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Catégorie : Bible et vie

Vivre avec nos morts – Delphine Horvilleur

Paris, Grasset et Fasquelle, 2021.

Sortir, au temps du Covid, un livre titré Vivre avec nos morts peut sembler relever de la provocation. D’autant plus que le titre lui-même est un oxymore. Or, quiconque a perdu un être cher sait bien que nous vivons entouré de nos morts. Ils sont plus ou moins discrets, plus ou moins nombreux, mais ils hantent notre vie, sporadiquement pour certains, continûment pour d’autres. En réalité, ce livre tombe plutôt à point nommé, dans un temps où la mort s’est faite bien plus visible et a quitté le paravent des EPAHD pour envahir nos écrans de télévision et nos journaux. Disons de suite que le livre ne traite pas du tout des morts du Covid, mais s’inscrit dans une démarche bien plus large, qui est celle de la manière d’accompagner les familles lors d’un décès. C’est donc, au sens théologique, un ouvrage de pastorale. Mais il n’est évidemment pas réservé aux ministres du culte et il faut en recommander la lecture à tous.

La plupart des chapitres portent des noms des prénoms de personnes décédées que l’auteur a connu et/ou accompagnées. Le choix très large permet de parler aussi bien des hommes que des femmes, des enfants comme des vieillards, des malades comme des bien-portants. Chaque chapitre met très adroitement la lumière sur un thème², à partir des circonstances  du décès. On traitera ainsi successivement de la laïcité,, de la mort des enfants, de la Shoah… Il s’agit donc d’un livre de citoyenneté également, qui peut servir de base pour un dialogue de société.

Mais le lecteur trouvera aussi dans ce texte un art consommé du portrait, qui rappelle que l’auteur est un écrivain. La lecture est donc largement facilitée par la fluidité du style.

Un troisième trait distingue pourtant radicalement ce livre d’un essai ordinaire. C’est avant tout une très belle introduction au judaïsme, par la petite porte des funérailles. Le lecteur qui ignore totalement ce que peut être le judaïsme sera sans doute un peu dépaysé, mais s’il fait l’effort de mémoriser ce qu’il rencontre, il sortira de ce livre avec une certaine idée de la religion juive. Delphine Horvilleur a l’intelligence de distiller à très petites doses les informations religieuses et théologiques, ce qui rend son texte lisible par tous les publics. Et pourtant, le judaïsme est partout ! Ici, une citation du Talmud, là une coutume évoquée, ailleurs une cérémonie décrite. Il s’agit d’une imprégnation homéopathique, pas d’un cours.

On voudrait citer de nombreux passages, tant le livre est riche et réussi. Mais il faut se limiter, pour laisser le futur lecteur faire ses découvertes. Je ne citerai donc que quelques phrases prises au long de la lecture.

Voici une intéressante définition de la laïcité, tiré du  chapitre intitulé « Elsa » :

« La laïcité française n’oppose pas la foi à l’incroyance. Elle ne sépare pas ceux qui croient que Dieu veille, et ceux qui croient aussi ferme qu’il est mort ou inventé. Elle n’a rien à voir avec cela. Elle n’est fondée ni sur la conviction que le ciel est vide ni sur celle qu’il est habité, mais sur la défense d’une terre jamais pleine, la conscience qu’il y reste toujours une place pour une croyance qui n’est pas la nôtre. La laïcité dit que l’espace de nos vies n’est jamais saturé de convictions, et elle garantit toujours une place laissée vide de certitudes. Elle empêche une foi ou une appartenance de saturer tout l’espace. En cela, à sa manière, la laïcité est une transcendance. Elle affirme qu’il existe toujours en elle un territoire plus grand que ma croyance, qui peut accueillir celle d’un autre venu y respirer. » (p. 28-29).

Le livre tourne autour du thème de la mort. Le judaïsme, matrice des grands monothéisme, aborde évidemment ce sujet. Mais nous sommes souvent ignorants, nous les chrétiens ou les musulmans, des croyances juives. Voici un autre extrait sur la vie post-mortem.

«  La Thora ne parle pas de vie après la mort. Les personnages, un à un, meurent, et pour certains à un âge très avancé. De Noé à Mathusalem en passant par tous les patriarches et leurs familles, au jour de leur mort, il est simplement dit d’eux qu’ils « rejoignent les leurs » (Genèse 35 :29 ou Genèse 49 :33) ou « dorment avec leurs pères » (1 Rois 2 :10). Leur disparition les inscrit simplement dans la lignée de ceux qui les ont précédés, et ils quittent le monde dorénavant habité par ceux auxquels ils ont donné naissance. » (p.115)

L’homme s’inscrit, pour le judaïsme, dans la suite des générations qui peuplent la terre. D’où la manière d’ensevelir els défunts :

«  Dans le judaïsme, le défunt n’est pas enterré dans une tenue de ville ou dans ses « vêtements du dimanche ». Avant d’être inhumé, il est préparé, lavé puis paré d’une tunique blanche spécifique dans laquelle il sera enterré. Cet habit reproduit symboliquement une autre tenue, à laquelle la Bible fait référence. Il s’agit du vêtement que portait le Grand Prêtre lorsqu’il officiait au Temple de Jérusalem il y a plus de deux mille ans.

La Thora décrit précisément comment le Grand Prêtre se purifiait, procédait à des ablutions et enfilait ses vêtements, tandis qu’il s’apprêtait sur l’autel à faire face au Créateur. Au Temple, le Cohen était l’homme qui pouvait approcher au plus près le divin, le seul qui avait le droit de pénétrer le Saint des Saints, c’est-à-dire le droit de se tenir devant le Dieu invisible. Dans la tradition juive, chaque homme au jour de son inhumation endosse le même rôle sacerdotal. Il est lavé et paré des mêmes attributs, tandis qu’il s’apprêt lui aussi à rencontrer le divin. Son corps est enveloppé dans un linceul qui reproduit tous les éléments de la tenue sacerdotale. Chaque homme qu’on enterre est un Grand Prêtre, au jour de son départ. Il se prépare au même face-à-face. » (p. 49-50)

Le lecteur pourra ainsi mesurer la distance que le christianisme a pris au fil du temps avec la simplicité symbolique des débuts : nos sarcophages et lourds cercueils de bois ou de métal sont bien destinés à nous protéger d’une corruption cependant inévitable et inscrite dans le cycle de la vie. Les Juifs sont, jusque dans la mort le peuple de l’Alliance. Que font, au moment du décès, les chrétiens de la Nouvelle Alliance ? Question abyssale qui dépasse évidemment le cadre de cette recension.

Enfin, évoquons, encore par une citation, le lieu de repos des morts.

«  Où vont les morts ? Le seul lieu auquel la Thora fait explicitement référence est un endroit nommé Shéol où descendraient les disparus (voir Genèse 37 :35, « Je descends au Shéol endeuillé ».) S’agit-il d’un territoire ou d’un monde souterrain ? Le texte n’en dit rien. Mais l’étymologie du terme est éloquente. ²²² vient d’une racine qui signifie littéralement « la question ». On pourrait donc l’énoncer ainsi : après notre mort, chacun de nous tombe dans la question, et laisse les autres sans réponse ; Débrouillez-vous avec cela. » (P. 116)

On est bien loin des certitudes ou pseudo-certitudes que les chrétiens ou les musulmans ont construit autour de la notion  de Paradis. La question (shéol) reste ouverte et nous sommes condamnés à n’avoir que cette non-réponse si l’on est juif ou si l’on prend au sérieux le Premier Testament.

Mais le lecteur aurait tort de croire que ce livre est un ouvrage rébarbatif de théologie. Les quelques extraits que je viens de citer sont presque les seuls de cette nature. Le reste est beaucoup plus narratif. Il faut renvoyer le lecteur au chapitre « Marceline et Simone : au jour du Jugement », qui est un des plus drôle et des plus réussis de ce livre. Delphine Horvilleur y parle des « filles de Ravensbrück », comme se nommaient elles-mêmes Simone Veil et Marceline Loridan-Ivens, deux survivantes de la Shoah. On ne peut imaginer deux personnalités plus différentes, et pourtant elles furent amies à la vie à la mort. Comme ce chapitre, chaque thème recèle des perles que je vous laisse découvrir.

J’avais chroniqué, il y a quelques années, le premier livre d’ D. Horvilleur, En tenue d’Eve. Il faisait déjà preuve des qualités qui se sont épanouies depuis et que ce dernier ouvrage met clairement en lumière. Vivre, c’est accepter que la mort nous attende. Tout déni est porteur de dysfonctionnements, tant personnels que sociétaux. Si cette « pandémie » de Covid19 avait seulement servi à remettre la mort dans la vie et nos morts dans notre vie, alors elle aurait été utile. Bonne lecture et bonne réflexion.

Jean-Michel Dauriac

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Sortir ou rester ? Des injonctions contradictoires ?

Méditations de sortie de l’Arche 12

la version audio est ici:

Quand on vient de vivre un certain temps dans l’isolement, donc dans une certaine pureté (au moins atmosphérique), le retour au contact, à la foule, est difficile. On se surprend à ne plus apprécier des choses qu’on aimait ou supportait auparavant, on a un autre regard, plus critique et plus distancié, sur le monde environnant. Une sorte de position en surplomb.

Nous avons vécu et vivons un peu cela en ce moment. Le confinement nous a obligés à vivre d’abord face à nous-mêmes. Si la solitude fut pénible à certains, il y eut aussi une liberté cachée. Faut-il au plus vite oublier ce temps de restriction et revenir à la vie d’avant, à l’identique ?

Je ne prétends parler ici que du point de vue chrétien et théologique. La refondation du monde d’après n’est pas mon programme, même si on ne peut qu’en rêver. Sous l’angle de la foi chrétienne, j’ose affirmer que le confinement fut sans doute une bénédiction pour l’Eglise, en tout cas que c’en fut une pour moi. Comme une longue retraite monastique qui permit de se recentrer sur l’essentiel.

Mais aujourd’hui, je lis avec vous des textes très stricts sur le comportement à adopter pour le chrétien.

Lectures de base :

2 Corinthiens 6 :14-18 (version La Colombe)

« 14  Ne formez pas avec les incroyants un attelage disparate. Car quelle association y a-t-il entre la justice et l’iniquité ? Ou quelle communion entre la lumière et les ténèbres ?

15  Et quel accord entre Christ et Bélial ? Quelle part le croyant a-t-il avec le non-croyant ?

16  Quel contrat d’alliance entre le temple de Dieu et les idoles ? Car nous sommes le temple du Dieu vivant, comme Dieu l’a dit : J’habiterai et je marcherai au milieu d’eux ; Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple.

17  C’est pourquoi : Sortez du milieu d’eux ; Et séparez-vous, dit le Seigneur ; Ne touchez pas à ce qui est impur, Et moi, je vous accueillerai.

18  Je serai pour vous un père, Et vous serez pour moi des fils et des filles, Dit le Seigneur tout-puissant. »

Actes 2 :40 (idem)

« 40  Et, par beaucoup d’autres paroles, il rendait témoignage et les exhortait, en disant : Sauvez-vous de cette génération perverse. »

Le premier texte est de la plume de l’apôtre Paul, citant le prophète Esaïe (Chapitre 52 verset 11). Le second texte appartient à la prédication de l’apôtre Pierre, le jour de la pentecôte de la descente du Saint-Esprit, à Jérusalem,  et il cite le livre du Deutéronome, le cantique de Moïse (chapitre 32, verset 5). Donc, des paroles de deux apôtres de poids dans la tradition chrétienne. Les deux hommes choisissent deux angles différents mais qui sont, au final, complémentaires, pour dénoncer la collusion avec le monde.

L’attelage disparate (Corinthiens)

L’image de l’attelage inadéquat est inspiré directement du Pentateuque. Cela fait partie des principes enseignés par la Loi, de manière métaphorique. Nous savons que si nous attelons ensemble un bœuf et un cheval il y aura des problèmes de conduite et de contrôle. Paul part de cette image pour en faire une transposition au plan spirituel. Il énonce ainsi une série de couples antinomiques : justice et mal, lumière et ténèbres, Christ et diable, croyant et incroyant, Temple de Dieu et autel des idoles… Sur tous ces points, il y a antinomie avec le monde profane. On peut lire cette interdiction à différents niveaux :

  • Au plan individuel, se pose la question du couple, entre autres. Les couples qui n’ont pas en commun les valeurs énoncées par Paul ne peuvent pas fonctionner convenablement dans leur intégrité, car les conflits vont se multiplier, tant au plan spirituel que matériel. Cette mise en garde est une préoccupation constante des Eglises chrétiennes dès l’origine. Je dois ici faire une petit remarque digressive : à certains, cette instruction à ne pas épouser une ou un non-croyant semble une monstruosité sociale qui serait la preuve d’un autisme social et d’un manque d’amour évangélique. Je ne répondrai pas sur ce terrain qui est celui du préjugé pseudo-moderne. J’invite les partisans de cette position à rencontrer des chrétiens qui vivent dans un couple où l’un des deux est converti et l’autre pas (je parle ici de chrétiens engagé et pas de vernis sociologique, style messe de minuit ou de Pâques seulement), et à les écouter parler de la difficulté de leur existence au quotidien. Il leur suffit ensuite d’aborder les mêmes sujets avec des couples de croyants : la démonstration est assez parlante pour que je n’insiste pas. Cette instruction de Paul est un constat concret. Il a une portée universelle, loin de l’air du temps actuel qui refuse l’idée même d’une contrainte quelconque. Revenons à notre sujet. Un des exemples les plus connus de couples divergents sur les valeurs de fond est celui des parents qu’Augustin (plus tard appelé Saint-Augustin par l’Eglise Catholique, dont il fut un des évêques et un des Pères de l’Eglise). Dans Les Confessions, il décrit précisément ce que son père voulait pour lui et ce que sa mère désirait, soit deux visions différentes, car la mère était chrétienne et voulait avant tout le salut de son fils, et le père, patricien local, voulait une carrière pour son fils. Finalement le fils s’éloignera du père et la mère suivra Augustin en Italie, lors de ses études, elle l’accompagnera de sa prière jusqu’à ce qu’il se convertisse, on sait de quelle manière grâce à son livre. Elle a été amenée à faire un choix radical dans son couple, car c’était un attelage disparate. Il y a donc là une question grave, qui n’est pas un dogme, mais une instruction de sagesse. Dieu peut amener la conversion d’un conjoint, les exemples sont nombreux. Mais le choix de former un couple avec un croyant épargne des années de lutte. A chacun donc de décider, en toute connaissance de cause. Je pense que l’on peut aussi étendre ces choix individuels au champ professionnel, amical intime etc…
  • Au plan collectif, disons communautaire, au stade de l’église locale, la même exigence de séparation est nécessaire. L’Eglise ne peut pas être unie au pouvoir politique, social ou économique. Les ennuis pour les chrétiens ont commencé avec la mainmise de Constantin sur l’Eglise, à partir de 312. Elle n’a ensuite jamais réussi à sortir de ce joug impropre. Même la réforme luthérienne est retombé dans ce travers, avec les princes allemands. Seules les Eglises radicales (Cathares, Bogomiles, Hussites, anabaptistes, Quakers ou Amish…) ont maintenu la séparation. Cet appel au séparatisme est évidemment très mal vu dans le climat actuel de relativisme religieux et d’universalisme frelaté. Mais le communautarisme qui sape les fondements de nos sociétés est aussi une réponse à la dérive de celles-ci, et refuser de reconnaître les échecs et erreurs en la matière ne peut aider à régler le problème. Le principe de Jésus de rendre à César ce qui lui revient et à Dieu ce qui lui revient est toujours d’actualité et demeure la seule attitude évangélique cohérente avec la foi chrétienne. Le salut du monde ne peut venir de l’action politique humaine, puisqu’il s’agit d’un tout autre enjeu, celui de l’âme, que la politique nie et ne peut aider.

La « génération perverse » de Pierre (Actes)

Dans sa prédication de Pentecôte à Jérusalem, Pierre va encore plus loin. L’auditoire auquel il s’adresse est exclusivement juif. C’est un Juif qui parle à des Juifs. Or, que leur demande-t-il ? De se « sauver de cette génération perverse »…

La prédication de Pierre est très agressive (elle retrouve les grands accents apocalyptiques des prophètes juifs antérieurs) et l’on comprend que les apôtres aient été arrêtés (Actes 4 :1-3). Le ressort de cette agressivité est le rôle des Juifs et de leur Sanhédrin dans la condamnation de Jésus. Pierre appelle donc ses frères juifs à quitter leur religion. Bien sûr ce n’est pas encore la construction volontaire d’une Eglise chrétienne, mais la séparation est actée, dès le début de l’annonce de la Résurrection du Christ.

Nous savons que ce thème du retrait et de la coupure d’avec le monde sans Christ a été et demeure toujours un point nodal du christianisme.

Alors, faut-il accepter que celui qui est appelé par le Christ et convaincu par le Saint-Esprit se coupe du monde pour rester dans la pureté doctrinale ? De nombreuses sectes et églises sectaires appellent à couper les relations familiales et amicales, à élever les enfants en circuit fermé, à avoir le moins de contact et de dépendance possible avec les non-croyants.

Se faire « tout à tous »

Faut-il agir de cette manière pour être un bon chrétien fidèle ? La réponse a cette question est apportée par le même apôtre Paul, dans sa première lettre aux Corinthiens – elle est donc antérieure à l’appel à la séparation.

Lecture de base : 1 Corinthiens 9 : 19 à 23 (version La Colombe)

« 19   Car, bien que je sois libre à l’égard de tous, je me suis rendu le serviteur de tous, afin de gagner le plus grand nombre.

20  Avec les Juifs, j’ai été comme Juif, afin de gagner les Juifs ; avec ceux qui sont sous la loi, comme sous la loi — et pourtant je ne suis pas moi-même sous la loi — afin de gagner ceux qui sont sous la loi ;

21  avec ceux qui sont sans loi, comme sans loi — et pourtant je ne suis pas moi-même sans la loi de Dieu, mais sous la loi de Christ — afin de gagner ceux qui sont sans loi.

22  J’ai été faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver de toute manière quelques-uns.

23  Je fais tout à cause de l’Évangile, afin d’y avoir part. »

Dans ce passage, Paul dresse une liste de tous ceux qu’il a côtoyés : les Juifs, les sans-Loi, les faibles…Il y dans ce texte cette formule devenue proverbiale chez les chrétiens : « Je me suis fait tout à tous », expression qui est la traduction parfaite de l’original grec.

C’est une formule de la plus large inclusion possible. Vous pouvez remplacer les mots de Paul par des catégories d’aujourd’hui : athées, homosexuels, transgenres, roms, kurdes, handicapés… Paul ne choisit pas : c’est tout à tous, donc un engagement complet.

Evidemment, ceci est l’exact contraire de ce que nous avons lu et dit plus haut. Sommes-nous en face d’une grande contradiction entre les textes d’un même auteur ? Si on lit attentivement le dernier texte et notamment les versets 19b, 21b et 23, la réponse est claire : aucune contradiction[1].

L’appel de Paul à la séparation, vu plus haut, concerne le cadre de la vie chrétienne sous tous ces aspects. Il ne saurait être possible de mélanger le pur et l’impur, car cela ne serait plus la foi du Christ. S’engager dans la vie de Christ, c’est un choix radical qui ne supporte pas le compromis. Relisez Apocalypse 3 : 15-16, sur les tièdes :

« 15  Je connais tes œuvres : tu n’es ni froid ni bouillant. Si seulement tu étais froid ou bouillant !

16  Ainsi, parce que tu es tiède et que tu n’es ni froid ni bouillant, je vais te vomir de ma bouche. »

Mais ce que nous enseigne Paul dans ce second texte, est le complément de ce choix radical. Pourquoi doit-on être sur des bases pures ? Pour accomplir la mission de tout disciple, à savoir « de gagner le plus grand nombre » pour le Christ.

Le christianisme n’est pas un club de sauvés, fermé sur lui-même. C’est une communauté missionnaire qui a le monde entier pour champs de mission. Or, il n’y aura aucun homme sauvé et gagné si nous n’allons pas vers eux, si nous ne nous faisons pas « tout à tous ». Ce qui signifie que cette omniprésence au monde sous toutes ses espèces est un commandement moral aussi impératif[2] que la séparation évoquée plus haut. Ceci ne fait que reprendre les paroles mêmes de Jésus en Jean 17 : 15-16 :

« 15  Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les préserver du mal.

16  Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde. »

Jésus prie pour que nous soyons préservés du mal qui règne en maître dans le monde. Il y a donc bien un risque de contamination, quand nous sommes au milieu du monde. Mais Jésus ne veut et ne peut ni l’interdire ni le supprimer. Ce risque, nous en avons déjà parlé souvent, c’est le conformisme ou le mimétisme. Si nous ne nous préservons pas, nous risquons de devenir semblable à la génération perverse, celle qui rejette Dieu. Paul donne aussi sa méthode dans un verset très connu, en Romains 12 : 2, où il emploie lui-même le verbe « conformer ».

« 2  Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, agréable et parfait. »

Le seul remède face à ce risque de conformisme mondain est le renouvellement de l’intelligence. Or ceci ne peut être que le travail de l’Esprit Saint. C’est sa mission propre. Il convient donc de se préserver par des moyens spirituels, d’un danger spirituel. Mais Jésus ne prie pas pour que nous soyons retirés du monde, il veut simplement que nous ne soyons pas confondus en lui.

Le chrétien funambule réalise sans cesse l’équilibre entre séparation et inclusion

Si nous essayons de faire le bilan de synthèse sur ce que nous venons de lire, voici quelques traits saillants à garder dans nos cœurs et nos intelligences.

  • Le salut du Christ est une sortie de l’esprit du monde. Cela ne peut se faire qu’en marquant la différence de manière nette. Il n’y a aucune ambiguïté là-dessus. Le christianisme est séparation spirituelle et éthique. Toutes les tentatives d’édulcorer le message de Jésus ont accouché d’échecs cuisants.
  • Le salut ne nous est donné que pour que nous puissions, à notre tour, « sauver quelques-uns » ou « le plus grand nombre ». Cela aussi n’est pas négociable : je suis sauvé pour sauver. Il nous faut interroger les vies chrétiennes qui n’ont jamais amené une seule âme à la lumière. Pour moi ce sont des vies chrétiennes inabouties. Si nous nous mettons au service du Christ, il nous utilisera même à une toute petite échelle. Ce n’est pas le travail des prêtres, des pasteurs, des diacres ou des anciens de prêcher et pêcher les âmes : cela relève d’une conception fausse de l’Eglise et du témoignage. C’est l’affaire de tout croyant de témoigner et sauver.

Nous avons donc l’obligation d’être « dans le monde » – les philosophes disent d’ailleurs que ce trait est constitutif de l’homme, c’est son être-au-monde propre. Même les moines et les moniales sont dans le monde, ne serait-ce que lorsqu’ils prient sans relâche pour le salut des hommes. Nous n’avons pas à avoir peur d’une quelconque contamination si nous sommes dans la foi en Christ. C’est dans le cas contraire, quand nous abandonnons la foi, que nous sommes en grand danger. Si le monde gît sous la puissance du Mauvais, comme le dit 1 Jean 5 :19 («  Nous savons que nous sommes de Dieu, et que le monde entier est au pouvoir du Malin. »), tout ce qui est dans le monde n’est pas satanique et mauvais. Souvenons-nous que l’homme a été conçu à l’image et à la ressemblance de Dieu. Il n’y a pas trace d’une seconde création après l’expulsion du jardin d’Eden. Il nous faut donc savoir trouver ce qui est bon et beau dans la génération actuelle, afin de l’éclairer de l’amour du Christ.

Comme j’espère l’avoir démontré, il n’y a donc nullement des injonctions contradictoires dans les textes de base de cette méditation. Il s’agit au contraire de deux points de vue qui sont en regard mais qui ne doivent pas exister l’un sans l’autre.

Jean-Michel Dauriac – Mars 2021


[1] La pensée de Paul est une pensée-bloc. Lorsqu’il a défini un bloc de doctrine, il n’y revient pas, ou s’il y revient, il le reprend exactement dans les mêmes termes. Il n’est pas l’homme des revirements doctrinaux, il est celui qui édifie.

[2] Il s’agit d’un véritable « impératif catégorique » selon l’expression d’Emmanuel Kant. Il n’y a pas possibilité de s’en détourner si l’on veut appliquer la bonne morale de la raison.

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Belle approche des Psaumes Sur Réflexions sur les Psaumes

C.S. Lewis

Editions Empreintes temps présent 2020

Tout le monde ou presque connaît le livre des Psaumes, au moins par le célébrissime Psaume 23, souvent lu lors des cérémonies de funérailles. (« L’Eternel est mon berger, je ne manquerai de rien… »). Toutes les Eglises chrétiennes en usent abondamment, notamment dans les diverses liturgies et homélies. On les assimile souvent à l’œuvre littéraire du roi hébreu David, car beaucoup lui sont attribués. C’est en réalité une oeuvre collective, écrite par des prêtres le plus souvent, pour des cérémonies au Tabernacle ou au Temple. Il y a 150 Psaumes, c’est le livre le plus volumineux de la Bibliathèque nommée Bible. C’est aussi le plus original, tant il s’agit d’un genre poétique particulier : le Psaume est une prière ou une proclamation à Dieu ou devant Dieu. Mais la lecture complète et attentive de ces Psaumes n’est pas sans surprendre, voir horrifier le lecteur. Dans aucun autre livre de la Bible le vocabulaire n’est aussi agressif contre les ennemis de Dieu. Ils contiennent des appels à la mise à mort, à la destruction, à la ruine… demandés à Dieu par les auteurs. On se trouve aux antipodes du message d’amour des Evangiles. Les Psaumes sont souvent évoqués par les adversaires de Dieu pour montrer la cruauté de la religion et des croyants ; et il est vrai que certains passages ne sont pas inférieurs à ceux du Coran traitant des Infidèles. Alors ? Intolérance contre intolérance ? Haine contre haine ?

C’est à ces questions délicates que répond l’ouvrage de Lewis. Car il a été également choqué par ces formules et n’a pas mis le cadavre dans le placard. Son essai n’est pas œuvre de dogmaticien ou de théologien, et c’est tant mieux, car il est beaucoup plus agréable à lire que les productions de ces spécialistes. C’est l’écrit d’un lecteur assidu doublé d’un écrivain (et accessoirement d’un linguiste). En onze chapitres assez courts, il aborde des thèmes qui traversent tout le recueil. Et il commence par ces questions de diatribes violentes, qui donnent la matière des trois premiers chapitres : Le « jugement dans les psaumes, Les malédiction, La mort dans les psaumes. S’il n’épuise évidemment pas ces sujets, il donne cependant assez d’exemples pour bien situer le débat. Il ramène ainsi dans le contexte historiques ces textes (ils seraient pour ceux de David, du XIème siècle avant JC), ce qui rend tout à fait compréhensible le vocabulaire et les conflits évoqués. Les Psaumes sont en continuité avec le « Dieu jaloux » du Pentateuque, ils correspondent à une époque où le petit peuple monothéiste hébreux devait guerroyer contre tous les autres peuples de Palestine polythéistes ou païens et, en même temps, lutter contre lui-même et la tentation, si souvent montrée dans la Bible, de revenir aux idoles et à leurs rites. C’est une guerre sans merci entre ces deux mondes. Et il faut bien se garder de juger de ces contenus avec notre mentalité de Bisounours du XXIème siècle – Bisounours qui commettent chaque jour des féminicides, des parricides, des infanticides, usent d’armes chimiques, du viol en masse, etc . Lewis reconnaît bien que cette approche de Dieu choque le croyante n Christ, car la révélation par Jésus a établi une autre alliance, ce qui confirme le fait que la révélation n’est pas donnée une fois pour toute, mais est un phénomène continue, du Sinaï au Golgotha. On ne peut reprocher aux hommes qui vivaient il y a trois mille ans de ne pas avoir connaissance de ce qui s’est passé mille ans après eux. Mais il est tout aussi évident qu’il est impossible aujourd’hui de reprendre les termes des Psaumes pour parler des non-croyants et tout aussi impossible de demander le feu de Dieu sur eux après le « Aimez vos ennemis » de Jésus.

Les chapitres suivants de ce livre sont beaucoup plus « légers ». Ils célèbrent ainsi la « beauté du Seigneur » (chapitre 4), sa douceur (5) ou la nature (7). L’auteur s’interroge aussi sur le sens second des Psaumes (11), qui est, pour nous, très important, ou sur la place des Ecritures (10), sans oublier bien sûr ce qui saute aux yeux du lecteur, la louange ((8). Ce livre ne prétend nullement être exhaustif, il est au contraire très lacunaire, et ceci volontairement. Il faut le voir comme pouvant jouer un double rôle : celui d’une introduction, pour le lecteur découvrant les Psaumes, car il oblige celui qui veut l’aborder sérieusement à parcourir l’ensemble du livre pour chercher les références citées ou évoquées ; mais il est aussi une synthèse utile après lecture du livre entier, car il remémore bien des thèmes. Il incombe à chacun de choisir comment en user.

Voici l’exemple parfait d’un ouvrage qui trouvera sa place dans toutes les bibliothèques, qui est à la fois une réflexion sur les psaumes et un témoignage personnel de l’auteur. Ajoutons que sa lecture est très facile car il est écrit dans une langue fluide, selon moi bien rendue par la traduction. Enfin, il n’est pas dénué de pointes d’humour et d’autodérision.

Jean-Michel Dauriac – 28 mai 2021

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