Dans une collection intitulées « Années 60 », les Editions Marivole (De Pruniers-en-Sologne, 41) publient des romans se situant dans cette décennie du XXème siècle, devenue un peu mythique. C’est une bonne idée, mais qui sent bien l’opportunisme de profiter d’une « effet vintage » et d’un public vieillissant nombreux.
« L’homme au tracteur » débute dans les années 1950 et se termine vers la fin des années 1960. Période très exotique pour les lecteurs nés dans les années 1980-90, voire 2000, mais retour mémoriel un brin nostalgique pour les gens de mon âge. L’idée de départ est excellente : comme le titre le laisse entendre, le sujet est l’évolution agricole française. Ce type de sujet est bien documenté pour le XIXème siècle, mais peu ou pas pour le dernier siècle. Il y avait donc là une lacune à combler, d’autant plus que le sujet devient très sensible aujourd’hui, avec la prise de conscience écologique et sanitaire. Le second élément très judicieux du bon choix est d’avoir situé l’action en Bretagne, région de l’auteur lui-même. C’est bien en ces lieux que la rupture fut la plus rapide et la plus violente, faisant passer en quinze ans les paysans de l’autosubsistance au productivisme marchand. La période retenue par l’auteur est bien celle qui est décisive, après ces dates le processus ne fait que se poursuivre.
L’idée de suivre un agriculteur en particulier est aussi bonne, car elle peut permettre à l’auteur de fouiller le personnage et faciliter l’identification du lecteur. Yves Le Borgne a donc tout pour devenir un personnage intéressant. Nous suivrons au cours de la lecture la formation de sa famille, la modernisation de son exploitation, l’entrée dans la société monétaire et l’irruption de la consommation dans le hameau de Kerminig. De ce point de vue-là, nous apprenons beaucoup de choses car l’auteur sait de quoi il parle, et il s’est également bien documenté sur les divers aspects de la vie agricole de ce temps. Alors pourquoi parler de « roman raté » dans le titre de ma chronique ?
Le ratage est au moins double.
Le premier défaut, et le plus sensible à la lecture, est une absence de chronologie. Celle-ci est totalement incohérente, l’auteur nous ramenant sans ménagement en arrière de dix ans voire plus, et ceci sans aucun jusificatif littéraire. Il ne s’agit nullement d’un projet narratif, mais tout simplement d’une incapacité à structurer le récit. Or, dans ce type de roman populaire, adressé à un large public, il ne s’agit pas de mettre en œuvre des innovations littéraires type « Nouveau Roman ». Il faut juste raconter une histoire qui se tienne et qui tienne le lecteur. Et ce pari n’est pas tenu : au bout d’une certain temps, j’ai décroché de la chronologie, malgré des retours en arrière pour vérifier que ce n’était pas moi qui errait. Ce défaut est grave, il s’agit en fait d’un manque de rigueur dans la construction du déroulé du roman. Gageons que l’auteur s’améliorera s’il persévère dans cette voie.
Le second défaut est relatif et subjectif, mais gien réel et très gênant, à l’usage, pour le lecteur. C’est l’absence de tout style personnel et une écriture qui donne une impression de relâchement perpétuel. Je dois dire que ce défaut-là m’a beaucoup plus gêné que le premier. J’aurais pardonné la maladresse de construction si j’avais pu me raccrocher à une belle écriture. Ce n’est pas le cas du tout. Aucune recherche stylistique, un vocabulaire commun, uen intrigue racontée platement. De tout cela finit par sourdre l’ennui, qui est la pire des choses pour un lecteur. Je dois dire que j’ai fait un gros effort pour aller au bout du livre, qui dépasse les 300 pages.
Evidemment, si l’on croise les deux défauts, le ratage est évident. Peut-être suis-je sévère, mais j’attendais de ce livre beaucoup car le sujet me passionne et je le connais bien. Si je n’ai pas du tout été déçu par le contenu, les défauts formels m’ont très vite lassé. L’impression finale est bien celle d’un ratage, d’autant plus remarquable que le sujet était bon, beau et prometteur.
Cela confirme ce qui devrait être une évidence : on ne s’improvise pas écrivain, et il ne suffit pas qu’un livre soit publié pour qu’il fasse sens et existe vraiment en tant que tel. Je ne puis que répéter ce que je dis depuis fort longtemps : les éditeurs publient trop et pas ce qu’il faudrait. Je ferais bien sûr preuve d’indulgence pour cet éditeur régional, qui ne doit pas recevoir des manuscrits en quantité et, surtout, pas de grands auteurs.
Mais publier ce livre en l’état, n’est-ce pas manquer de respect à son auteur et aux lecteurs ?
L’homme au tracteur – Michel Priziac – Editions Marivole – 316 pages – 20 €
Jean-Michel Dauriac
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