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Catégorie : Bible et vie

Témoignages sur la vie intellectuelle et spirituelle du XXe siècle –

 A propos de : Les grandes amitiés

Raïssa Maritain

Desclée de Brouwer – 1949

Il  est malheureusement certain que le nom de Maritain ne dit plus rien à la grande majorité de nos contemporains, à l’exception de quelques catholiques érudits, des philosophes cultivés et des thomistes, espèce elle-même fort réduite en dehors des Dominicains. Et pourtant les « trois Maritains », comme on le disait à l’époque, furent de grande renommée en France entre 1920 et 1970. Il s’agissait de Jacques Maritain, de sa femme Raïssa et de la sœur de celle-ci, Véra. Tous les trois furent au centre d’une certaine vie intellectuelle et spirituelle française durant au moins quarante ans. Ce livre en est un témoignage majeur.

Situons donc les Maritain pour ceux qui en ignorent tout. Raïssa et Jacques se rencontrent à l’Université, en faculté de sciences, au tout début du siècle. Raïssa a juste 17 ans quand elle rentre en Sorbonne (il lui a fallu une dispense pour pouvoir passer le baccalauréat, car elle était en dessous de l’âge légal). Son parcours jusque-là est déjà tout à fait exceptionnel, car elle est née russe, à Rostov-sur-le-Don, de parents juifs. Après avoir quitté Rostov pour Marioupol (un nom que les Français connaissent bien depuis la guerre Ukraine-Russie, car ce port fut le lieu d’une très âpre bataille), elle fréquente l’école primaire russe. Mais ses parents décident d’émigrer pour que leurs filles puissent étudier, car cela est très difficile pour des juifs en Russie, à ce moment-là, de faire des études longues et, a fortiori, pour des filles. Visant les États-Unis, ils s’arrêtent cependant à Paris, sur le conseil d’un ami qui leur en vante les atouts. La fillette apprend le français scolaire en deux mois et brûle les étapes. Elle adopte avec enthousiasme la culture et la littérature française et poursuit donc son cursus en Sorbonne. Là, elle fait la connaissance d’un jeune homme un peu plus âgé qu’elle, qui devient son meilleur ami, Jacques Maritain. Mais très vite l’amitié fait place à l’amour et ils se fiancent secrètement. C’est le début d’une histoire d’amour exceptionnelle que seule la mort rompra. Ils sont, dès le début, dans une vraie communion de pensée qui ne se démentira jamais. Toute leur existence, ils penseront et agiront à deux. À tel point que les oeuvres complètes sont éditées sous le nom Jacques & Raïssa Maritain, alors que Jacques en est le rédacteur principal. La jeune sœur de Raïssa partagera leur vie, d’où le surnom « les trois Maritains ».

Ce livre est un ouvrage de mémoire. Il est le livre du souvenir de tous les amis qu’ils se sont fait lors de leur existence. Raïssa en entreprend la rédaction à New York en 1940 et le publie en deux volumes, dans cette ville : en 1941, Les Grandes Amitiés, et en 1944, Les Aventures de la Grâce.  Il sera publié en France en 1949 en un seul volume sous le titre Les Grandes Amitiés, mais on y retrouve les deux parties bien individualisées. J’ai trouvé ce livre chez un bouquiniste et, comme d’habitude, je l’ai laissé dormir quelques années sur mes rayonnages, avant de me sentir poussé à le lire. Car je suis intimement convaincu qu’il y a un bon moment pour lire chaque livre, et que ce n’est pas nécessairement lors de sa sortie. Le lecteur « de métier » ne choisit pas ses livres par hasard, même si le hasard le guide souvent vers eux. Il les adoube parmi toute la production présente et passée. Parfois, c’est sur la beauté du titre, parfois sur le sujet, souvent sur l’auteur – tant il se noue des complicités fortes entre lecteurs et auteurs. Pour celui-ci, c’est le nom Maritain qui m’a attiré, car je savais son importance pour les milieux catholiques et je voulais savoir pourquoi. Entre-temps j’ai lu un peu de la philosophie de Jacques Maritain. Et j’ai eu envie d’en savoir plus. Retour vers le livre en attente.

Ce livre porte fort bien son titre : il s’agit exclusivement de rendre compte d’histoires d’amitié. La vie (d’aucuns diraient la Providence) a placé Jacques et Raïssa dans un destin central autour duquel ont gravité des personnes, célèbres et inconnues, dans une ambiance baignée de foi et de spiritualité. Tout a commencé, assez classiquement, par une crise existentielle des deux jeunes gens, alors simplement amis et fiancés. Ils trouvaient que leurs existences n’avaient pas de sens, au double sens du mot, intellection et direction. La science, en laquelle ils avaient mis leurs espoirs leur apparut assez vite incapable de répondre à leur recherche[1]. À cette époque, elle était essentiellement positiviste et antireligieuse, tout aussi dogmatique que ce qu’elle combattait. Si la science ne pouvait rien, il ne restait que la philosophie, ce qu’ils crurent trouver en la personne d’Henri Bergson dont ils suivaient avec passion les conférences du Collège de France. Cet auteur leur ouvrit l’horizon de la métaphysique, mais sans apporter vraiment la réponse. C’est que ce qu’ils cherchaient était déjà en germe en eux et voulait éclore. Le livre raconte le lent chemin vers la découverte de la foi chrétienne, catholique en l’occurrence. Ils y vinrent par la rencontre avec le plus vociférant, mais le plus mystique des catholiques, Léon Bloy, dont ils devinrent des familiers : ce fut le début d’une amitié sans faille jusqu’à la mort du couple. Bloy les initia, à sa manière, à une foi brûlante qui ne supporte pas les compromis. Ils firent ainsi la rencontre du Christ et de toute l’architecture spirituelle catholique. J’appelle ainsi le rôle et le culte des saints, les Pères de l’Église et les docteurs de l’Église, et surtout Saint Thomas d’Aquin. Leur vie était engagée sur la voie qu’ils allaient suivre jusqu’au bout : celle d’une foi autant construite sur le Christ que sur l’Église[2]. Dès lors le récit du livre tisse ensemble la marche spirituelle des Maritain et leurs rencontres, toutes axées sur le Christ.

Nous voici donc avec un jeune couple (plus la jeune sœur, elle aussi convertie) devenu chevaliers du Christ et de l’Église. Partout autour d’eux, leur conversion laissa pour le moins perplexe, voire suscita l’ironie. Les plus choqués furent leurs parents respectifs, pour des raisons différentes. Du côté de Raïssa et Véra, il s’agissait en quelque sorte d’une trahison à la judéité, bien que cette famille ne soit guère religieuse, mais on sait que le judaïsme est la culture des juifs autant que leur religion. Pour les parents de Jacques, plutôt détachés ou influencés par le protestantisme, c’était tout aussi incompréhensible. Sur ce sujet familial, le livre est fort intéressant, car il montre comment la patience de Dieu agit envers les âmes qui l’ignorent. Le père de Raïssa se convertit juste avant sa mort et sa mère encore plus tard. Pour Jacques, ce ne fut pas aussi net. On y découvre la mère de Jacques amie intime de la famille Péguy, mais on ne la voit pas se convertir au catholicisme. Par ailleurs, ce livre est émaillé de rencontres qui se terminent pour la plupart par des conversions bien réelles. La liste en serait longue et fastidieuse, d’autant plus qu’elle comporte des inconnus anonymes et des personnes connues en ce temps-là, mais dévorées depuis par l’oubli. Trois hommes dominent ces souvenirs : Léon Bloy, qui ouvre le chemin et dont le récit de la mort clôt le livre ; Ernest Psichari, petit-fils d’Ernest Renan, jeune militaire en quête d’absolu ; et Charles Péguy, l’aîné de quelques années, dont le chemin spirituel fut loin d’être aussi limpide que celui des Maritain. Autour de ces trois figures de proue gravitent des couples et des individus, également touchés par la Grâce, souvent acteurs fidèles et obscurs d’une vie engagée au service de la foi.

Ce livre est gouverné par la foi de son auteur, c’est un livre de croyante pour des croyants, ou au moins des « cherchant Dieu ». Au cœur des récits se trouve la conversion. Car tous les amis qui sont évoqués sont passés par cette expérience de « retournement » sur le chemin qu’ils empruntaient. Eux-mêmes, Jacques et Raïssa sont le fruit de la rencontre d’un converti fameux, Léon Bloy. Et, à leur tour, ils vont agir pour conduire d’autres à la conversion. Car il ressort bien de cet ouvrage que ce n’est jamais un homme qui convertit un autre homme, mais c’est bien l’œuvre du Saint-Esprit. Tout ce que peut faire le témoin, c’est accompagner, expliquer, soutenir et prier. Toutes ces actions sont bien montrées au fil du récit. On mesure aussi que le temps de Dieu n’est pas le temps des hommes : pour certains, la conversion est rapide, parfois instantanée, pour d’autres elle demande des années de cheminement. C’est le cas de Péguy, auquel de nombreuses et belles pages sont consacrées. Par l’éclairage de Raïssa, on mesure bien le drame spirituel de Péguy, tout à fait revenu à la foi, mais ne voulant pas s’engager officiellement pour ne pas blesser son épouse, notamment sur la question du baptême des enfants du couple. La vie de Péguy en paraît encore plus inachevée que l’on sait sa mort dès les premiers temps de la guerre. Un autre exemple bien développé est celui d’Ernest Psichari, dont j’ai déjà parlé. Il lui fallut d’abord s’engager dans la vie de soldat pour trouver un cadre nécessaire à sa vie, puis un séjour de trois années dans le désert de Mauritanie, comme méhariste, pour arriver enfin à la complétude de la foi. Lui aussi fut fauché par cette guerre absurde dès les commencements : il avait trente ans ! Le personnage qui se taille la part du lion est Léon Bloy. Ceux qui me liront auront sans doute du mal à imaginer quelle était la place de cet écrivain à la fin du XIXe siècle en France. Peut-être même ignorent-ils tout simplement son nom (comme on ignore les noms de grands écrivains de ce temps qui ont été laminés par le modernisme, le marxisme et l’enfer scolaire des études littéraires). Qui peut dire avoir vingt ans et avoir lu Anatole France, Jules Romains, George Duhamel ou Martin du Gard ? Et je crois qu’on eut sans souci pousser le curseur de l’âge jusqu’à soixante ans. C’est un véritable cimetière des éléphants que cette période littéraire qui court de 1880 à 1945. Léon Bloy est enseveli dans ce vaste tombeau collectif. Et pourtant, à sa création, la collection du Livre de Poche a réédité dans son format tous ces auteurs, mais depuis, ils ont sombré dans l’oubli. Une recherche sur internet de leurs titres et un passage par les catalogues d’éditeurs suffisent à en faire la démonstration. Parfois, cependant, un courageux ressort certains titres, à la faveur d’un film ou d’un événement qui en remet l’un ou l’autre un peu dans l’actualité. Mais il faudrait que cette réédition soit accompagnée d’un véritable travail d’initiation, notamment chez les plus jeunes, et quand on jette un coup d’œil sur les programmes de lycée, on comprend le drame. La Femme Pauvre de Léon Bloy n’est pas un manga ou une BD. Lire ces auteurs, c’est accepter de faire l’effort de lire une langue soutenue, parfois vieillie, de se trouver dans un univers culturel éloigné dont on ne possède plus les clés. Mais c’est aussi découvrir tout un patrimoine littéraire, des livres qui se sont vendus à des centaines de milliers d’exemplaires et mieux comprendre nos aïeux. Bloy, c’est surtout trois traits majeurs. D’abord une langue, magnifique, inventive, éruptive – voir les titres de ses divers livres. Il est un prosateur sublime, un inventeur, un magicien du verbe. En second lieu, il est un rebelle à l’ordre des puissants, un ami absolu des pauvres, ce qu’il fut toute sa vie (le livre de Raïssa le montre fort bien), un contempteur de la bêtise humaine, de l’esprit de troupeau, une sorte d’anarchiste inclassable. Enfin, et l’on ne comprend rien à son œuvre et à sa vie si on ne saisit pas ce point, il est un chrétien catholique absolu, épris de mystique, amoureux de la vierge de la Salette et des saints. Là est le gigantesque paradoxe de cet homme : comment ce rebelle natif peut-il accepter tout de l’Église (mais pas forcément de ses ministres ! Voici la grande divergence). Bloy ne vit que par et pour le Christ et son univers ; sa vision du monde est exclusivement et absolument chrétienne. À ceux qui connaissent peu ou pas Léon Bloy, le livre dont nous nous entretenons sera fort utile, car il permet de rentrer dans une certaine intimité familiale, de connaître ses pensées quotidiennes, notamment à travers les extraits de lettres qui sont cités. Léon Bloy est comme le buisson ardent de Moïse, il est un feu qui ne s’éteint jamais. Sans cesse, il est axé sur le Christ et ses serviteurs et en fait son inspiration de vie. On comprend quel rôle majeur il a joué dans la conversion des Maritain (il est le parrain de baptême de Raïssa) et dans la suite de leur chemin. Il est à l’initiative de leur vie spirituelle et, comme un signe d’accomplissement, il est à la fin du livre, lorsque Raïssa nous conte ses derniers jours. Il est l’ami qui a sans nul doute pesé le plus dans la vie de l’auteur.

Ce livre dévoile aussi un peu de l’itinéraire intellectuel de Jacques Maritain, notamment de sa découverte de l’œuvre de Saint Thomas d’Aquin, qui va occuper toute sa vie. Il fut le principal propagandiste du thomisme philosophique de son temps. Il a trouvé chez le « Docteur Angélique » sa référence, la matrice de sa pensée. Toute sa production philosophique personnelle est thomiste. Le récit, entre les lignes, de Raïssa, nous permet de saisir l’enjeu de cette vie intellectuelle et spirituelle de son mari. Elle évoque aussi, discrètement, mais sans éluder la question, le cheminement politique de son mari. Ceux qui ont voulu le discréditer, dans le petit monde intellectuel de la philosophie, ont mis en avant son compagnonnage éditorial avec Maurras et l’Action Française. Raïssa s’en explique fort bien : ce que Jacques aimait dans le discours de l’Action Française, c’était l’amour de la France. Ila en effet donné des textes à la revue. Mais il n’a jamais été encarté à cette ligue et a rompu avec elle lorsque l’Église l’a condamnée, ce que Maurras ne lui a jamais pardonné. Il s’est ensuite tenu plutôt à l’écart des partis politiques, en étant cependant toujours un chrétien social. Il a alors voué sa vie à l’approfondissement du thomisme et à son enseignement de philosophie à l’Institut Catholique de Paris. De nombreux ouvrages reprenant ses cours sont là pour en témoigner.

Au moment de la guerre, ils sont invités pour tenir des sessions de cours aux États-Unis ; ils y resteront durant tout le conflit, désespérés de ce qui se passe en France, à savoir la défaite, mais aussi la collaboration, la persécution et la chasse aux juifs. C’est pour meubler son spleen que Raïssa a entrepris de rédiger ses souvenirs. La parution en deux volumes correspond à deux projets complémentaires, mais distincts. Le premier est une remémoration et un hommage aux amis, c’est à proprement parler Les Grandes amitiés. Le second était titré Les aventures de la grâce initialement. Dans l’édition française, ceci devient le titre de la seconde partie. Or ces deux livres sont différents dans le but et la construction. Le premier est chronologique et donne à connaître le chemin de conversion des Maritain et de ceux qu’ils ont pu aider. Le second est beaucoup plus axé sur le travail de la Grâce et sur le salut trouvé par ceux qui vivaient loin de lui. La chronologie ici n’est pas l’ossature. Elle est bousculée. Ce sont les thèmes et les expériences des personnages qui mènent le jeu. On y croise des prêtres, dont le père Clérissac est une figure majeure. Mais on revient également sur la vie spirituelle de Charles Péguy (chapitre IV) ou celle d’Ernest Psichari (chapitre V) ; on y reparle de Bergson et de Thomas d’Aquin ; on y croise des amis inconnus, hommes et femmes, on assiste à la conversion du père de Raïssa… C’est toujours sous l’angle de la grâce divine que tout cela est abordé. C’est en ce sens que je disais en commençant que c’était un livre d’une croyante pour des croyants. Aux sceptiques et athées, cela ne pourra qu’arracher un sourire de commisération, tant ils sont dans l’incapacité de goûter aux secrets de l’Esprit.

Le problème de ce livre, le seul à vrai dire pour moi, est son hétérogénéité. Le lecteur ressent le hiatus entre les deux projets. Il peut être gêné par les redites inévitables et les brisures de chronologie, d’autant plus sensibles qu’on lit les deux textes à la suite. Il s’agit donc avant tout d’un problème d’édition. Cette réserve étant posée, je considère que nous sommes en présence d’un témoignage capital pour l’histoire intellectuelle française et, plus spécifiquement, pour la pensée catholique du XXe siècle. Ce livre est à ranger aux côtés des grandes œuvres de mémoire du siècle ou dans la rubrique « vies spirituelles » d’une bibliothèque de chrétien. Dans les deux cas, c’est une lecture que je recommande vivement, en conseillant une lecture posée, chapitre par chapitre, pour pouvoir mieux digérer le contenu, très riche.

Jean-Michel Dauriac – Les Bordes – Janvier 2024.


[1] Je ne puis m’empêcher de faire le parallèle avec la quête scientifique de Léon Tolstoï, lors de sa grande crise existentielle. Il alla vers la science et en subit une déception amère qu’il décrit dans les mêmes termes que Raïssa –lire Quelle est ma foi ? et Confession, à ce propos).

[2] La religion catholique fait de l’Église l’intermédiaire exclusive avec Dieu sur le chemin du salut, par le rôle des sacrements, du clergé et de l’autorité de la parole pontificale. Il n’en est pas de même dans l’approche protestante où la relation personnelle à Dieu le Père par le Christ prime sur tout autre intermédiaire. L’Église n’est qu’un des moyens de Grâce, pas le seul.

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Quoi de neuf? sermon du 31 décembre 2023

Ce sermon est un message de circonstance lié à la date du jour : nous sommes le 31 décembre, dernier jour de l’année civile. Ce soir à 23 h 59’ 59’’ se terminera l’année 2023 et débutera l’an 2024 d’après une hypothétique année zéro qui serait celle de la naissance du Christ. J’aimerais que nous réfléchissions un instant à ce moment et à sa pratique courante dans notre société. Mais que nous y réfléchissions en chrétiens et non en sociologues ou en journalistes.

La spécificité de ce jour

Le 31 décembre est la combinaison courante dans le christianisme catholique historique de deux traditions distinctes :

  • Le jour où on vénère et célèbre le saint appelé Sylvestre.
  • Le jour d’un banquet, hérité de la tradition païenne romaine, pour fêter le début de la nouvelle année.

C’est donc un bel exemple de récupération d’une tradition païenne christianisée, comme le 25 décembre ou le sapin de Noël.

Les médias, chaque année, dans la semaine séparant Noël du 31 décembre répètent à l’envi les sujets sur la Saint-Sylvestre. Absurdité étonnante d’une société matérialiste, qui ne croit plus à Dieu ni à Diable. Le terme est usité, sans voir à quel point cet usage est absurde !

Mais qui était ce Sylvestre fêté le 31 décembre ?

D’après la liste catholique des papes, il fut le 33e pape (évêque de Rome, successeur de Pierre, devenu, à son corps défendant, premier pape de l’histoire chrétienne). Il est le premier évêque de Rome reconnu légalement par le pouvoir romain, ici l’empereur Constantin Ier, qui a pris en 313 un édit de tolérance qui reconnaît officiellement le christianisme comme religion autorisée et, dans les faits, religion fortement privilégiée par Constantin. Sylvestre est élu le 31 décembre 314 et meurt, selon la légende, le 31 décembre 335, après 21 ans d’épiscopat. C’est là son principal sujet de gloire.

Il fut un pape insignifiant, inféodé à Constantin et qui fut surtout un conseiller pour la construction de toute une série d’églises, dont la première basilique Saint-Pierre et Saint Paul-hors-les -murs, deux églises édifiées sur le lieu supposé du martyr des deux apôtres.

Au Ve et VIe siècles, toute une série de légendes incroyables furent inventées et rédigées pour lui donner une véritable consistance, notamment le fait qu’il ait baptisé Constantin, ce qui est historiquement faux, puisque celui-ci reçut le baptême, juste avant de mourir, d’Eusèbe de Nicomédie, prêtre arien, donc hérétique selon la doctrine officielle promue par l’empereur à Nicée.

Le 31 décembre est donc la fête d’un saint sans relief, entouré de légendes invraisemblables. Voilà pour l’aspect religieux du jour.

Quelle fête le 31 décembre au soir ?

  • Une fête strictement profane, dédiée aux excès de table et à la boisson, où il ne fait pas bon être pauvre. Le contraste entre ce que nous donnent à voir les médias et les personnalités et les soirées organisées par les associations humanitaires est saisissant. D’un côté, le gaspillage éhonté, les paillettes et les frous-frous des cabarets, de l’autre des miséreux sortis de la rue par des âmes compatissantes. Un reflet brut de nos sociétés capitalistes libérales.
  • Une fête de la consommation sans limites : voyez les offres de nos magasins, les tarifs pratiqués et les produits proposés. Il semble que cette nuit-là tous les excès soient permis. C’est la symbolique de l’orgie païenne, la fête bacchanale. Le tout habillé par de grands couturiers et des chefs étoilés.
  • Une fête de la renaissance : l’an neuf est censé remettre les compteurs à zéro. On remet tout à plat et, de fait, nous faisons semblant de croire, un bref moment, que la réalité sera différente.
  • C’est le moment de ce que l’on nomme traditionnellement « les bonnes résolutions de l’an neuf » :
  • Les Anglo-saxons ont inventé récemment le « Dry january », le mois de janvier sec, sans consommation d’alcool, sans doute pour purger le corps des abus de la semaine entre Noël et le Jour de l’an.
  • Tout le marché est construit pour nous inviter à prendre le départ d’une vie nouvelle :
  • Promotions multiples ;
  • Campagnes de presse sur les nouveautés de l’année ;
  • Encouragement aux nouvelles pratiques, censées être plus saines, mais surtout monnayables.

Bref, le 31 décembre-1erjanvier manie les contraires sans souci et promeut le rêve de renouveau dont tout le monde sait qu’il n’existera pas, au-delà de quelques velléités vite retombées.

Fadaises répétées invariablement chaque année…

Voici le neuf véritable

Et voici venu le moment de lire un court extrait du Nouveau Testament.

2 Corinthiens 5 :17 : « Si donc quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature ; les choses vieilles sont passées ; voici, toutes choses sont devenues nouvelles. » Version Ostie-Trinquet.

Face au mensonge « sucrée (ou soft) » de notre Saint-Sylvestre ordinaire, le menu de fête du Christ est offert 365 jours par an.

Pour vivre vraiment du nouveau, il n’y a qu’une seule condition, exprimée par Paul : Si donc quelqu’un est en Christ, pour que tout soit renouvelé, il n’y a que cela à vivre : ETRE EN CHRIST.

Cette formule brève est très forte. Elle engage totalement l’être humain. Elle implique :

  • Une décision personnelle, un choix net et revendiqué : c’est la confession personnelle de foi. Chaque croyant décide de choisir Christ, selon des modalités et des circonstances diverses, il n’existe aucun modèle à suivre.
  • La réponse à un appel pressant et permanent du Christ, répandu par l’Eglise :

Matthieu 11 :28 : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et courbés sous un fardeau, et je vous donnerai du repos. » Version Segond 21.

Un appel qui est très personnel : Apocalypse 3 :20 : « Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi. » Version Louis Segond 1975.

Cet appel est intemporel et universel.

  • Un abandon de ce qui nous écrase : le monde profane abuse de l’expression « lâcher prise » dans son marché du développement personnel. C’est Jésus qui ôte le fardeau et qui est le véritable auteur du « lâcher prise ». Notre part est dans la mise en marche et le choix net.

Que se passe-t-il alors ?

La fin de la phrase de Paul, en grec, est d’une brièveté riche de sens : kaine ktisis. Deux mots qui signifie littéralement : « fondation nouvelle ». Le mot est utilisé à l’époque pour la création d‘une ville. Voilà vraiment le nouveau départ.

« Etre en Christ », c’est accepter cette main tendue et vouloir faire le grand saut de la foi devant sa parole d’appel. Dès lors nous sommes, comme Paul le définit dans sa lettre aux Colossiens, 3 :3 :

« 3  Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Christ en Dieu ; » Version Ostie-Trinquet.

« Etre en Christ », c’est mourir volontairement, par la foi, à notre vie humaine ordinaire ; c’est renoncer à la Saint-Sylvestre, pour choisir la vie « cachée en Christ » ; c’est être une fondation nouvelle sur laquelle je puis édifier une vie nouvelle, celle de la vie en Christ, avec l’Eglise. Ce n’est pas une utopie, une rêverie, une légende : nous avons des milliers de témoignages depuis 2000 ans (« la nuée de témoins » citées en Hébreux 11) de cette nouvelle fondation dans la vie des saints, c’est-à-dire de ceux qui se mettent à part pour servir Dieu, ceux qui sont en Christ. Relisons le chapitre 11 des Hébreux dans cette perspective, il est un précieux encouragement, depuis plus de dix-neuf siècles, pour une marche en « nouveauté de vie » (Romains 6 :4 : « Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort, afin que, comme Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, de même nous aussi nous marchions en nouveauté de vie. » Version Segond 1975.

Des vraies vies de vrais croyants rachetés, pas des légendes incroyables…

Conclusion

Devenus « nouvelle créature » en Christ, nous attendons alors avec espérance l’établissement final du Royaume de Dieu.

Apocalypse 21 : 2 : « Et je vis descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, préparée comme une épouse qui s’est parée pour son époux. » Version NEG.

La fondation d’une nouvelle cité, qui est l’ensemble des croyants, l’Eglise Universelle, l’Israël revenu vers Dieu, prête pour le Christ. Et alors survient cette parole proprement sidérante :

Apocalypse 21 :5 : « Et celui qui était assis sur le trône dit : Voici, je fais toutes choses nouvelles. » Version NEG.

D’abord, le Christ fait de nous une nouvelle création puis, quand le temps est venu, l’Eglise entière devient nouvelle cité, refondée par et sur la parole divine, parfaite et sans tâche.

Et là, tout est vraiment nouveau. On est à l’opposé du renouveau de pacotille du 31 décembre, d’une Saint-Sylvestre païenne et injuste.

Nous pouvons décider, si nous ne l’avons pas fait, de devenir « fondation nouvelle ». Et si nous l’avons choisi, de nous rappeler vivement ce choix et cette promesse.

Jean-Michel Dauriac – Décembre 2023.

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Quand les fondements sont détruits, que faire ?

   Prédication du 6 août 2023

Introduction

Il y a quelques semaines, le président E. Macron a parlé, à propos de certains événements dans nos villes françaises, d’un temps de « décivilisation « , ce qui n’a pas manqué de susciter d’abondantes réactions prévisibles, tant positives que négatives, selon les positions politiques défendues. Il y aurait donc un temps de civilisation et un autre de décivilisation. Tous les historiens, les archéologues, les anthropologues et même les sociologues sont d’accord sur le fait qu’une civilisation est un processus.

En 1919, l’écrivain et penseur Paul Valéry écrit, dans un livre titré La crise de l’Esprit, la phrase suivante, sujet de bien des devoirs d’histoire et de philosophie :

« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles »

La Première Guerre mondiale venait d’apporter la preuve sanglante que la brillante civilisation européenne pouvait s’autodétruire. Nous avons eu depuis ce temps de nombreuses autres preuves de cette capacité.

Une civilisation obéit à trois temps que l’on peut repérer partout dans le temps et l’espace de l’histoire du monde :

  1. Une naissance et une croissance qui la mènent à atteindre un plus haut niveau technique, moral et social que l’état antérieur.
  2. Un « plateau », plus ou moins long, où cette situation demeure assez stable, tout en évoluant.
  3. Une chute, lente ou brutale selon les circonstances, que l’on peut nommer « décadence », « effondrement » ou, ici, « décivilisation ». Au terme de ce processus, il peut ne rester que des pierres de la plus brillante des civilisations. La Rome antique, les Mayas, l’Empire mongol sont des exemples connus de ce processus.

Nous sommes, nous autres, Français du XXIe siècle, les membres de la civilisation gréco-judéo-chrétienne occidentale, née à Athènes, 500 ans avant Jésus-Christ. C’est un fait indéniable.

Lisons maintenant notre texte du jour, dans le Psaume 11, au verset 1 à 3 :

« 1 Au chef des chantres. De David. C’est en l’Eternel que je cherche un refuge. Comment pouvez-vous me dire : Fuis dans vos montagnes, comme un oiseau ?

2 Car voici, les méchants bandent l’arc, Ils ajustent leur flèche sur la corde, Pour tirer dans l’ombre sur ceux dont le cœur est droit.

3 Quand les fondements sont renversés, Le juste, que ferait-il ? »

C’est le verset 3 qui sera le sujet de ma prédication :

Quand les fondements sont renversés, Le juste, que ferait-il ? 

Comment interpréter ce texte d’un point de vue de la vie chrétienne pratique ?

On peut proposer une réflexion sur trois attitudes possibles, qui devrait nous aider pour notre propre comportement dans le monde contemporain et la société française.

Le temps de la déploration et du renoncement

Quels sont les fondements renversés ou détruits dont parle notre texte ? Les psaumes du premier livre du recueil (1 à 41) contiennent de très nombreuses allusions à cette ruine des fondations. David est l’auteur de la plupart de ces poèmes, et il écrit souvent sous le coup d’événements dramatiques pour lui. Il s’agit donc du reflet poétique et spirituel d’une vie humaine sous tous ses aspects.

Ainsi le psaume 3 est lié à la révolte de son fils Absalom, qui veut le renverser et s’asseoir sur le trône. Voir 2 Samuel ch. 15-18. Voyons les versets 1 & 2 de ce psaume :

« 1 Psaume de David quand il fuyait devant son fils Absalom. (3-2) Éternel, qu’ils sont nombreux mes adversaires ! Nombreux ceux qui se lèvent contre moi !

2 (3-3) Nombreux ceux qui disent à mon sujet : Point de salut pour lui auprès de Dieu ! (Pause.)»

La menace est bien réelle et la vie de David est menacée, une fois encore.

Le psaume 10 débute aussi par la description d’une situation dramatique. Lisons les versets 1 à 4 :

« 1 Pourquoi, ô Eternel ! te tiens-tu éloigné ? Pourquoi te caches-tu au temps de la détresse ?

2 Le méchant dans son orgueil poursuit les malheureux, Ils sont victimes des trames qu’il a conçues.

3 Car le méchant se glorifie de sa convoitise, Et le ravisseur outrage, méprise l’Eternel.

4 Le méchant dit avec arrogance : Il ne punit pas ! Il n’y a point de Dieu ! — Voilà toutes ses pensées. »

On pourrait multiplier les exemples à l’envi. Pour David, les fondements représentent à la fois la protection-bénédiction de Dieu et un peuple qui marche avec Dieu, dans l’obéissance à la Loi. C’est sa conception du monde, celle qui découle du fait qu’il est né dans une des tribus du peuple hébreu, élu par Dieu.

Chaque civilisation développe sa conception du monde, l’ordre qui est positif et sur lequel elle fonde son existence. Rome était fondée sur un régime politique élitiste, avec des catégories sociales nettes : les patriciens, la plèbe, les esclaves et les autres métèques, le tout cimenté par le culte de l’Empereur comme religion civique. Quand cet édifice s’est lézardé, peu à peu les fondements se sont effondrés. Le christianisme n’a pas pu remplacer cet ordre ancien et a accouché d’une nouvelle civilisation au VIe siècle : la chrétienté occidentale.

Le Moyen Age européen était une société avec trois ordres reconnus : ceux qui faisaient la guerre (les nobles et les seigneurs = bellatores en latin), ceux qui travaillaient (les serfs et les paysans et artisans = laboratores) et ceux qui priaient (les moines et les religieux =  oratores). Ces ordres étaient quasi imperméables et l’édifice était dominé par l’Eglise Catholique Romaine et le Pape. Quand les Seigneurs ont voulu s’affranchir de la tutelle de l’Eglise, les fondements de la chrétienté catholique ont commencé à se fissurer. La Réforme protestante a porté le coup fatal. Un nouvel ordre social a remplacé la chrétienté, c’est l’humanisme et le rationalisme, dont nous vivons peut-être la fin.

Quels sont les fondements sur lesquels nous sommes souvent en train de pleurer. Le « C’était mieux avant » est aussi vieux que l’homme. Nous avons des témoignages écrits fiables de la déploration lointaine des temps antiques, y compris dans la Bible. Les Grecs, les Romains, les Assyriens, les Egyptiens… ont tous laissé des traces de cette déploration.

Le judaïsme se construit sur la nostalgie du jardin d’Eden, sur la mémoire de Jérusalem (voir le très célèbre psaume 137 : « Sur les bords des fleuves de Babylone… ») et sur l’attente d’un messie glorieux. Le christianisme reprend cette base et construit deux extrêmes de l’histoire humaine, au début de la Torah et à la fin du Nouveau Testament : la chute en Eden et le péché originel qui ouvrent la Genèse ; l’établissement de la Jérusalem Céleste, qui clôt l’Apocalypse de Jean. Et entre les deux, les croyants passent leur vie à déplorer l’état de péché du monde et à rêver d’une Eglise idéale qui n’a jamais existé. Et, au nom de ces doctrines, nous jugeons de même le monde où nous vivons comme sans fondations et voués à l’errement du péché. Souvent, nous nous en tenons là. Ce faisant, nous reproduisons le plus souvent des discours récurrents que la littérature chrétienne nous fournit en abondance. Est-ce que la déploration nostalgique fait avancer les choses et corrige la situation ?

Bien évidemment, non. Mais nous nous y plaisons beaucoup et en restons là. Nous sommes les victimes d’un monde qui va à la perdition et de frères et sœurs qui n’arrivent pas à bien vivre l’Eglise.

Si nous en restons là, notre vie est bien triste. Déplorer seulement, c’est abandonner. C’est renoncer à toute lutte.

Le temps de l’analyse et de la réflexion

Le constat de déploration/condamnation est une étape nécessaire. C’est la prise de conscience que les événements sont négatifs, que les fondements sont mauvais ou ruinés, que la vie des hommes n’est pas bonne. C’est un acte de lucidité indispensable.

Luc 15 : 11-32 nous narre une histoire très célèbre chez les chrétiens, sous le nom discutable de « parabole du fils prodigue ». Inutile de la résumer, tout le monde la connaît. Ce fils cadet brûle sa vie et sa part d’héritage, jusqu’à devenir misérable. Ce sont les versets 17-19 qui nous sont utiles dans le cadre de notre réflexion.

« 17 Rentré en lui-même, il se dit : Combien d’employés chez mon père ont du pain en abondance, et moi ici, je péris à cause de la famine.

18 Je me lèverai, j’irai vers mon père et lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi ;

19  je ne suis plus digne d’être appelé ton fils ; traite-moi comme l’un de tes employés. »

Le verset 17 relève de la déploration et de la plainte. Il est misérable et affamé, et sa condition est pire que celle des travailleurs de son père. Il a raison dans son contexte. Il pourrait en rester là et mourir de faim avec son ressentiment et son apitoiement sur lui-même.

Mais aux versets 18-19, il se livre à une analyse lucide et fait 2 constats :

  1. Il a fauté contre son père ;
  2. Il est juste bon à être traité comme un serviteur.

Sa déploration l’a amené à poser un diagnostic sur sa propre situation, et à la décrire sans aucune complaisance.

Que faisons-nous de notre déploration et du constat d’un monde misérable et/ou d’une chrétienté insatisfaisante ? Nous avons seulement deux options :

  • Soit nous nous enfermons dans cet état, et nous ne pouvons que devenir amers et aigris et, donc, faire fuir ceux qui sont autour de nous.
  • Soit nous formulons un diagnostic lucide à partir de cet état de fait.
  • Le monde autour de nous va mal, sans doute bien plus mal qu’il y a 50 ou 60 ans, ou même 40 ans. Pourquoi va-t-il si mal ? Parce qu’il avance sans repères sûrs, car il les a détruits assez systématiquement : l’éducation, l’autorité et la discipline, le travail, l’éthique et la fraternité vont de moins en moins bien. C’est au nom d’une pseudo liberté et d’un faux-progrès que tout cela est accompli, et les hommes se laissent berner par la propagande omniprésente (relire J. Ellul et son traité sur la propagande). Jésus lui-même, à son époque, a comparé les israélites comme des « brebis qui n’ont pas de berger » (Matthieu 9 : 36), preuve que cet état a été perçu à toutes les époques de crise.
  • L’Eglise du Christ, parfaite pour le Père et le Fils, est décevante vue par les hommes. C’est là aussi un constat récurrent. Une grande partie de la prédication de Jésus fustige les religieux de son temps, pharisiens, sadducéens ou zélotes. L’Eglise est, ici-bas, sur la terre, une institution humaine où le Saint-Esprit a parfois du mal à souffler. Les scandales sexuels catholiques sont les faits actuels les plus scandaleux, mais les dérives des télévangélistes américains le sont tout autant, et l’hexagone nous offre de piteux exemples de communautés chrétiennes ou de conducteurs indignes, de sentinelles endormies, d’ignorants heureux… C’est un fait que les Eglises sont imparfaites. Pourquoi donc ? Parce qu’elles persévèrent à rester humaines, au lieu d’être le temple du Saint-Esprit.

Les diagnostics sont donc posés. Qu’allons-nous en faire maintenant ?

Le temps de refonder, redresser les fondations

Nous en arrivons à la question qui nous implique personnellement : « Le juste, que fera-t-il ? » (On peut aussi user du conditionnel : « Le juste, que ferait-il ? »), ce qui permet d‘envisager toutes les situations.

Nous avons vu deux attitudes possibles jusqu’alors, la déploration et le constat lucide. En rester là serait faire preuve d’impuissance. Il nous faut donc poser cette question : Le juste, que peut-il faire ?

On peut dire déjà que la question elle-même est un premier pas. Se demander ce que nous pouvons faire, en tant que chrétiens, pour rétablir des fondations, c’est envisager qu’il y ait une possibilité d’action.

Bien sûr, je peux me sentir légitimement impuissant, incapable face à leur de la destruction. Je suis un simple être humain bien ordinaire, sans pouvoirs politiques, financiers ou éthiques. Je suis désarmé. Et pourtant, je sens intuitivement que je dois agir.

Je ne suis pas le sauveur du monde ni le superhéros capable de changer le cours de l’histoire. (Qui le peut vraiment ?). Reconnaître mes limites est un premier pas.

Ce constat doit m’amener à revenir à la source évangélique, au Christ. Celui-ci a souligné devant ses disciples, à plusieurs reprises, l’importance de la foi. La foi est la confiance en Christ, là où est la vie du croyant. C’est elle qui nous singularise par rapport à tous les autres hommes vivant sans repères ni fondements. C’est d‘abord d’elle que nous devons vivre intérieurement, avant d’agir extérieurement.

Galates 2 :20 affirme cette identité :

« 20 Je suis crucifié avec Christ, et ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ, qui vit en moi ; ma vie présente dans la chair, je (la) vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et qui s’est livré lui-même pour moi. »

Cette position en Christ change tout. Elle est une assurance et une lutte de chaque jour contre l’incrédulité et le doute. Galates 3 : 26-27 nous

«  26 Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Christ-Jésus :

27 vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. »

Nous sommes donc fils de Dieu en Jésus-Christ. Dès lors, c’est dans cette filiation que nous devons agir, car c’est la position du juste (voir les textes de Romains sur la justification par la foi dans le chapitre 5).

Philippiens 4 : 13 va encore plus loin :

« 13 Je puis tout par celui qui me fortifie. »

Nous avons potentiellement tout pouvoir, à l’image de Dieu en Jésus-Christ. Si je puis tout, je n’ai plus aucune excuse pour rester inactif. Ce « tout » ouvre la porte infinie de la foi et de la vie en Christ.

Quelle action mener ?

Dans les deux épîtres à Timothée, l’auteur (Paul ou son école) emploie à trois reprises l’expression « bon (ou beau)  combat » – grec kalos strateias, littéralement la belle expédition militaire -, selon l’école Segond, beau étant plutôt dans la TOB. Voir 1 Tim. 1 : 18 ; 6 : 12 et 2 Tim. 4 : 7.

1 Timothée 1:18  « Mon fils Timothée, je te recommande ce commandement, que conformément aux prophéties qui auparavant ont été faites de toi, tu t’acquittes, selon elles, du devoir de combattre en cette bonne guerre ;

1 Timothée 6:12  Combats le bon combat de la foi ; saisis la vie éternelle, à laquelle aussi tu es appelé, et dont tu as fait une belle profession devant beaucoup de témoins.

2 Timothée 4:7  J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi. »

Le beau et bon combat est, clairement celui de la foi. Cette expression montre clairement que le croyant est un soldat du Christ, il doit mener une lutte militaire, celle du bien contre le mal.

Face à des fondements ruinés, le beau et bon combat est celui qui vise à rétablir des fondations solides, ce qui ne va pas sans risques, évidemment.

Le livre de Néhémie, au chapitre 4 décrit le combat pour reconstruire les murailles de Jérusalem. Nous voyons bien ce que ce récit nous dit symboliquement. Le peuple de Dieu doit refonder la cité de Dieu. Cela se fait par le travail de terrain et par l’intelligence de l’organisation. Les adversaires se sont ligués pour faire échouer cette refondation. Mais ils ont échoué, face à la persévérance et à la veille des juifs.

6 (3-38) Nous avons rebâti la muraille, et toute la muraille fut achevée jusqu’à la moitié de sa hauteur. […]

13 (4-7) C’est pourquoi je plaçai, dans les enfoncements derrière la muraille et sur des terrains secs, le peuple par clans, avec leurs épées, leurs lances et leurs arcs. […]

16 (4-10) Depuis ce jour, la moitié de mes serviteurs travaillaient à l’ouvrage, et l’autre moitié tenait en main les lances, les boucliers, les arcs et les cuirasses. Les chefs étaient derrière toute la maison de Juda.

17 (4-11) Ceux qui bâtissaient la muraille et ceux qui portaient ou chargeaient les fardeaux travaillaient d’une main et tenaient une arme de l’autre ;

18 (4-12) ceux qui bâtissaient avaient chacun son épée attachée aux reins, et ils travaillaient ainsi. Celui qui sonnait du cor se tenait près de moi.

19 (4-13) Je dis aux grands, aux magistrats et au reste du peuple : L’ouvrage est considérable et étendu, et nous sommes dispersés sur la muraille, éloignés les uns des autres.

20 (4-14) Rassemblez-vous auprès de nous, à l’endroit d’où vous entendrez le son du cor ; notre Dieu combattra pour nous.

21 (4-15) C’est ainsi que nous poursuivions l’ouvrage, la moitié d’entre nous la lance à la main depuis le lever de l’aurore jusqu’à l’apparition des étoiles.

22 (4-16) Dans ce même temps, je dis encore au peuple : Que chacun passe la nuit dans Jérusalem avec son jeune serviteur ; faisons la garde pendant la nuit et travaillons pendant le jour.

23 (4-17) Et nous ne quittions point nos vêtements, ni moi, ni mes frères, ni mes jeunes serviteurs, ni les hommes de garde qui me suivaient ; chacun n’avait que ses armes et de l’eau. »

Nous ne pouvons pas accepter les évolutions qui bafouent l’esprit de l’Evangile. Nous devons faire connaître nos oppositions et nos positions. Face à la question de la fin de vie, à la procréation, à la question des identités sexuelles, au bricolage génétique, nous devons, à notre niveau, faire entendre nos voix. Ce qui ne signifie pas que nous devons rester figés sur la lettre du texte biblique, mais en défendre l’esprit. Et comment le faire, si nous sommes ignorants des positions bibliques et chrétiennes ? Cela nous demande un effort d’étude et d’argumentation évangélique.

Matthieu 5 : 14-16 nous décrit notre rôle :

« 14 Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée ;

15 et on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison.

16 Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. »

Il s’agit d’éclairer la maison et les hommes. Agir ainsi, c’est rebâtir inlassablement les fondations que l’Adversaire veut détruire. Il ne s’agit pas de grandes proclamations à des foules, mais du témoignage constant affirmé parmi nos frères humains.

Refonder, c’est parler, mais c’est aussi agir pour la justice et la vérité. Le beau et bon combat est là. Défendre ce qui est juste et vrai dans la pensée de Dieu, pour aujourd’hui, et non adopter des positions biaisées qui fleurissent de nos jours. C’est militer aux côtés de ceux qui défendent des causes justes, être solidaire des petits, des faibles et des pauvres. Je refonde la justice et la vérité quand je défends l’opprimé, le persécuté, l’exploité ou le discriminé. Je refonde par la foi et par l’amour du prochain.

Conclusion

Bien des générations de chrétiens ont vécu des temps de décadence, de confusion et d’effondrement de leurs sociétés. La tentation est alors forte de se borner à la condamnation et à la déploration, qui sont un abandon de poste.

Cherchons à comprendre les raisons de ces situations, avec notre intelligence et avec le Saint-Esprit. Car toute situation a deux aspects : un côté humain, rationnel ou non, et un côté spirituel (ou mystique), que seul l’Esprit peut saisir. Mais ne nous résignons jamais à ce constat lucide d’effondrement.

Agissons et parlons en fils de Dieu en Jésus-Christ. Soyons présents au monde comme acteurs et comme témoins de la Bonne Nouvelle du Royaume. Luttons jusqu’à nos dernières capacités. Il n’y a pas d’âge légal de la retraite spirituelle, elle n’existe tout simplement pas. Alors nous pourrons faire nôtres les propos de Paul en 2 Timothée 4 : 7 :

« J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi. »

Amen

Jean-Michel Dauriac – juillet 2023. Les Bordes.

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