À peu de temps d’intervalle, nous avons appris la mort de deux personnages publics célèbres en France, pour des raisons différentes. Je veux parler de Claude Allègre (4 janvier 2025) et Jean-Marie Le Pen (7 janvier 2025).
J’oserai dire que ces deux disparitions ne m’ont causé aucun chagrin. Ces deux hommes avaient en commun une forme de haine qu’ils avaient exprimée de manière différente, mais très nette.
Commençons par Claude Allègre. À son décès, tout le monde l’a présenté comme un savant immense, dans le domaine de la géophysique du globe. Je ne contesterai pas ce terme, mais je récuserai l’adjectif qualificatif. Que restera-t-il du savant appelé Allègre ? Je crains que l’histoire des sciences soit cruelle avec lui dans un avenir proche. Ce n’est pas à cette réputation de « pointure » scientifique qu’il doit sa célébrité. Mais à son incursion incongrue dans le monde de l’éducation. À part une maman institutrice, Allègre n’avait vraiment aucun lien avec la pédagogie. C’était un mandarin banal, comme il en sévit dans toutes les facultés de France. Pour avoir connu des gens instruits qui avaient été ses étudiants, et ayant confiance dans leur jugement, je dirais qu’il n’avait aucun sens de ce que peut être un comportement de pédagogue, c’est-à-dire, au sens propre et imagé celui qui chemine avec l’élève. Cela fut manifeste à deux moments de sa vie publique. D’abord quand il devint l’éminence grise du gris Lionel Jospin lorsque celui-ci fut ministre de l’Éducation nationale, de 1988 à 1992, si je me souviens bien. Je devrai d’ailleurs dire plutôt « âme damnée » tant son influence fut néfaste. Il est l’inspirateur de la massification de l’enseignement, une fausse bonne idée socialiste, celle qui mettait « l’enfant au centre du système éducatif » (sic). Cette formule, d’apparence anodine pour un non-initié, eut des effets extrêmement mauvais à long terme sur le service d’enseignement français. Je ne le développerai pas ici, mais cette formule est démagogique et stupide ; or, elle fut prise au mot et adoptée par la syndicratie qui cogère le ministère de la rue de Grenelle et engagea l’école sur la pente du renoncement peint aux couleurs de l’égalitarisme et de la pseudoélévation du niveau général des élèves et étudiants. Tous les professeurs honnêtes et expérimentés ont pu en apprécier la nocivité, pour les élèves en premier lieu. Le second moment de célébrité d’Allègre fut son passage au ministère de l’Éducation, lorsque son ami Jospin se trouva Premier Sinistre. Pour comble de malheur, il fut flanqué de Ségolène Royal. Un véritable tandem infernal ! Ceux qui ont vécu ce ministériat se souviennent du mépris de ce ministre, de la baisse du pouvoir d’achat qu’il occasionna chez les professeurs (par baisse du paiement des heures supplémentaires) et de la haine farouche et aveugle qu’il eût pour les Classes Préparatoires et leurs enseignants – il devait y avoir une explication psychanalytique à cela -, qu’il qualifia de « Pilotes de ligne de l’Éducation nationale » pour les désigner à la jalousie de leurs collègues, qui n’avaient pas besoin de ça, je n’en dirai pas plus. Ce fut le temps où il voulait « dégraisser le mammouth » selon sa formule élégante, qui cadrait si bien avec son physique de brute néandertalienne. Même ses soi-disant collègues du Parti Socialiste en furent gênés pour lui, tant il accumula les gaffes. Ensuite, ce grand esprit se fit connaître par son climatoscepticisme, qu’il étala dans des livres et articles d’une bêtise remarquable. Puis il disparut des radars publics, atteint par l’obsolescence des crétins. Et donc, Claude Allègre était mortel et il est mort. Sans doute cela a-t-il affligé quelques personnes de son entourage ou de sa famille. Je crois qu’aucun enseignant n’aura été attristé par cette disparition. Je dois avouer que, pour avoir connu nombre de ministres de l’Éducation en quarante-trois ans de service actif pour la connaissance et la pédagogie, aucun n’a suscité autant de rejet et même de haine. Je dois dire que pour moi, c’était plutôt un mélange de mépris et de pitié, sentiments pas très chrétiens, je le concède, mais je n’ai pas réussi à les éviter.
Venons-en à Jean-Marie Le Pen. Sur ce personnage politique, j’ai deux points de vue, celui du professeur d’histoire que je fus et celui du citoyen français que je reste, à mon corps défendant.
Sur le plan historique, Le Pen a été un acteur non négligeable de plus de cinquante années de vie politique française. Il fut député, fondateur de parti, candidat à la présidentielle et opposant majeur aux divers gouvernements de la Ve République depuis 1974. S’il laisse une trace dans l’histoire, ce sera sans doute pour avoir atteint le second tour de l’élection présidentielle française en 2002, et peut-être pour avoir avoué à demi-mots avoir pratiqué la torture en Algérie, durant les « événements » comme on disait alors. Il laissera aussi le souvenir d’un grand tribun, un des rares orateurs de son époque, plus apte à produire des tâcherons du discours que des orateurs flamboyants. Lui fut de cette nature, par sa voix, sa présence physique et sa maîtrise de la langue française, sans oublier sa culture. Ceci est dit et reconnu, on ne peut le nier.
Sur le plan humain, il en va tout autrement. Le Pen fut avant tout un immense provocateur, jouant sciemment le jeu de la médiatisation. La provocation peut être, dans une société conformiste, une belle qualité. Mais cela dépend de ses armes. Et celles de Le Pen étaient sales. Le « Menhir », comme on le surnomma, cultiva ce que les autres, ses ennemis, appelaient des dérapages, mais qui n’en étaient pas du tout, tout étant pesé au trébuchet. Chaque grosse saillie était préparée d’avance et lâchée de manière calculée. Les procès qui en découlaient étaient aussi des tribunes gratuites. Mais ce qui en fait un sale type, c’est le choix des sujets, des cibles et des termes. Je ne rapporterai pas ici ses calembours « hénaurmes » ou ses contre-vérités assénées. Le Pen était un vrai « salaud » au sens populaire du mot, on aurait aussi pu dire une ordure autrefois. Il maniait le racisme, l’antisémitisme et la haine raciale avec maestria et persévérance. Le fond de sa pensée était nauséeux, et il avait eu le bon goût de s’acoquiner avec ce que la politique de droite a produit de pire dans les pires moments de notre histoire. C’est la grandeur (et la faiblesse) de la démocratie de permettre à ces flots d’égout et d’ego de se répandre sans entraves, au nom de la liberté d’expression. Il savait merveilleusement en jouer. Le Pen ne voulait surtout pas exercer le pouvoir au plus haut niveau. Il n’était pas capable de le faire. C’est seulement dans le rôle de l’opposant démagogue et populiste qu’il excellait. Il n’avait rien d’un homme d’Etat, il n’était qu’un histrion borgne.
Alors, évidemment, sa mort me laisse parfaitement indifférent. Je ne m’en réjouis même pas, pas plus que celle d’Allègre. Je prends note de la disparition d’un élément nuisible de l’espèce humaine.
Ce papier paraîtra peut-être dur à certains (on ne tire pas sur les corbillards !). Mais il y a des limites à la flagornerie médiatique et elles viennent encore une fois d’être franchies. Il fallait rappeler ce que ces deux hommes ont infligé à leurs semblables ; bien sûr je ne les mets pas sur le même plan : Allègre était juste un butor, rustre et pas futé, alors que Le Pen était de la race des tortionnaires et des chefs de milice. Ils ne nous manqueront pas.
Jean-Michel Dauriac – 9 janvier 2025.
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