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Catégorie : les critiques

rassemble tous les écrits critiques

Femme, juive et rabbin: « En tenue d’Eve » de Delphine Horvilleur

En tenue d’Eve – Féminin, pudeur et judaïsme

Delphine Horvilleur – Grasset, Paris – 2013 – 200 pages

 

Ce livre, qui aurait difficilement pu être écrit par un homme, aborde par l’angle biblique du judaïsme une question très actuelle : celle des rapports du masculin et du féminin ; dans la dimension religieuse principalement. Delphine Horvilleur est rabbin, mais elle est aussi femme. Ce qui donne à son approche une originalité certaine. Le livre porte cette double marque tout au long de son déroulement.

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Delphine Horvilleur, photographiée par Philippe Dobrowolska

 

Livre de rabbin, il l’est du début jusqu’à la dernière page, appuyé sans cesse par des textes bibliques, talmudiques ou cabalistes. Livre de femme, par son attention au féminin, grand sujet de l’ouvrage, et cette capacité à révéler des évidences que les hommes ne voient plus ou ne veulent pas voir.

Mais le lecteur qui cherchera dans ces pages un brulot contre la tradition juive orthodoxe sera déçu. Bien sûr, au détour des pages et des chapitres, Delphine Horvilleur épingle certaines positions historiques de sa religion. Cependant ce n’est pas un livre polémique, amis une contribution de fond à une lecture contemporaine de la Bible et de la tradition juive. L’auteur aborde successivement quelques grands textes fondateurs du judaïsme et les reprend à son compte pour en faire une exégèse dans l’optique de son sujet. Ce sera tour à tour Adam et Eve, Noé, L’arche de l’alliance et le Saint des Saints. Ayant revisité à nouveaux frais ces trois thèmes classiques,e lle aborde une seconde partie plus personnelle, avec des chapitres aux titres originaux et accrocheurs : « L’être orificiel », « L’homme, une femme comme els autres ? », « La bénédiction du féminin », et un court chapitre titré « Subversion ». Tout ceci constitue un ensemble cohérent et très intelligent qui remue beaucoup de choses – et qui, sans doute, scandalisera moults orthodoxes -, mais avec finesse. Car Delphine Horvilleur a des munitions. Elle s’appuie toujours sur des auteurs de la tradition juive. Certes ce sont des auteurs peu étudiés ou volontairement marginalisés. Mais, comme elle dit si bien, ils sont tout autant dans la tradition que els autres. Elle aborde notamment la question du Genre, avec une grande subtilité et je suis convaincu que cette position mériterait d’être connue des milieux chrétiens, car elle me paraît très équilibrée, progressiste mais pas suiviste. Elle admet la validité de la distinction genre/sexe – ce que la bonne exégèse du premier récit de la Genèse I & II valide, quand on prend les termes hébreux et non la traduction -, mais elle reste fondée sur une base biblique solide et ouvre seulement la discussion.

Tout ce livre est d‘ailleurs un appel à une lecture contemporaine et contextuelle des textes de la Torah, du Talmud ou de la Tradition. Ce qui peut et doit tout autant être fait pour les chrétiens et les musulmans.

 

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En commençant cette lecture, j’ai d’abord été déçu par ce que je trouvais très commun, pour ne pas dire banal. J’ai craint un livre pour rien. Puis, peu à peu, Delphine Horvilleur m’a embarqué, par la finesse de ses remarques et la solidité classique de ses références. Au final, ce livre m’a conquis. Je suis certain que je vais le relire, car il nécessite plusieurs lectures pour faire admirer toute sa richesse. Une petite critique : le sous-titre ne me satisfait pas du tout, uen fois la lecture achevée. Le féminin y est central, mais la pudeur est assez peu présente au sens moderne du terme. Avant de le lire, j’attendais autre chose. Je ne suis pas déçu par ce que j’ai découvert, mais ce n’est pas tout à fait ce que suggère ce sous-titre.

 

Un bon livre qui plonge dans l’étude biblique de manière juive, c’est-à-dire loin de la scolastique chrétienne.

 

 

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Soumission…mais à qui?

Soumission… mais à qui ?

 

Je viens d’achever la lecture du dernier roman de Michel Houellebecq, « Soumission », que j’ai enchaînée avec celle de « La carte et le territoire », acheté en son temps de sortie, puis mis de côté, en attendant que… Cette lecture me suggère immédiatement une réflexion générale externe au livre lui-même.

 

Le personnel médiatique français – je parle ici de »la volaille qui fait l’opinion », comme le chantait Souchon il y a trente ans, c’est-à-dire les journalistes et critiques parisiens de télévision, radio et presse nationale magazine, hebdomadaire ou quotidienne- serait-il recruté avec des critères d’illettrisme très fort et drastiques (au sens premier de ce mot) ou serait-il de mauvaise foi ? Autrement dit, avons-nous affaire à des crétins ou à des manipulateurs ? Je renvoie le lecteur de cette note critique au tapage du tam-tam médiatique avant la sortie du livre. Houellebecq avait encore frappé. Après la petite phrase sur « l’islam, religion la plus con du monde », tirée d’un roman de 400 pages, « Plateforme », on nous a refait le coup du roman scandaleux et raciste. Autant le dire de suite : les lecteurs habituels de Houellebecq n’en ont pas été inquiété du tout, et cette polémique à sens unique lui aura sans nul doute amené des lecteurs nouveaux. Car le livre dont il est ici question n’est ni raciste, ni scandaleux.

 

 

 

Sous le titre du roman, en couverture, il est écrit « roman ». Ce que de nombreux journalistes et critiques semblent ne pas avoir vu. Le roman est un genre littéraire qui narre une fiction, avec des personnages qui n’existent pas, même s’ils sont souvent inspirés voire repris du réel. Flaubert, Zola, Balzac, Hugo, Gide, Aragon, Mauriac, Duras, Simon, Green…pour n’en citer que quelques-uns au hasard ont écrit des romans dans lesquels l’histoire apparaît plus ou moins présente. « Soumission » est un roman ancré dans un futur proche (2022) et inscrit dans le temps court de l’histoire de notre pays. Tous les romans de Houellebecq ont des chroniques d’aujourd’hui, abordant chacun à leur tour des thèmes forts de notre époque. C’est pour cela, entre autre, qu’il est un grand romancier. Il est, sans aucun doute, le romancier actuel français qui nous dit le plus de choses sur notre société. Et il le dit fort bien, car c’est un bon écrivain. Et il le dit de manière incisive, pleine d’ironie, ce qui visiblement, échappe à beaucoup de ses contempteurs. Chaque roman de Houellebecq met en scène un ou deux « héros » qui lui ressemble souvent par leur approche analytique du monde. Tous les romanciers ont fait et feront cela. Ce qui ne signifie nullement que Houellebecq est la somme de ses personnages et qu’il agit et pense en tout comme eux. Le personnage houellebecquien est dépressif, asocial, désabusé, obsédé sexuel ou presque, et intelligent, très intelligent. Il est plutôt anarchiste, en ce sens qu’il ne croit ni aux institutions ni à un ordre du monde politique. Mais plutôt anarchiste de droite. Quand on a dit cela, on a tout dit et rien dit : il faut découvrir chaque livre et son contexte.

 

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« Soumission » comprend exactement 300 pages. Le personnage principal est un universitaire de Paris-Censier, spécialiste du XIXème siècle et surtout de Huysmans, écrivain aujourd’hui tombé dans l’oubli, comme Boy ou Malot, qui a gagné une célébrité limité au microcosme universitaire en ce domaine. Le roman est d‘abord et presque exclusivement une tranche de vie courte de cet homme. Car le sujet du roman est autant le monde de l’université que l’islam politique en France ; ce que nos journalistes n’ont pas voulu ou su voir. Il faut atteindre la page 170, soit avoir dépassé la moitié du livre pour que rentre en scène le scénario politique que Houellebecq a concocté, à savoir la victoire d’un candidat islamiste modéré, Mohamed Ben Abbes, soutenu par l’UMP, le PS et l’UDI pour faire barrage au Front National et à sa candidate, qui n’est jamais nommée. Et survient le changement : la France devient une république islamiste constitutionnelle. Houllebecq est assez malin pour ne pas s’embourber dans la description de ce futur. Il le cadre uniquement sur l’Université et le monde de l’éducation et ses conséquences. Le reste est fait d’allusion qui ressemblent à des dépêches AFP. IL décrit par contre de manière assez fouillée le cheminement intérieur de son héros, qui le mène d’une retraite anticipée à taux plein (accordée généreusement par l’Etat à un fonctionnaire de 44 ans, pour éviter les vagues !) à une conversion purement formelle à l’islam, qui se produit dans le dernier très court chapitre. Conversion qui lui ouvre à nouveau la carrière universitaire, mais avec un salaire triplé et la polygamie en prime. Et le livre s’arrête là !

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Je crois qu’il faudrait aussi que les contempteurs s’interrogent sur le titre qui me paraît, évidemment, être à double entrée. Ils n’ont vu, par un réflexe pavlovien de bien-pensance, que le sen du mot islam ainsi traduit en Français. Mais j’y vois aussi et surtout deux autres sens : la soumission très rapide du peuple français au nouveau régime issu des urnes, dans la fin du roman (pas de révoltes, de barricades…) ; et la soumission de notre professeur au carcan du monde étroit de l’université française. Le premier de ces sens nous renvoie à la collaboration pétainiste et interpelle notre conscience ; le second sens est une composante du portrait du personnage principal, mais nous interroge aussi. Un anarchiste est quelqu’un qui refuse la soumission. D’où ce qualificatif pour désigner Houellebecq qui la fustige ici sous diverses formes.

 

Ce livre n’est donc en rien une charge islamophobe. C’est d’abord l’itinéraire d’un homme seul qui arrive au tournant de la maturité, qui s’emmerde somptueusement, n’a pas d’amis et pratique une sexualité glaciale que Houellebecq a toujours su dépeindre parfaitement bien. La toile de fond peint effectivement la déliquescence de notre société et l’impuissance des partis au pouvoir ou classiques à rétablir ordre et sens. Que le scénario choisi gratte où ça fait mal pour les élites socialistes, complètement coupées du peuple, c’est une évidence. Que leurs porte-voix médiatiques enclenchent encore une fois le procès en sorcellerie de l’auteur est une autre chose, qui, finalement, confirme bien la dite-déliquescence de notre système républicain, de nos dirigeants et supplétifs. Que ce livre ait le malheur de sortir au moment où trois fanatiques, Français, massacrent des journalistes-dessinateurs impertinents et des Juifs, n’enlève rien à sa valeur propre, mais révèle, par le climat de propagande bien-pensante et vide de toute pensée, le poids du politiquement correct dans notre pays.

 

Il faut donc lire « Soumission » hors de toute influence médiatique. Il se révèle alors un roman houellebecquien classique et plutôt soft. Le style reste impeccable, la documentation de première qualité (ici le monde universitaire) et l’ironie omniprésente. Que nul n’entre ici s’il n’est capable d’autodérision !

 

Jean-Michel Dauriac

 

Soumission – Michel Houellebecq – Flammarion – Paris – 300 pages – 21€

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Dévoilement intelligent d’un monstre sacré de la musique


 

Bach – Un sacré tempérament

Michèle Lhopiteau-Dorfeuille – LE BORD DE L’EAU éditions – 2014 – 246 pages

 

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Ce livre est d’abord un bel objet : Une couverture robuste et classieuse, un mise en page soignée et un cahier de reproduction documentaire au milieu, et surtout, bine protégés dans la couverture avant et arrière, deux Cd de musique illustrant le propos de l’auteur.

L’idée de l’ouvrage est en effet de proposer au fil de a lecture les illustrations sonores importantes. Ceci semble une évidence pour des ouvrages de musicologie, mais, en fait bien peu proposent des extraits étayant le dire des auteurs. Un bon point donc pour cet ouvrage.

S’installer confortablement dans un fauteuil, sa télécommande à proximité pour envoyer les plages au fur et à mesure de l’avancement de la lecture. E c’est parti !

Michèle Lhopiteau a évité le piège tendu par un tel monstre sacré que J.S Bach – comme elle avait su si bien le faire pour son « Mozart » !- : la biographie érudite et pointilliste de l’hyper-spécialiste exigeant. Ce qui donne en général des pavés avoisinant le millier de pages, certes complets, mais assez rebutant pour le public ordinaire. Elle pris le même principe qui lui avait réussi avec Mozart, à savoir des angles thématiques divers qui en prétendent nullement à l’exhaustivité, mais tiennent le lecteur moyen en haleine sans cesse. Ni trop brefs, ni trop longs.. Les thèmes incontournables sont là, ceux qui l’auraient discréditée si elles ne les avaient pas abordés : la famille Bach, le contexte luthérien et la foi de Bach, le métier de cantor et la condition sociale difficile du musicien à cette époque baroque… On y trouve la base essentielle d’une bonne culture d’honnête homme du temps présent.  Mais la grande force de ce livre est d’oser des chapitres improbables.

 

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Ainsi du chapitre Bach et Mozart. Plutôt gonflé de traiter de deux génies qui n’ont pas du tout de contemporanéité   et que l’on oppose souvent dans les chapelles étroites du classicisme. Elle ne sombre pas dans les rapprochements artificiels, mais ouvre des pistes intéressantes à fouiller sur ce thème. Idem pou le chapitre plus attendu sur Haendel et Bach. Parfois cette audace rate son coup. J’ai très peu goûté le chapitre-catalogue final sur l’éta des lieux des ensembles baroques aujourd’hui. C’est vite fastidieux et j’avoue l’avoir seulement parcouru au bout de quelques pages (en plus il est long, ce chapitre !). De mon point de vue, c’est vraiment dommage de finir ainsi, cela gâche en partie la grande valeur de ce qui précède. Outre le fait que je ne comprend pas le sens d’un tel chapitre (sauf à croire qu’il s’agit d’un renvoi d’ascenseur pour certains interprètes qui ont accordé des plages aux deux CD), il n’y avait aucun problème à déporter cela en annexe, avec le très bon indes, la liste des titres musicaux et la table des matières. Peut-on le suggérer à l’auteur et l’éditeur pour une prochaine édition. Je crains en effet qu’un lecteur curieux et cultivé non-spécialiste du baroque réagisse comme moi.

 

Un point très positif est la qualité de l’informations sur le cadre historique et religieux. L’auteur s’est documenté à de bonnes sources sur les courants du protestantisme et le rapport à la musique. Un lecteur protestant n’y trouvera rien à redire, ce qui n’est pas toujours le cas des écrits sur Bach.

 

Il faut revenir sur la qualité de la bande son et l’intelligence de sa sélection. Ceci est vraiment une des grandes qualités pédagogiques du livre (comme les conférences de l’auteur). Ces deux CD, pourront devenir des compagnons de route en voiture, comme ceux du livre précédent sur Mozart.

Enfin, saluons le beau titre, à double sens et dont je vous laisse découvrir le sens précis d’une des significations, celle de musicologie, que j’ai apprise aussi (un jazzman comme moi ne sait pas tout du lexique baroque !)

 

Je recommande donc vivement la lecture de cet ouvrage, surtout à ceux qui aiment Bach sans le connaître bien : ils en seront conquis.

 

Jean-Michel Dauriac

Président de l’Université Populaire des Hauts de Garonne

Doctorant en théologie protestante et jazzman amateur

(données utiles pour comprendre cette critique et non culte du pedigree)

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