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Catégorie : les critiques

rassemble tous les écrits critiques

Une vie d’homme dans l’enfer chinois du XXème siècle – Sur L’Evangile selon Yong Sheng – Dai Sijie

Folio Gallimard – 2020 – 486 pages.

Un « vrai » roman ! C’est la première exclamation qui sort de ma bouche après avoir tourné la dernière page de ce livre. Si la vocation première et la grandeur d’un roman est de raconter une histoire, ce livre remplit parfaitement sa mission. Nous sommes happés par la force narrative de l’auteur et les péripéties de son récit. Et pourtant, le schéma est assez, pour ne pas dire, très classique : il s’agit de suivre une vie d’homme, en Chine, dans années 1930 à la fin du XXème siècle. Le narrateur ne cherche pas à faire éclater la structure temporelle – ce qui est perçu par certains auteurs et lecteurs comme le gage d’une modernité désirable, mais si la cohérence globale en sort en miettes -, il suit le temps humain, ici inscrit dans l’histoire contemporaine de la Chine, au moins décrite dans quatre de ces grands épisodes. L’enfance du héros se passe lors de la décennie 1930, début de la guerre civile entre communistes et nationalistes, sa jeunesse évolue également dans le contexte de la Longue Marche et des reflux des nationalistes. Sa vie d’adulte est décrite end eux temps, sous le régime communiste débutant, puis sous l’épisode de la Révolution culturelle. La fin de l’histoire, et de la vie de Yong Sheng, se déroule à fin du siècle, dans le « socialisme de marché » mis en place en 1978 par Deng Xiaoping.

Le lecteur un peu féru d’histoire y suivra donc les moments politiques de la Chine contemporaine, vus par les yeux d’un homme du peuple. Il faut bien avouer que c’est assez effroyable et parfaitement vraisemblable selon les témoignages et sources historiques sur la période maoïste. Les longs développements où l’auteur décrit la vie de Yong Sheng sous la férule communiste donnent des frissons dans le dos ; on peut ainsi approcher ce que furent les tortures et humiliations imposées au nom d’un code idéologique totalement arbitraire. Le summum de l’absurde étant atteint sous la Révolution Culturelle. Je me demande comment tant de jeunes occidentaux, garçons et filles, ont pu adhérer à cette pensée misérable, réduite et mortifère qu’on appela le maoïsme (je renvoie le lecteur au lire d’Olivier  Rolin, Tigre en papier, qui évoque ce temps à travers les jeunes français des années 1966-78), que l’on voit ici in situ, dans toute son abjection et avec toute la lâcheté humaine qu’elle a entraînée. Le romancier réussit parfaitement à partager avec nous ce sentiment de l’absurde et son inéluctabilité. L’homme n’est plus qu’un fétu de paille emporté par le vent mauvais de l’histoire.

Mais l’essentiel de ce roman est ailleurs, inscrit en filigrane tout au long du récit et justifiant le titre de l’ouvrage. Dai Sijie s’est inspiré de la vie de son grand-père pour créer ce personnage. La vie de Yong Sheng commence un peu comme une sorte de conte : son père fabrique des sifflets pour colombe, un artisanat révéré en Chine, et lui-même apprend ce métier. Mais le fait capital de son enfance est la rencontre avec les missionnaires américains du village voisin, qui vont le prendre en charge pour lui donner une instruction de base. Il s’agit d’une famille de missionnaires baptistes, le pasteur GU, son épouse et sa fille Mary. L’enfant découvre les charmes de la religion chrétienne en même temps que l’éveil érotique, en contemplant en cachette Mary dans sa prière. Puis il est arraché à ce milieu et vit sa vie de chinois du moment. Je passe sur les péripéties qui vont l’amener à demander plus tard le baptême et à vouloir de venir pasteur lui-même. Ce qui m’amènera à suivre les cours d’une faculté protestante de théologie. Il sera ensuite pendant quinze années un pasteur très actif et apprécié de ses paroissiens et même au-delà. Puis survient la Révolution et là commencent, évidemment ses ennuis et son calvaire : on pourrait dire qu’il vit, au sens évangélique, une très longue Passion de cinquante ans. Comment va survivre cet ennemi du peuple, transformé en manœuvre dans un pressoir à huile, privé de tous ses droits civique set humains, dépouillé de ses plus petits biens et soumis, lors de la Révolution Culturelle à l’obligation de l’humiliation et de la confession publique ? Sans nul doute par sa foi, muette, mais bien réelle, et aussi par cette étrange résistance passive que les Chinois doivent au Confucianisme. Mais un évènement horrible, va lui faire perdre la foi. Il ne la retrouvera qu’au moment de mourir où il pourra à nouveau prier, juste avant d’être exécuté pour trafic de drogue, crime qu’il a endossé à la place de son petit-fils, pour lui sauver la vie. Il y là, bien sûr une image de la rédemption par le sacrifice, une imitation de Jésus-Christ, que l’auteur fait voir sans aucun commentaire, ce qui fait que beaucoup de lecteurs ignares religieusement ne verront pas cet acte rédempteur, pas plus que n’ils ne l’ont vu dans la mort de Clint Eastwood à la fin de son film Gran Torino.

Voilà . Je ne vous en dévoile pas plus, car il faut aller se plonger dans cet univers foisonnant et pourtant d’une extrême banalité, voire d’une grande pauvreté matérielle. Il est impossible de rester indifférent au destin de Yong Sheng qui, à vue humaine, est un échec complet. Je fais, évidemment, une lecture tout à fait autre, évangélique, biblique et théologique de cette vie ; A vous de la découvrir et de vous faire votre propre idée personnelle. Un grand livre.

J.M. Dauriac ; juin 2021.

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Belle approche des Psaumes Sur Réflexions sur les Psaumes

C.S. Lewis

Editions Empreintes temps présent 2020

Tout le monde ou presque connaît le livre des Psaumes, au moins par le célébrissime Psaume 23, souvent lu lors des cérémonies de funérailles. (« L’Eternel est mon berger, je ne manquerai de rien… »). Toutes les Eglises chrétiennes en usent abondamment, notamment dans les diverses liturgies et homélies. On les assimile souvent à l’œuvre littéraire du roi hébreu David, car beaucoup lui sont attribués. C’est en réalité une oeuvre collective, écrite par des prêtres le plus souvent, pour des cérémonies au Tabernacle ou au Temple. Il y a 150 Psaumes, c’est le livre le plus volumineux de la Bibliathèque nommée Bible. C’est aussi le plus original, tant il s’agit d’un genre poétique particulier : le Psaume est une prière ou une proclamation à Dieu ou devant Dieu. Mais la lecture complète et attentive de ces Psaumes n’est pas sans surprendre, voir horrifier le lecteur. Dans aucun autre livre de la Bible le vocabulaire n’est aussi agressif contre les ennemis de Dieu. Ils contiennent des appels à la mise à mort, à la destruction, à la ruine… demandés à Dieu par les auteurs. On se trouve aux antipodes du message d’amour des Evangiles. Les Psaumes sont souvent évoqués par les adversaires de Dieu pour montrer la cruauté de la religion et des croyants ; et il est vrai que certains passages ne sont pas inférieurs à ceux du Coran traitant des Infidèles. Alors ? Intolérance contre intolérance ? Haine contre haine ?

C’est à ces questions délicates que répond l’ouvrage de Lewis. Car il a été également choqué par ces formules et n’a pas mis le cadavre dans le placard. Son essai n’est pas œuvre de dogmaticien ou de théologien, et c’est tant mieux, car il est beaucoup plus agréable à lire que les productions de ces spécialistes. C’est l’écrit d’un lecteur assidu doublé d’un écrivain (et accessoirement d’un linguiste). En onze chapitres assez courts, il aborde des thèmes qui traversent tout le recueil. Et il commence par ces questions de diatribes violentes, qui donnent la matière des trois premiers chapitres : Le « jugement dans les psaumes, Les malédiction, La mort dans les psaumes. S’il n’épuise évidemment pas ces sujets, il donne cependant assez d’exemples pour bien situer le débat. Il ramène ainsi dans le contexte historiques ces textes (ils seraient pour ceux de David, du XIème siècle avant JC), ce qui rend tout à fait compréhensible le vocabulaire et les conflits évoqués. Les Psaumes sont en continuité avec le « Dieu jaloux » du Pentateuque, ils correspondent à une époque où le petit peuple monothéiste hébreux devait guerroyer contre tous les autres peuples de Palestine polythéistes ou païens et, en même temps, lutter contre lui-même et la tentation, si souvent montrée dans la Bible, de revenir aux idoles et à leurs rites. C’est une guerre sans merci entre ces deux mondes. Et il faut bien se garder de juger de ces contenus avec notre mentalité de Bisounours du XXIème siècle – Bisounours qui commettent chaque jour des féminicides, des parricides, des infanticides, usent d’armes chimiques, du viol en masse, etc . Lewis reconnaît bien que cette approche de Dieu choque le croyante n Christ, car la révélation par Jésus a établi une autre alliance, ce qui confirme le fait que la révélation n’est pas donnée une fois pour toute, mais est un phénomène continue, du Sinaï au Golgotha. On ne peut reprocher aux hommes qui vivaient il y a trois mille ans de ne pas avoir connaissance de ce qui s’est passé mille ans après eux. Mais il est tout aussi évident qu’il est impossible aujourd’hui de reprendre les termes des Psaumes pour parler des non-croyants et tout aussi impossible de demander le feu de Dieu sur eux après le « Aimez vos ennemis » de Jésus.

Les chapitres suivants de ce livre sont beaucoup plus « légers ». Ils célèbrent ainsi la « beauté du Seigneur » (chapitre 4), sa douceur (5) ou la nature (7). L’auteur s’interroge aussi sur le sens second des Psaumes (11), qui est, pour nous, très important, ou sur la place des Ecritures (10), sans oublier bien sûr ce qui saute aux yeux du lecteur, la louange ((8). Ce livre ne prétend nullement être exhaustif, il est au contraire très lacunaire, et ceci volontairement. Il faut le voir comme pouvant jouer un double rôle : celui d’une introduction, pour le lecteur découvrant les Psaumes, car il oblige celui qui veut l’aborder sérieusement à parcourir l’ensemble du livre pour chercher les références citées ou évoquées ; mais il est aussi une synthèse utile après lecture du livre entier, car il remémore bien des thèmes. Il incombe à chacun de choisir comment en user.

Voici l’exemple parfait d’un ouvrage qui trouvera sa place dans toutes les bibliothèques, qui est à la fois une réflexion sur les psaumes et un témoignage personnel de l’auteur. Ajoutons que sa lecture est très facile car il est écrit dans une langue fluide, selon moi bien rendue par la traduction. Enfin, il n’est pas dénué de pointes d’humour et d’autodérision.

Jean-Michel Dauriac – 28 mai 2021

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Un souci populaire d’un belle langue française

Dans la série « Dans la bibliothèque de mon père »

Petit dictionnaire des locutions françaises (1953)

Pour écrire correctement (1955)

Parlez français (1954)

Collection « Le français facile pour tous »

Maurice Rat 

Paris, Editions Garnier frères.

Je suis tombé sur ces trois petits livres du même auteur (ils font entre 110 et 200 pages, en petit format), toujours en faisant tri et rangement dans l’héritage livresque de mon père. Les titres m’ont d’abord amusé, puis je me suis dit que c’était une face de la personnalité paternelle que je ne connaissais pas : celle de l’homme qui voulait se perfectionner seul dans le domaine de l’expression orale et écrite, domaine dans lequel il n’avait d’ailleurs aucun problème. Ces livres sont exactement contemporains de ma naissance, il était donc un homme jeune quand il les a achetés (il y a encore le prix sur deux des couvertures : 192 francs pour le plus épais et 144 pour l’autre). Mais en y réfléchissant, je me rends compte que cela rejoint sa curiosité sans cesse en éveil, qu’il m’a sans nul doute transmise. Il ne ratait pas « une occasion de s’instruire », comme le disait le père Pagnol à ses enfants[1]. Au-delà de cette surprise, j’ai mis le nez dans ces ouvrages et j’ai finir par les lire entièrement tous les trois. Je ne regrette nullement cette lecture et le temps que j’y ai consacré. On pourrait dire d’un professeur, qui fut d’abord instituteur, puis plus tard chercheur et doctorant dans deux matières n’a vraiment pas besoin de cela. Ce serait, de mon point de vue, faire preuve d’une grande suffisance. Ce qui a été démontré par ces lectures : j’ai appris ou ravivé énormément de faits grammaticaux et linguistiques, et je ne pourrais que conseiller ces lectures à tous mes collègues professeurs et doctorants.

Je ne sais pas pour vous, mais moi, j’ai toujours été intéressé par les expressions françaises, populaire, anciennes ou recherchées, latines ou françaises. J’ai beaucoup aimé le livre de Claude Duneton[2] (encore un prof qui a mal tourné !), qui fut un succès de librairie en son temps et que je consulte encore. Depuis sont apparus nombre d’ouvrages reprenant le même schème, notamment aux éditions du Robert[3], mais le livre de Duneton reste supérieur par le talent d’écrivain de l’auteur. Maurice Rat, l’auteur des trois petits livres « dont au sujet desquels je cause » (clin d’œil à Frédéric Dard, maître de la langue), était Normalien, professeur agrégé et enseignait dans le très chic lycée parisien Jeanson de Sailly. Mais il avait visiblement le souci de la vulgarisation et d’apporter au peuple de base les outils d’une bonne pratique de leur langue maternelle. Le Petit dictionnaire des locutions françaises est dressé selon l’ordre alphabétique.  Les notules pour chaque expression suivent toujours le même modèle :

Le mot-clé – l’expression ou les expressions associées – L’explication du sens premier – L’origine contextuelle. Parfois des considérations linguistiques et historiques précèdent cette explication originelle.

Cette méthode permet au lecteur de s’approprier très vite la lecture. Et je me suis donc surpris à faire une lecture suivi de l’ouvrage, de A à Z. Comme je sens que vous restez sur votre faim, voici un exemple, dédié à mes amis limousins.

« Limoger – Limoger quelqu’un – Le disgracier et, selon les cas, le suspendre de ses fonctions, le mettre à la retraite d’office, le placer en situation de disponibilité, etc.

Le terme date de la guerre de 1914-1918, où l’on prit l’habitude d’affecter à Limoges, où l’on avait transféré le 1er corps de Lille, les généraux qui n’avaient pas réussi sur le front de combat. » – p. 102.

Vous en prendriez bien une deuxième ? Alors, je vous fais ce plaisir.

« Froc – Jeter le froc aux orties – 1° Quitter les ordres.

« Rabelais quitta l’habit régulier, c’est-à-dire monial, pour prendre l’habit de prêtre séculier ; il jeta, comme on dit, le froc aux orties, et alla à Montpellier pour y étudier la médecine » Sainte-Beuve »

2° (par extension) Se libérer de quelque contrainte.

«  J’espère bien, cet hiver, jeter un peu le froc aux orties dans notre jolie auberge. » Mme de Sévigné »

Jeter le froc aux orties, c’est proprement se débarrasser de son froc en le lançant dans un fossé plein d’orties. Le froc (du bas latin Hroccus, « habit »), désigne la partie de l’habit monacal qui couvre la tête et les épaules, puis, d’une façon générale, un vêtement de moine. De là, outre la locution susdite, les expressions : prendre le froc (se faire moine), porter le froc (être moine), quitter le froc (renoncer à la profession monastique) et les termes populaires : frocard (moine), frocaille (gens de froc, moines), défroque (au sens propre : ce que laisse un moine au monastère), défroqué (qui quitte les ordres, etc.».

Bien sûr, notre Normalien-agrégé ne peut se départir de sa culture universitaire et cite très souvent des auteurs du XVII ou XVIIIème siècle, totalement inconnu du grand public et qui laisseront le lecteur simple perplexe et ignare (surtout à l’époque préhistorique d’avant Wikipedia !). Mais l’ensemble reste assez lisible et très riche, bien que totalement dénué d’humour, mais ce n’est guère la tasse de thé des auteurs de ce genre.

Les deux autres petits volumes sont destinés à l’amélioration de l’expression orale et écrite et agissent selon le principe des erreurs à éviter.

Parler Français a ainsi un sous-titre explicite sur  sa couverture :

«  Ne dîtes pas… – Ne confondez pas…- Constructions et tours vicieux – Déformations populaires – Contresens et bévues – Pléonasmes. Fausses élégances et néologismes. Le bon usage. »

La lecture de ce menu montre bien qu’il s’agit de donner des moyens de ne pas mal user d’expressions déformées ou peu claires, souvent mal transmises par l’oralité populaire (les bistrots furent longtemps l’université populaire la plus fréquentée en France). Mais il est aussi question des « Fausses élégances et néologismes », et là, l’auteur vise clairement ceux que nous appelons les cuistres, les pédants, les fats et que le peuple appellent les prétentieux, les parvenus ou, plus lapidairement, les cons. En son temps, le grand pamphlétaire Léon Bloy avait publié une Exégèse des lieux communs assez roborative, Gustave Flaubert avait également écrit un  Dictionnaire des idées reçues plutôt roboratif, alors que Jacques Ellul a publié, un siècle après L. Bloy, une nouvelle version de l’Exégèse des lieux communs. Maurice Rat n’a pas cette ambition moqueuse, mais il dénonce pourtant les mêmes personnes. Exemple :

«  Etre empreint de

La locution être empreint de est une de ces fausses élégances dont on abuse (voir s’accentuer, s’affirmer, s’avérer, de baser, se révéler…) dans es cas où il serait plus simple de se servir du verbe être.

Au lieu de dire

L’entretien fut empreint d’une grande cordialité,

Il est beaucoup mieux de dire

L’entretien fut d’une grande cordialité,

– car il n’est nullement élégant, bien au contraire, d’user de périphrases ou de vieilles formules à images fatiguées pour exprimer avec prolixité ce qui peut s’énoncer simplement. »  (p.107)

Voilà qui sent son Boileau à plein nez, mais n’est vraiment pas faux et vous avez reconnu, cité par l’auteur des verbes qui font florès dans les discours et écrits actuels.

A côté de cette rubrique, des conseils fort utiles pour éviter des confusions pourront servir à des gens curieux de s’améliorer (ceux dont je suis). Ainsi distingue-t-il les mots souvent confondus  pacifique et pacifiste, prescrire et proscrire ou jonchaie et jonchée.

Le troisième de ces opuscules est un petit précis de grammaire, syntaxe et orthographe. Si je n’ai rien appris sur l’orthographe et la syntaxe d’usage, j’ai par contre pu tester mes lacunes sur le genre des noms – vieux piège qui fait le bonheur des jeux radiophoniques ou télévisés.  J’ai donc mis ces livres à côté du Grévisse et du Littré, dans ma bibliothèque de références, celle qui est posée sur mon bureau et dont les grands auteurs sont Alain Rey, Pierre Larousse, Emile Littré ou Maurice Grévisse. En effet, plus j’avance en âge, et donc en connaissance (car pour l’heure je puis me consacrer à l’étude pour mon plaisir à mon rythme), et plus les dictionnaires et guides de langue deviennent utiles, nécessaires et appréciés. Non que je ne sache plus écrire, bien au contraire, mais parce que j’écris de plus en plus et que je veux, autant que faire se peut (est-ce une fausse élégance ?), écrire mieux. Maurice Rat, avec ses publications populaires, a donc naturellement trouvé sa place sur ce bureau.

Pourquoi parler de livres qui ont plus de soixante ans et ne sont plus édités[4] ? Parce que je suis un retraité qui s’ennuie et s’occupe donc à des inanités ? Peut-être après tout. Mais c’est une occasion de parler de notre langue, tout en évoquant l’amour populaire qu’on a pu en avoir. Bien évidemment il existe des centaines de productions sur la langue françaises, à tel point qu’il y a des rayons entiers consacrés à cela ( voyez chez Mollat, par exemple). Mais ce sont exclusivement des ouvrages de bachotage, de travail péri-scolaire ou professionnel. Les trois livres évoqués ci-dessus visaient un autre public, celui que l’on massacre aujourd’hui dans les écoles de la République, pour tout un tas de raisons, plus ou moins bonnes et anciennes, le peuple laborieux, ceux qui n’avaient pas fait d’étude et le regrettaient – alors qu’aujourd’hui, pour certains, c’est un sujet de gloire -, ceux qui voulaient s’améliorer en autodidacte… Mon grand-père, Jean Dauriac, a fait la « guerre de 14 », notamment à Verdun. Il en est revenu, et en bon état, ce qui était déjà un exploit. Pendant quatre ans, il a connu ces épisodes d’attente interminable dans les tranchées. Ce jeune homme intelligent, qui ne voulait pas être agriculteur comme ses parents périgourdins, avait le Certificat d’Etudes Primaires, sanction d’une bonne culture générale. Il écrivait d’une écriture magnifique, à la plume, ne faisait aucune faute d’orthographe et avait réussi les concours de la gendarmerie. Pourquoi ? Parce que pendant quatre ans, il a lu et mémorisé un petit Larousse qu’il avait avec lui. Il l’a entièrement lu et relu. Il avait, pour un primaire, comme on disait alors, un vocabulaire magnifique. A sa mort (j’avais 14 ans), la seule chose que j’ai pu récupérer de lui, fut justement un dictionnaire, la première édition du Larousse dans la collection du Livre de poche. Il est là, au moment où j’écris ces lignes, devant moi, comme un témoin transmis dans el relais des générations . Que transmettons-nous aux jeunes générations ?

Jean-Michel Dauriac – 25 mai 2021.


[1] C’est « Dans la gloire de mon père » ; la phrase est dite dans le film, lors de la scène des treize desserts provençaux, à la Bastide.

[2] La puce à l’oreille, Livre de poche, disponible ici : https://www.amazon.fr/gp/product/B00PWEUX74/ref=dbs_a_def_rwt_hsch_vapi_taft_p1_i0  ou chez les bouquinistes en fouillant.

[3] Dictionnaire des expressions et locutions, Alain Rey et Sophie Chantreau, Paris, Dictionnaire Le Robert, 1997.

[4] Je viens de vérifier rapidement, pour un de ces titres : ils sont disponibles en quantité sur des sites d’occasion, à des prix dérisoires. Vous pouvez donc vous les offrir ou les offrir (voir la conclusion).

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