux. Car le livre dont il est ici question n’est ni raciste, ni scandaleux.
Sous le titre du roman, en couverture, il est écrit « roman ». Ce que de nombreux journalistes et critiques semblent ne pas avoir vu. Le roman est un genre littéraire qui narre une fiction, avec des personnages qui n’existent pas, même s’ils sont souvent inspirés voire repris du réel. Flaubert, Zola, Balzac, Hugo, Gide, Aragon, Mauriac, Duras, Simon, Green…pour n’en citer que quelques-uns au hasard ont écrit des romans dans lesquels l’histoire apparaît plus ou moins présente. « Soumission » est un roman ancré dans un futur proche (2022) et inscrit dans le temps court de l’histoire de notre pays. Tous les romans de Houellebecq ont des chroniques d’aujourd’hui, abordant chacun à leur tour des thèmes forts de notre époque. C’est pour cela, entre autre, qu’il est un grand romancier. Il est, sans aucun doute, le romancier actuel français qui nous dit le plus de choses sur notre société. Et il le dit fort bien, car c’est un bon écrivain. Et il le dit de manière incisive, pleine d’ironie, ce qui visiblement, échappe à beaucoup de ses contempteurs. Chaque roman de Houellebecq met en scène un ou deux « héros » qui lui ressemble souvent par leur approche analytique du monde. Tous les romanciers ont fait et feront cela. Ce qui ne signifie nullement que Houellebecq est la somme de ses personnages et qu’il agit et pense en tout comme eux. Le personnage houellebecquien est dépressif, asocial, désabusé, obsédé sexuel ou presque, et intelligent, très intelligent. Il est plutôt anarchiste, en ce sens qu’il ne croit ni aux institutions ni à un ordre du monde politique. Mais plutôt anarchiste de droite. Quand on a dit cela, on a tout dit et rien dit : il faut découvrir chaque livre et son contexte.
« Soumission » comprend exactement 300 pages. Le personnage principal est un universitaire de Paris-Censier, spécialiste du XIXème siècle et surtout de Huysmans, écrivain aujourd’hui tombé dans l’oubli, comme Boy ou Malot, qui a gagné une célébrité limité au microcosme universitaire en ce domaine. Le roman est d‘abord et presque exclusivement une tranche de vie courte de cet homme. Car le sujet du roman est autant le monde de l’université que l’islam politique en France ; ce que nos journalistes n’ont pas voulu ou su voir. Il faut atteindre la page 170, soit avoir dépassé la moitié du livre pour que rentre en scène le scénario politique que Houellebecq a concocté, à savoir la victoire d’un candidat islamiste modéré, Mohamed Ben Abbes, soutenu par l’UMP, le PS et l’UDI pour faire barrage au Front National et à sa candidate, qui n’est jamais nommée. Et survient le changement : la France devient une république islamiste constitutionnelle. Houllebecq est assez malin pour ne pas s’embourber dans la description de ce futur. Il le cadre uniquement sur l’Université et le monde de l’éducation et ses conséquences. Le reste est fait d’allusion qui ressemblent à des dépêches AFP. IL décrit par contre de manière assez fouillée le cheminement intérieur de son héros, qui le mène d’une retraite anticipée à taux plein (accordée généreusement par l’Etat à un fonctionnaire de 44 ans, pour éviter les vagues !) à une conversion purement formelle à l’islam, qui se produit dans le dernier très court chapitre. Conversion qui lui ouvre à nouveau la carrière universitaire, mais avec un salaire triplé et la polygamie en prime. Et le livre s’arrête là !
Je crois qu’il faudrait aussi que les contempteurs s’interrogent sur le titre qui me paraît, évidemment, être à double entrée. Ils n’ont vu, par un réflexe pavlovien de bien-pensance, que le sen du mot islam ainsi traduit en Français. Mais j’y vois aussi et surtout deux autres sens : la soumission très rapide du peuple français au nouveau régime issu des urnes, dans la fin du roman (pas de révoltes, de barricades…) ; et la soumission de notre professeur au carcan du monde étroit de l’université française. Le premier de ces sens nous renvoie à la collaboration pétainiste et interpelle notre conscience ; le second sens est une composante du portrait du personnage principal, mais nous interroge aussi. Un anarchiste est quelqu’un qui refuse la soumission. D’où ce qualificatif pour désigner Houellebecq qui la fustige ici sous diverses formes.
Ce livre n’est donc en rien une charge islamophobe. C’est d’abord l’itinéraire d’un homme seul qui arrive au tournant de la maturité, qui s’emmerde somptueusement, n’a pas d’amis et pratique une sexualité glaciale que Houellebecq a toujours su dépeindre parfaitement bien. La toile de fond peint effectivement la déliquescence de notre société et l’impuissance des partis au pouvoir ou classiques à rétablir ordre et sens. Que le scénario choisi gratte où ça fait mal pour les élites socialistes, complètement coupées du peuple, c’est une évidence. Que leurs porte-voix médiatiques enclenchent encore une fois le procès en sorcellerie de l’auteur est une autre chose, qui, finalement, confirme bien la dite-déliquescence de notre système républicain, de nos dirigeants et supplétifs. Que ce livre ait le malheur de sortir au moment où trois fanatiques, Français, massacrent des journalistes-dessinateurs impertinents et des Juifs, n’enlève rien à sa valeur propre, mais révèle, par le climat de propagande bien-pensante et vide de toute pensée, le poids du politiquement correct dans notre pays.
Il faut donc lire « Soumission » hors de toute influence médiatique. Il se révèle alors un roman houellebecquien classique et plutôt soft. Le style reste impeccable, la documentation de première qualité (ici le monde universitaire) et l’ironie omniprésente. Que nul n’entre ici s’il n’est capable d’autodérision !
Jean-Michel Dauriac