(1) – La relation éducative père/fils
Méditation de sortie de l’Arche n° 22
La version audio de cette méditation est là :
Introduction
La correction, la réprimande, l’autorité, la soumission respectueuse ont toutes très mauvaise presse en ce moment. Notre société, avec quelques décennies de retard, a fini par être gagnée par l’esprit de mai 1968. Souvenez-vous du slogan : « Il est interdit d’interdire » (ce sont les mêmes qui affirmaient : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! »). Ce n’est pas mon propos d’expliquer comment nous sommes parvenus à cet état de fait. Je me constate de constater. Nous retrouvons cette attitude à l’école, où le maître n’a plus de vrai pouvoir et d’autorité légale, mais aussi dans l’approche des nouveaux-nés, auxquels il ne faut rien refuser et, plus largement, dans l’esprit social et politique où le statut de victime est omniprésent, où toute fermeté est taxée de fascisme… Il est assez aisé, si l’on les yeux ouverts, de voir les conséquences délétères de cette position.
La Bible est aux antipodes de ce laxisme qui se dit bienveillance mais n’est en réalité que lâcheté et indifférence. La Bible juive fourmille de textes sur la nécessité de l’autorité parentale. Citons-en seulement deux :
Proverbes 13:24 « Celui qui ménage son bâton déteste son fils ; celui qui l’aime n’hésite pas à le corriger. »
Proverbes 22:15 « L’imbécillité est attachée au cœur de l’enfant ; c’est le bâton de la correction qui l’éloignera de lui. » version NBS.
Le christianisme, religion de l’amour, a-t-il supprimé la sanction et l’autorité ? Certains, victimes d’une lecture très sélective du Second Testament, l’affirment haut et fort. Ce n’est pas du tout l’esprit du christianisme. L’amour n’exclut ni l’autorité, ni la punition, ni la réprimande et l’instruction. Nous allons méditer sur un texte fondamental en la matière.
Lecture de base :
Hébreux 12 : 7-11 (version Segond 1910 et TOB 1977)
Louis Segond 1910 : « 7 Supportez le châtiment : c’est comme des fils que Dieu vous traite ; car quel est le fils qu’un père ne châtie pas ?
8 Mais si vous êtes exempts du châtiment auquel tous ont part, vous êtes donc des enfants illégitimes, et non des fils.
9 D’ailleurs, puisque nos pères selon la chair nous ont châtiés, et que nous les avons respectés, ne devons-nous pas à bien plus forte raison nous soumettre au Père des esprits, pour avoir la vie ?
10 Nos pères nous châtiaient pour peu de jours, comme ils le trouvaient bon ; mais Dieu nous châtie pour notre bien, afin que nous participions à sa sainteté.
11 Il est vrai que tout châtiment semble d’abord un sujet de tristesse, et non de joie ; mais il produit plus tard pour ceux qui ont été ainsi exercés un fruit paisible de justice. »
TOB 1977 « 7 C’est pour votre éducation que vous souffrez. C’est en fils que Dieu vous traite. Quel est, en effet, le fils que son père ne corrige pas ?
8 Si vous êtes privés de la correction, dont tous ont leur part, alors vous êtes des bâtards et non des fils.
9 Nous avons eu nos pères terrestres pour éducateurs, et nous nous en sommes bien trouvés ; n’allons-nous pas, à plus forte raison, nous soumettre au Père des esprits et recevoir de lui la vie ?
10 Eux, en effet, c’était pour un temps, selon leurs impressions, qu’ils nous corrigeaient ; lui, c’est pour notre profit, en vue de nous communiquer sa sainteté.
11 Toute correction, sur le moment, ne semble pas sujet de joie, mais de tristesse. Mais plus tard, elle produit chez ceux qu’elle a ainsi exercés un fruit de paix et de justice. »
La lecture des deux versions est éclairante des problèmes inhérents à la traduction :
- Une traduction est toujours une adaptation, puisque le terme originel a souvent peu ou pas d’équivalent dans notre langue (surtout dans les textes très anciens comme la Bible). Ici c’est mot grec Paideia[1] qui est en cause, je vais y revenir.
- Une traduction est toujours produite dans un contexte précis, historique, social, culturel et religieux. Les traductions du XVIe siècles dans les langues dites vulgaires sont une volonté de rendre accessibles le texte biblique à tout lecteur ou auditeur. On y trouve la langue du temps, avec le sens des mots de l’époque. Notre texte est très éclairant de ce point de vue, quand on compare le même texte traduit à près de cent ans d’écart – car la Bible Segond est une reprise la version dite Synodale chez les protestants, déjà œuvre de Louis Segond en grande partie, et date des années 1880.
De quoi est-il question ici ?
- D’un père et d’un fils ;
- de la correction du père envers son enfant ;
- du sens de cette correction ;
- de son analogie au plan spirituel.
La relation éducative père-fils
Le texte tourne autour d’une relation filiale, abordée selon deux contextes : le contexte familial terrestre et le contexte transcendant de Dieu.
Les versets 7 & 8 posent le cadre précis du problème particulier de ce texte. Il conviendrait de lire le texte entier du verset 4 au verset 11. Juste avant notre texte, l’auteur cite Proverbes 3 : 11-12 :
« 11 Mon fils, ne méprise pas la correction de l’Eternel, Et ne t’effraie point de ses châtiments ;
12 Car l’Eternel châtie celui qu’il aime, Comme un père l’enfant qu’il chérit. » version NEG.
Comment la Bible comprend-elle la relation père-fils (ou père-fille pour notre époque, alors que dans le contexte de ce temps, c’étaient les mères qui éduquaient les filles) ? Elle la voit manifestée en deux comportements qui peuvent sembler contradictoires, mais qui ne le sont pas en fait.
- Dieu, le Seigneur, aime sa créature comme un père aime son fils. C’est le sens de la citation des Proverbes. Ce qui prouve bien qu’il n’y a pas opposition entre un Dieu terrible du Premier Testament et un Dieu d’amour de Second Testament. Dieu aime l’homme dès le début de la Genèse. En Genèse 1 : 26- 31 il nous est dit que Dieu vit que ce qu’il avait fait était très bon :
« 26 Puis Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre.
27 Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme.
28 Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.
29 Et Dieu dit : Voici, je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d’arbre et portant de la semence : ce sera votre nourriture.
30 Et à tout animal de la terre, à tout oiseau du ciel, et à tout ce qui se meut sur la terre, ayant en soi un souffle de vie, je donne toute herbe verte pour nourriture. Et cela fut ainsi.
31 Dieu vit tout ce qu’il avait fait et voici, cela était très bon. » version Louis Segond 1910.
Il ne faut jamais perdre ce fil rouge de l’amour de Dieu pour nous. Il traverse toute l’Ecriture, jusqu’aux derniers chapitres de l’Apocalypse, où le Père délivre sa créature de la mort et de tout ce qui constitue le mal (Apocalypse 21 : 1-4).
- Ce père aimant éduque son fils et le corrige, quand il agit mal ou se trompe. Il y a là une démarche éducative envers l’enfant. Ce n’est pas un châtiment, comme Segond l’a traduit[2], mais une correction éducative, un redressement de comportement. Tout cela en vue de faire du fils un homme droit, qui pratique le bien et fait la fierté de son père. Notre siècle a totalement perdu de vue le sens de ce qu’est l’éducation dans son sens culturel profond et non administratif et légal. Il est interdit de punir, de corriger – à la main – l’enfant qui est protégé par une charte établissant ses droits au niveau international. La gifle corrective est, en France, interdite depuis la présidence Macron et ceci a été célébré comme une victoire sur la barbarie de l’ancien monde. Mais, encore un fois, les devoirs sont systématiquement oubliés dans ces textes proclamatoires, ou laissés de côté. Le fils a le devoir de faire la joie de son père par son comportement, selon l’approche biblique. Quand il se trompe, le père doit le reprendre, pour l’éloigner de l’erreur. Il n’y a pas d’éducation sans contrainte, l’enfant laissé à lui-même va d’erreur en erreur, car il n’a pas encore les moyens de se gérer seul. L’éducation corrective est le devoir du père. Mais il l’accomplit dans l’amour, pour le bien du fils.
Mais il y a un troisième personnage dans le texte :le bâtard. C’est celui dont le père ne s’occupe pas, car il n’est pas son enfant légitime[3]. Si nous échappons à l’éducation corrective, c’est que celui qui l’applique n’est pas notre père. Le bâtard est ignoré, il n’ a pas part à l’héritage. La preuve de l’amour du père est dans l’éducation corrective apportée au fils. L’auteur de l’Epître aux Hébreux parle d’une privation, d’une exclusion de la correction pour le bâtard. Il vit sa vie sans père.
Le sens de l’éducation du père envers son fils
L’éducation de l’enfant est une préoccupation de la Bible. Dans la Bible juive le lecteur peut trouver de nombreux versets sur ce thème. Mais il ne faut pas s’attendre à y trouver un code d’éducation.. Ce que les chrétiens ont eu très souvent tendance à faire. Nul besoin de détailler ce qu’est cette éducation, c’est la Loi de Moïse. Pour un juif, les Dix Paroles et les 613 mitsvot Pentateuque sont le code de l’éducation. L’enfant doit apprendre à respecter la loi pour devenir un bon juif. A noter que, dans la tradition culturelle orientale, toutes les remarques sur l’éducation concernent un fils et non une fille. L’Epître aux Hébreux reprend ce schéma, avec trois emplois du mot « fils » en grec (uois) dans les deux versets 7 et 8. Il y aurait beaucoup à dire sur cette approche, mais ce n’est pas ici le lieu. Je rappelle cependant l’existence d’une théologie féministe (née dans la seconde moitié du XXe siècle), tout à fait justifiée, tant le texte biblique est marqué par le contexte patriarcal oriental.
Deutéronome 8 : 5 « Connais donc en ton cœur que l’Eternel ton Dieu te châtie, comme un homme châtie son enfant. » version Maredsous.
Voici cependant un texte qui use du terme neutre « enfant », avec cependant la réserve que de nombreuses versions gardent ici le mot « fils ». Le texte déjà cité auparavant (Proverbes 3 :11-12) offre la même neutralité.
Dans le cadre de l’Evangile et de l’Alliance Nouvelle que Jésus est venue annoncer et accomplir, il y a nécessairement un changement d’optique. Dans les Evangiles, à plusieurs reprises, Jésus est décrit discutant avec des enfants et les bénissant, sans compter ceux qu’il guérit. Le terme générique « enfant » inclue garçons et filles. Dans ses écrits, Paul parle, lui aussi, des « enfants », avec la même inclusion. Les parents chrétiens ont la charge d’éduquer dans la vérité évangélique leurs enfants, ils en sont responsables.
Pour le christianisme, la Loi de Moïse n’est plus l’horizon indépassable. Jésus est venu accomplir (donc achever) cette loi, en vivant sans péché, ce qui rend inutile la Loi, dont le but précis est de régler le problème du péché de manière pratique. Il faut relire les chapitres 3 & 4 de l’Epître aux Romains et l’Epître aux Hébreux pour saisir l’ampleur de cette révolution spirituelle. Le Christ, auquel un scribe demandait quel est le plus grand commandement de la Loi, répond en mentionnant seulement deux prescriptions.
Marc 12 : 28-32 : « Un des scribes, qui les avait entendus discuter, sachant que Jésus avait bien répondu aux sadducéens, s’approcha, et lui demanda : Quel est le premier de tous les commandements ?
29 Jésus répondit : Voici le premier : Ecoute, Israël, le Seigneur, notre Dieu, est l’unique Seigneur ;
30 et : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force.
31 Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là. » version Segond 1910.
L’amour se substitue donc comme loi à tous les commandements et prescriptions antérieures. Toute la règle de vie est résumée par Jésus en une seule phrase, qu’on appelle parfois la « règle d’or » de la vie chrétienne :
Matthieu 7 : 12 : « Tout ce que vous voulez que les gens fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux : c’est là la Loi et les Prophètes. » version NBS.
Conclusion
Le contenu de l’éducation selon le Second Testament est donc un principe d’amour et de réciprocité. Tel est le projet de l’éducation dont il est question dans nos versets 7 à 11 du chapitre 12 des Hébreux. Et les parents feraient bien de s’en souvenir, pour ne pas, eux-mêmes, se tromper de voie éducative.
Les parents aimant leurs enfants, les éduquent dans la voie de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain. Ce qui diverge de ce but doit être corrigé, mais seulement cela. Nous verrons dans la méditation suivante ce qu’il en est de l’analogie spirituelle.
Jean-Michel Dauriac – février 2022.
[1] Le mot concerne tout ce qui a trait à l’éducation et à la formation. Il est à la racine du mot « pédagogie ».
[2] A l’époque de Louis Segond (1880-1910 pour la traduction), le châtiment corporel était reconnu comme un moyen éducatif et pratiqué dans les écoles. En France, il n’a pas survécu à mai 1968. Le mot « châtiment » traduit donc un contexte éducatif sévère et il ne choquait personne à l’époque, alors qu’il est difficilement acceptable dans un discours sur l’éducation au début du XXIe siècle. Cependant, il ne correspond pas vraiment à l’idée du terme original grec qui parle d’acte éducatif, de formation, de redressement, de correction de trajectoire… Or, toute une approche de théologie pratique s’est bâtie sur cette mauvaise traduction.
[3] On peut bien sûr, légitimement penser que tout enfant a droit à l’éducation et réprouver le rejet paternel. Ce n’est pas le vrai sujet de ce texte, où le bâtard est un simple figure de la non-filiation, contrairement au fils légitime. L’image prend tout son sens l’analogie spirituelle.
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