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Catégorie : Bible et vie

« Secouez la poussière de vos pieds » – Méditation de sortie de l’Arche 14

L’enregistrement audio de la méditation est ici:

Nous allons aujourd’hui méditer sur des paroles de Jésus qui sont rapportées dans les trois Evangiles synoptiques. Une étude serrée devrait être menée comparativement sur les trois textes. Le format de ces méditations ne permet pas cet approfondissement. Mais rien en vous empêche d’effectuer ce travail, puisque je vais fournir les références précises des trois textes. J’ai retenu celui de Matthieu. Celui de Marc est très lapidaire et manque donc de précision. Celui de Luc est proche de Matthieu. Mais ce sont les formulation du premier Evangile qui ont motivé mon choix, nous allons le voir ci-dessous.

Lectures de base :

Marc 6 : 7-12

Luc 9 : 1-6 & 10 : 11-12

Matthieu 10 : 5-15.

«  5  Tels sont les douze que Jésus envoya après leur avoir donné les recommandations suivantes :

6  N’allez pas vers les païens, et n’entrez pas dans les villes des Samaritains ; allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël.

7  En chemin, prêchez que le royaume des cieux est proche.

8  Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement.

9  Ne prenez ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures,

10  ni sac pour le voyage, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton, car l’ouvrier mérite sa nourriture.

11  Dans quelque ville ou village que vous entriez, informez-vous s’il s’y trouve quelqu’un qui soit digne (de vous recevoir), et demeurez chez lui jusqu’à ce que vous partiez.

12  En entrant dans la maison, saluez-la,

13  et, si la maison en est digne, que votre paix vienne sur elle ; mais si elle n’en est pas digne, que votre paix retourne à vous.

14  Lorsqu’on ne vous recevra pas et qu’on n’écoutera pas vos paroles, sortez de cette maison ou de cette ville et secouez la poussière de vos pieds.

15  En vérité je vous le dis : Au jour du jugement, le pays de Sodome et de Gomorrhe sera traité moins rigoureusement que cette ville-là. » Version La Colombe.

Les Evangiles nous rapportent deux envois en mission effectués par Jésus : d’abord les douze apôtres, puis un contingent de soixante-dix disciples. Nous ne savons pas quel intervalle de temps sépare ces deux missions, nous ne pouvons pas déduire de leur enchaînement en Luc qu’elles soient consécutives. Les formules qui nous intéressent aujourd’hui sont dans les deux ordres de mission.

La mission des douze

Elle est définie juste avant le passage que nous avons lu, en Matthieu 10 :1.  «  Puis (Jésus) appela ses douze disciples et leur donna le pouvoir de chasser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité. » C’est une mission centrée sur deux actions seulement :

  • -chasser les esprits impurs ;
  • -guérir toute maladie et toute infirmité.

On ne peut qu’être surpris par le but à la fois grandiose et très limité de cette mission. C’est une mission de « miracles », tels que les Evangiles les définissent : pratiquer ce que l’on appelle aujourd’hui l’exorcisme et guérir toutes affections des hommes (maladies et infirmités).

Il n’est nullement question du salut, du pardon des péchés, de la foi ou de tout autre aspect religieux. Jésus envoie des guérisseurs. Pourquoi limiter ainsi l’œuvre ?

La réponse première est dans la liste des douze que donnent les versets 2 à 4 du même chapitre 10. Ce sont des hommes simples, qui exerçaient des métiers manuels. Il n’y a là aucun scribe ni savant de la Loi. Leur seule référence est la religion de leurs pères et Jésus. Or, ils accompagnent Jésus et participent, en spectateurs le plus souvent, à ses actions. Le verset 35 du chapitre 9 nous donne le programme de Jésus : « Jésus parcourait toutes les villes et les villages, il enseignait dans leurs synagogues, prêchait l’Évangile du royaume et guérissait toute maladie et toute infirmité. »

Il enseigne dans les synagogues, il prêche l’Evangile (la bonne nouvelle) du Royaume et il guérit. Or, il ne demande aux douze envoyés que de guérir. Pas de prédication de la bonne nouvelle du Royaume : ils n’en savent pas encore assez sur ce message. Ils peuvent seulement mettre en œuvre le pouvoir que Jésus leur donne.

Leur mission est très cadrée : le verset 6 écarte tout contact avec les païens et les Samaritains. C’est donc uniquement vers les Juifs qu’ils sont envoyés. Ce n’est pas un travail missionnaire au sens propre, c’est une affaire interne, entre Juifs.

Mais en 6b nous trouvons une mention singulière, celle des « brebis perdues de la Maison d’Israël ». Ceci, évidemment, nous fait songer à la parabole du bon berger et de la brebis perdue. Mais, ici, comment faut-il comprendre cette mention ?

Les disciples ne visent-ils que les égarés ou, au contraire, tout Israël est-il brebis perdue ? D’après le texte de Matthieu, il ne nous est pas possible de le dire. Il semble cependant, d’après le verset 11, que toute ville ou village soit concernée. Jésus considérerait donc que tout Israël s’est éloigné de Dieu. En se positionnant ainsi, il manifeste une attitude prophétique, à l’instar des anciens prophètes de la Bible juive.

Au verset 7, nous voyons le seul élément de prédication qui leur est conseillé : « le Royaume de Dieu est proche » ; Luc dit : « Le royaume de Dieu s’est approché » (Luc 10 : 11b). On peut aussi traduire le « règne de Dieu », ce qui est peut-être plus parlant. Ce message est le message messianique de tous les prophètes antérieurs, notamment Esaïe. C’est l’événement qui doit être annoncé. Les disciples ne peuvent aller plus loin, ils n’ont pas encore la connaissance suffisante. Je dirais que cette mission est leur stage pratique de fin de troisième, le moment où les jeunes découvrent un métier dans une approche rapide.

Les douze marchaient avec Jésus et assistaient à son ministère, mais ils ne comprenaient pas grand-chose, ou en tout cas, n’avaient vraiment pas une formation suffisante pour aller au-delà de cette mission.

Concrètement, pour nous aujourd’hui, cet envoi limité peut être un encouragement : nul besoin d’avoir acquis grand savoir et expérience. Il suffit d’annoncer, que, par Jésus, le règne de Dieu s’est approché. Il faut susciter la curiosité ou la perplexité de ceux qui veulent bien nous recevoir et nous écouter. Pour en savoir plus, il faut alors les conduire à ceux qui savent, ceux qui ont côtoyé Jésus plus longtemps.

Acceptation ou rejet : que faire ?

Ce sont là les versets 11 à 15 de Matthieu qui nous intéressent. Jésus présente les deux accueils possibles et y prépare ses disciples.

  • -versets 11 à 13 : l’accueil est favorable. Vous noterez que Jésus considère ses envoyés comme des personnages importants. L’expression « digne de vous recevoir » le montre clairement. Ce n’est pas la noblesse des disciples qui est digne d’accueil, mais celui qui les envoie et le message qu’ils portent.  Nous-mêmes, disciples du Christ, nous avons ce statut de « dignitaires ». Il ne faut jamais galvauder le message de Jésus et la mission qui est la nôtre.
  • -Les versets 14-15 montrent un rejet ou une forme de mépris du message : « lorsqu’on n’écoutera pas vos paroles », la mission est, ici, en cette ville ou ce village, un échec. Malgré la puissance de Celui qui nous envoie et la Bonne Nouvelle du Royaume proche, il y aura toujours des refus. Ceci atteste de la liberté de conscience des hommes (au moins en apparence). Le message, nous le proposons seulement. Rien ne servirait de l’imposer, comme l’Eglise l’a fait dans certains périodes historiques et certains contextes. Grâce au texte de Luc 10 : 9 et 11, nous savons que dans les deux cas le « Royaume s’est approché ». Et il faut le dire, les hommes doivent savoir ce qu’ils rejettent, pas des disciples limités, mais le Royaume de Dieu.

Aux deux modalités d’accueil correspondent deux attitudes : rester chez ceux qui sont dignes de recevoir ou sortir de ce lieu en secouant la poussière de ses sandales.

Rester, c’est partager la guérison et le témoignage. Aux soixante-dix, Jésus dit (Luc 10 :7) de manger et boire dans cette maison (ou ce village). Jésus ajoute : « n’allez pas de maison en maison », ce qui semble condamner la pratique du porte-à-porte que certains chrétiens pratiquent intensivement. Pourquoi ?

Pour que ce soient les habitants, curieux, qui viennent vers les disciples. Ce sera leur choix et leur démarche, un acte de volonté.

N’oublions pas cet aspect, dans notre démarche d’évangélisation[1] ou de témoignage : non aller déranger autrui chez lui, mais le laisser librement et volontairement venir vers la source de la Parole de Dieu. Il nous suffit de faire connaître cette possibilité de la manière la plus adaptée.

Sortir des lieux de refus est un ordre de Jésus. Il ne sert à rien d’insister. Quand l’annonce a été faite de manière claire, le travail du disciple est accompli. Le reste est oeuvre de l’Esprit Saint et décision des femmes et des hommes qui ont entendu.

Mais il y a aussi la formule finale, « Secouez la poussière de vos pieds » (verset 14 de Matthieu). C’est le texte de Luc 10 :11 qui donne l’explication : « Nous secouons contre vous la poussière même de votre ville qui s’est attachée à nos pieds ; sachez pourtant que le royaume de Dieu s’est approché. » 

Il n’y aura plus rien de commun entre les disciples et ceux qui refusent de les accueillir et de les entendre. Cela signifie qu’il faut savoir passer à autre chose. Rien ne sert de persister, de revenir à la charge, d’argumenter et, parfois, de harceler le récalcitrant. Il a eu l’occasion de connaître le Royaume, il l’a refuse, c’est fini pour lui de la part du disciple. Il faut aller annoncer le Royaume à tous les autres ignorants, à toutes le autres brebis perdues[2].

Voici donc une  illustration, que nous pouvons méditer, sur notre travail d’envoyé, sur le message diffusé et sur l’attitude à adopter. Il y a bien sûr tout un travail d’adaptation à accomplir, mais les principes que j’ai évoqués ci-dessus demeurent intangibles.

Jean-Michel Dauriac – Avril 2021.


[1] Je continue à employer ce terme qui est considéré comme néfaste par certains, comme une preuve de prosélytisme agressif. C’est méconnaître son sens profond qui est « annonce de la Bonne nouvelle du Christ ». Il y a bien des façons de dire cela, mais c’est le cœur de la vie et de la mission  du chrétien. On peut « évangéliser » muettement, simplement en vivant au mieux les préceptes du Christ.

[2] Cela signifie-t-il que le salut est définitivement hors de portée de ceux qui ont refusé et même combattu l’Evangile ? Ce serait outrepasser le contenu du Nouveau Testament. Je pense à ce verset de Paul, en 1 Corinthiens 3:15 « Si l’œuvre de quelqu’un est brûlée, il en subira la perte ; lui, certes, il sera sauvé, mais comme au travers du feu. » La possibilité du salut demeure tant qu’il ya de la vie en l’humain.

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La vocation d’Abram – Méditations de sortie de l’Arche n° 13

Voici la version audio de cette méditation:

Nous allons encore une fois considérer une histoire de sortie et de départ. Celle-ci est très célèbre, car elle appartient en commun aux trois grands monothéismes, judaïsme, christianisme et islam. Il s’agit de ce qu’on peut appeler, au sens propre du terme, la « vocation[1] » de l’homme qui s‘appelle encore Abram. Cet épisode est devenu légendaire et, de ce fait, il est le plus souvent résumé à l’appel de l’Eternel adressé à Abram. Il est utile de se pencher sur le texte de la Genèse qui ouvre la biographie sélective du patriarche, car il est plus nuancé que la légende.

Lecture de base : Genèse 11 : 31-32 (version Bible de Jérusalem)

« 31  Térah prit son fils Abram, son petit-fils Lot, fils de Harân, et sa bru Saraï, femme d’Abram. Il les fit sortir d’Ur des Chaldéens pour aller au pays de Canaan, mais, arrivés à Harân, ils s’y établirent.

32  La durée de la vie de Térah fut de deux cent cinq ans, puis il mourut à Harân. »

Le contexte de la vocation

Ce sont ici les deux derniers versets du chapitre 11, lequel sert de transition entre l’épisode de la Tour de Babel et le récit de la vie d’Abraham. Les versets 10 à 27 de ce chapitre présentent une généalogie des fils de Sem, peut-être le fils aîné de Noé (on ne sait pas vraiment si sa mention en premier est synonyme d’ainesse). Il est l’ancêtre des peuples dits « sémites », qui peuplèrent l’Arabie et le Proche-Orient. Donc l’ancêtre commun des Hébreux, des Arabes, Palestiniens, Syriens… Cham, son frère serait le père des Cananéens et des Egyptiens, Ethiopiens…, Japhet, le troisième fils serait à l’origine des peuples asiatiques du Moyen-Orient et des peuples de l’Occident européen.

Cette généalogie, comme la plupart de celles du Premier Testament a un but politique, celui d’établir les filiations ; c’est une pratique orientale classique, qui nous est étrangère. L’étude de détail de ces généalogies ne fait sens que pour l’exégète. Cependant, à la fin de cette liste, au verset 27, nous arrivons enfin à ce qui en est le but : introduire la famille d’Abram. Nous faisons alors connaissance avec Térah, le père, avec les trois fils, Abram, Nahor et Hâran, et avec son fils Loth.

Nous apprenons la mort de Hâran, : Loth est donc orphelin et, de fait, selon les coutumes de l’époque et du lieu, il est sous la protection de ses oncles. Ceux-ci se marient, on apprend le nom de leurs épouses : Saraï pour Abram et Mika pour Nahor – Mika est la sœur de Loth, donc la cousine de son mari. En trois versets, le décor est planté. Le verset 30 semble glisser un détail, au passage : Saraï était stérile, ce qui était un vrai problème dans la culture orientale où la mission de la femme était de procréer et de donner de préférence des fils. Nous savons combien de point sera important pour le devenir des trois religions dites Abrahamiques.

Maintenant que nous connaissons le contexte et les personnages, nous pouvons en venir à l’action décrite dans les versets 31-32.

La décision de Térah

Térah, le chef de famille – vous noterez le cadre patriarcal total : nous ignorons le nom de la mère – prend la décision de quitter sa ville natale, Our (ou Ur selon les graphies). Et il part avec Abram, Saraï et Loth.

Deux questions se posent immédiatement :

  • -pourquoi cette décision de partir ?
  • -Pourquoi Nahor et Mika ne sont-ils pas du voyage ?

Sur ces deux questions importantes, la Bible ne donne aucune réponse. Depuis des millénaires, les hommes religieux cherchent les explication et ils en sont réduits à des conjectures. Nous ne savons absolument rien de sûr de la cause du départ de Térah, car c’est bien SA décision et non celle d’Abram.

Il y a bien sûr un facteur déclenchant, mais il ne nous a pas été révélé. Ce qui compte est le fait brut : Térah s’exile volontairement loin d’une ville riche et prospère, capitale de la Mésopotamie de l’époque. Les motivations de Térah peuvent être économiques, politiques ou religieuses. Il peut fuir une crise de subsistance ou de travail, s’enfuir devant une invasion, ou partir loin d’une religion idolâtre qui le gêne. Il peut aussi avoir envie d’un nouveau destin. Nous n’avons pas la réponse, et il serait hasardeux de suggérer un appel religieux de Dieu adressé à Térah. Jusqu’à la mention de sa mort, rien ne nous sera dit.

Nous savons seulement qu’il partit pour se rendre au pays de Canaan, donc à l’étranger, chez les fils de Cham, parlant une autre langue. Là aussi, nous n’avons aucune lumière. Le pays de Canaan était un « bon pays », fertile et arrosé grâce aux montagnes intérieures de la Palestine. Mais Our était au cœur du double delta du Tigre et de l’Euphrate, donc dans un pays encore plus riche. Avouons notre perplexité.

Térah s’arrête à Hâran[2] (ou Charan dans certaines versions) et s’y installe avec sa famille. Il ne va donc pas au terme de son projet. Nous n’en savons pas plus. On peut avancer l’idée que Térah a été un instrument (conscient ou pas) dans le projet d’alliance de Dieu-Yahvé. Mais nous ne savons même pas s’il croyait en l’Eternel. Il peut représenter un type répandu dans la Bible : celui qui aide à la réalisation de la volonté de Dieu sans en être conscient. Ainsi en fut-il du prophète Balaam ou de Rahab la prostituée de Jéricho. Le résultat de la vie de Térah est là : il a emmené une partie de sa famille à Hâran, à des centaines de kilomètres de sa ville natale, il s’y est installé, il y a vécu un certain temps, il y est mort et enterré. Mais son fils Nahor et sa femme Mika ne l’ont pas suivi, la famille s’est donc scindée. Le contact ne sera rétabli qu’avec l’envoi du serviteur d’Abraham vers le lieu où vit Nahor, pour trouver une épouse de son sang à son fils Isaac (lire le chapitre 24 de la Genèse, qui ressemble à un conte oriental).

La vocation directe d’Abram

Lecture de base : Genèse 12 : 1-2 (version La colombe)

« 1 Yahvé dit à Abram : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai.

  • Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom ; sois une bénédiction ! »

Jusqu’ici nous n’avons vu Abram que dans une situation passive de fils, oncle et mari, qui suivait son père dans son départ d’Our. Certains commentateurs affirment que ce serait Abram qui aurait motivé le départ et choisi la destination de Canaan. La Bible ne permet nullement d’étayer cette interprétation et les sources sur Abram sont rares et incertaines, hors de la Bible[3]. Il faut donc s’en tenir à ce que dit le texte de Genèse 11 et 12.

Pour confirmer cette ignorance initiale d’Abram, nous disposons par contre d’un verset de la Lettre aux Hébreux, chapitre 11 verset 8 :

« 8  Par la foi, Abraham obéit à l’appel de partir vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit ne sachant où il allait. » Version Bible de Jérusalem.

Le texte nous dit bien : «  Il partit ne sachant pas où il allait. » Nous devons donc accepter de lire le texte dans  sa chronologie, avec des incertitudes.

  • L’appel à Abram est donné à Hâran.
  • Térah est mort et enterré dans cette ville.
  • L’appel concerne la mise en marche, mais ne dit rien sur la destination finale.
  • Abram avait alors 75 ans au moment de son départ (rappelons que son père Térah a vécu 205 ans – ch. 11 verset 32)
  • Il part en compagnie de son neveu Loth et de tous ses biens de nomade (troupeaux et serviteurs).

Le mot « Canaan » n’est pas dans l’appel initial de l’Eternel et n’est cité qu’au verset 5.

Abram part donc sur une simple injonction, avec très peu de renseignements. Notons que c’est l’Eternel qui parle directement à Abram. Jusque là, nous ne savons rien de la religion de Térah et ses fils. Mais, nés à Our, ils sont nécessairement polythéistes. Il en semble pas que Térah ait eu une révélation personnelle, ni qu’il fut un croyant en l’Eternel.

Le verset 1 du chapitre 12 est donc une première, celle de l’irruption du Dieu unique dans la vie d’Abram. Il nous faut admettre notre perplexité face à ce contact et à cette vocation.

Comment Dieu s’adressa-t-il à Abram ? Comment Abram réagit-il en entendant cette parole ? Cela nous ne le savons nullement.

Et c’est justement ce départ avec si peu de précisions qui est cité dans le verset 8 du chapitre 11 de la Lettre aux Hébreux : « Par la foi, Abraham… », donc en faisant confiance à cette voix inconnue qui donne un ordre très vague. Bien sûr, cet ordre est assorti d’un promesse proprement incroyable par son ampleur (verset 2). Mais que vaut la promesse d’un Dieu inconnu ? Elle vaut uniquement par la confiance (c’est le même mot que la foi) qu’on met en elle. Prenons l’image du billet de banque, très présent et banal dans notre vie : ce n’est que du papier, et pourtant nous l’échangeons contre des marchandises bien réelles et de valeur. Et cela uniquement parce que nous avons confiance en ce billet, qui vaut ainsi « de l’or ». Ici est le saut de la foi.

L’exemple d’Abram est intéressant en ce qu’il nous montre que la foi est le déclencheur de toute marche avec Dieu. Ce n’est pas la précision de l’appel qui est décisive, pas plus que la grandeur de la promesse. C’est simplement le dit de Dieu. Il n’y a pas besoin d’avoir beaucoup de connaissances pour saisir la foi, ou pour se laisser saisir par elle. Jésus dit bien à ses disciples qu’il faut être ou devenir des petits enfants (Marc 10 : 14). Ce qui est important est d’entendre ce que dit la voix de Dieu. C’est la capacité d’écoute (la qualité de la recherche) qui est capitale.

Abram saisit par la foi cette vocation, très vague, mais glorieuse. Il n’a pas pour l’heure besoin d’en savoir plus. Il apprendra en marchant. Et cette marche va durer cent ans : Genèse 25 : 7-8.

« 7  La durée de la vie d’Abraham fut de 175 ans.

  • Puis Abraham expira. Il mourut après une heureuse vieillesse, âgé et rassasié (de jours), et il fut réuni à ses ancêtres décédés. » Version La colombe.

Relisez les chapitres 12 à 25 de a Genèse ; vous verrez qu’être un homme de foi ne protège pas des erreurs (donc du péché occasionnel), mais permet de toujours garder le contact avec Dieu. C’est la grande leçon d’Abraham pour nous.

Jean-Michel Dauriac, Mars 2021.


[1] Une vocation, au sens littéral est un appel réalisé par une voix. C’est donc exactement ce que vit l’acteur du récit de Genèse 12.

[2] Ce n’est pas le même mot que le nom du fils de Térah.

[3] La religion juive dispose de ce qui est appelé la « Torah orale », révélation complémentaire faite aux Hébreux au fil du temps. Mais le christianisme ne reconnaît pas cette source dans son canon.

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Vivre avec nos morts – Delphine Horvilleur

Paris, Grasset et Fasquelle, 2021.

Sortir, au temps du Covid, un livre titré Vivre avec nos morts peut sembler relever de la provocation. D’autant plus que le titre lui-même est un oxymore. Or, quiconque a perdu un être cher sait bien que nous vivons entouré de nos morts. Ils sont plus ou moins discrets, plus ou moins nombreux, mais ils hantent notre vie, sporadiquement pour certains, continûment pour d’autres. En réalité, ce livre tombe plutôt à point nommé, dans un temps où la mort s’est faite bien plus visible et a quitté le paravent des EPAHD pour envahir nos écrans de télévision et nos journaux. Disons de suite que le livre ne traite pas du tout des morts du Covid, mais s’inscrit dans une démarche bien plus large, qui est celle de la manière d’accompagner les familles lors d’un décès. C’est donc, au sens théologique, un ouvrage de pastorale. Mais il n’est évidemment pas réservé aux ministres du culte et il faut en recommander la lecture à tous.

La plupart des chapitres portent des noms des prénoms de personnes décédées que l’auteur a connu et/ou accompagnées. Le choix très large permet de parler aussi bien des hommes que des femmes, des enfants comme des vieillards, des malades comme des bien-portants. Chaque chapitre met très adroitement la lumière sur un thème², à partir des circonstances  du décès. On traitera ainsi successivement de la laïcité,, de la mort des enfants, de la Shoah… Il s’agit donc d’un livre de citoyenneté également, qui peut servir de base pour un dialogue de société.

Mais le lecteur trouvera aussi dans ce texte un art consommé du portrait, qui rappelle que l’auteur est un écrivain. La lecture est donc largement facilitée par la fluidité du style.

Un troisième trait distingue pourtant radicalement ce livre d’un essai ordinaire. C’est avant tout une très belle introduction au judaïsme, par la petite porte des funérailles. Le lecteur qui ignore totalement ce que peut être le judaïsme sera sans doute un peu dépaysé, mais s’il fait l’effort de mémoriser ce qu’il rencontre, il sortira de ce livre avec une certaine idée de la religion juive. Delphine Horvilleur a l’intelligence de distiller à très petites doses les informations religieuses et théologiques, ce qui rend son texte lisible par tous les publics. Et pourtant, le judaïsme est partout ! Ici, une citation du Talmud, là une coutume évoquée, ailleurs une cérémonie décrite. Il s’agit d’une imprégnation homéopathique, pas d’un cours.

On voudrait citer de nombreux passages, tant le livre est riche et réussi. Mais il faut se limiter, pour laisser le futur lecteur faire ses découvertes. Je ne citerai donc que quelques phrases prises au long de la lecture.

Voici une intéressante définition de la laïcité, tiré du  chapitre intitulé « Elsa » :

« La laïcité française n’oppose pas la foi à l’incroyance. Elle ne sépare pas ceux qui croient que Dieu veille, et ceux qui croient aussi ferme qu’il est mort ou inventé. Elle n’a rien à voir avec cela. Elle n’est fondée ni sur la conviction que le ciel est vide ni sur celle qu’il est habité, mais sur la défense d’une terre jamais pleine, la conscience qu’il y reste toujours une place pour une croyance qui n’est pas la nôtre. La laïcité dit que l’espace de nos vies n’est jamais saturé de convictions, et elle garantit toujours une place laissée vide de certitudes. Elle empêche une foi ou une appartenance de saturer tout l’espace. En cela, à sa manière, la laïcité est une transcendance. Elle affirme qu’il existe toujours en elle un territoire plus grand que ma croyance, qui peut accueillir celle d’un autre venu y respirer. » (p. 28-29).

Le livre tourne autour du thème de la mort. Le judaïsme, matrice des grands monothéisme, aborde évidemment ce sujet. Mais nous sommes souvent ignorants, nous les chrétiens ou les musulmans, des croyances juives. Voici un autre extrait sur la vie post-mortem.

«  La Thora ne parle pas de vie après la mort. Les personnages, un à un, meurent, et pour certains à un âge très avancé. De Noé à Mathusalem en passant par tous les patriarches et leurs familles, au jour de leur mort, il est simplement dit d’eux qu’ils « rejoignent les leurs » (Genèse 35 :29 ou Genèse 49 :33) ou « dorment avec leurs pères » (1 Rois 2 :10). Leur disparition les inscrit simplement dans la lignée de ceux qui les ont précédés, et ils quittent le monde dorénavant habité par ceux auxquels ils ont donné naissance. » (p.115)

L’homme s’inscrit, pour le judaïsme, dans la suite des générations qui peuplent la terre. D’où la manière d’ensevelir els défunts :

«  Dans le judaïsme, le défunt n’est pas enterré dans une tenue de ville ou dans ses « vêtements du dimanche ». Avant d’être inhumé, il est préparé, lavé puis paré d’une tunique blanche spécifique dans laquelle il sera enterré. Cet habit reproduit symboliquement une autre tenue, à laquelle la Bible fait référence. Il s’agit du vêtement que portait le Grand Prêtre lorsqu’il officiait au Temple de Jérusalem il y a plus de deux mille ans.

La Thora décrit précisément comment le Grand Prêtre se purifiait, procédait à des ablutions et enfilait ses vêtements, tandis qu’il s’apprêtait sur l’autel à faire face au Créateur. Au Temple, le Cohen était l’homme qui pouvait approcher au plus près le divin, le seul qui avait le droit de pénétrer le Saint des Saints, c’est-à-dire le droit de se tenir devant le Dieu invisible. Dans la tradition juive, chaque homme au jour de son inhumation endosse le même rôle sacerdotal. Il est lavé et paré des mêmes attributs, tandis qu’il s’apprêt lui aussi à rencontrer le divin. Son corps est enveloppé dans un linceul qui reproduit tous les éléments de la tenue sacerdotale. Chaque homme qu’on enterre est un Grand Prêtre, au jour de son départ. Il se prépare au même face-à-face. » (p. 49-50)

Le lecteur pourra ainsi mesurer la distance que le christianisme a pris au fil du temps avec la simplicité symbolique des débuts : nos sarcophages et lourds cercueils de bois ou de métal sont bien destinés à nous protéger d’une corruption cependant inévitable et inscrite dans le cycle de la vie. Les Juifs sont, jusque dans la mort le peuple de l’Alliance. Que font, au moment du décès, les chrétiens de la Nouvelle Alliance ? Question abyssale qui dépasse évidemment le cadre de cette recension.

Enfin, évoquons, encore par une citation, le lieu de repos des morts.

«  Où vont les morts ? Le seul lieu auquel la Thora fait explicitement référence est un endroit nommé Shéol où descendraient les disparus (voir Genèse 37 :35, « Je descends au Shéol endeuillé ».) S’agit-il d’un territoire ou d’un monde souterrain ? Le texte n’en dit rien. Mais l’étymologie du terme est éloquente. ²²² vient d’une racine qui signifie littéralement « la question ». On pourrait donc l’énoncer ainsi : après notre mort, chacun de nous tombe dans la question, et laisse les autres sans réponse ; Débrouillez-vous avec cela. » (P. 116)

On est bien loin des certitudes ou pseudo-certitudes que les chrétiens ou les musulmans ont construit autour de la notion  de Paradis. La question (shéol) reste ouverte et nous sommes condamnés à n’avoir que cette non-réponse si l’on est juif ou si l’on prend au sérieux le Premier Testament.

Mais le lecteur aurait tort de croire que ce livre est un ouvrage rébarbatif de théologie. Les quelques extraits que je viens de citer sont presque les seuls de cette nature. Le reste est beaucoup plus narratif. Il faut renvoyer le lecteur au chapitre « Marceline et Simone : au jour du Jugement », qui est un des plus drôle et des plus réussis de ce livre. Delphine Horvilleur y parle des « filles de Ravensbrück », comme se nommaient elles-mêmes Simone Veil et Marceline Loridan-Ivens, deux survivantes de la Shoah. On ne peut imaginer deux personnalités plus différentes, et pourtant elles furent amies à la vie à la mort. Comme ce chapitre, chaque thème recèle des perles que je vous laisse découvrir.

J’avais chroniqué, il y a quelques années, le premier livre d’ D. Horvilleur, En tenue d’Eve. Il faisait déjà preuve des qualités qui se sont épanouies depuis et que ce dernier ouvrage met clairement en lumière. Vivre, c’est accepter que la mort nous attende. Tout déni est porteur de dysfonctionnements, tant personnels que sociétaux. Si cette « pandémie » de Covid19 avait seulement servi à remettre la mort dans la vie et nos morts dans notre vie, alors elle aurait été utile. Bonne lecture et bonne réflexion.

Jean-Michel Dauriac

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