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Catégorie : les livres: divers

Trouver les mots pour dire l’indicible – La nuit de feu d’E-E SChmitt

Après Emmanuel Carrère et Alexis Jenni, c’est au tour d’Eric-Emmanuel Schmitt de produire un livre sur sa foi. Il affirme que celui-ci vient en ce temps, entre autres raisons, pour affirmer, dans un temps de déliquescence et d‘attaques contre le christianisme, une position spirituelle nette. Mais aussi parce que, vingt-cinq ans après les faits rapportés, il s’autorise enfin à parler de son être le plus intime au travers d’un expérience spirituelle qu’il faut bien nomme :rencontre, révélation ou conversion. Les trois mots peuvent convenir selon la lecture que l’on fait de ce témoignage.

 

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Le récit est construit comme un roman d’aventure, genre que l’écrivain Schmitt maîtrise complètement. Le cadre est suffisamment exotique pour s’y prêter aisément. Il s’agit d’u voyage dans le sud saharien de l’Algérie, afin de préparer la réalisation d’un  documentaire sur Charles de Foucault, grand converti du XXème siècle. Schmitt, alors professeur de philosophie, à l’aube d’une  carrière universitaire comme de nombreux membres de la caste « normaliens », fait aussi œuvre de scénariste. Il se cherche et sait pas vraiment ce qu’il doit choisir comme direction professionnelle pour sa vie. Il a vingt-huit ans et peut, compte tenu de son bagage personnel, choisir plusieurs voies : l’enseignement, l’audio-visuel ou l’écriture. Il compte un peu sur ce voyage pour y voir plus clair.

Tout le début du « roman » est donc le récit de son arrivée et de son approche du terrain, à partir de Tamanrasset. Il doit participer, avec un guide te un petit groupe, à une excursion dans le massif du Hoggar. Leur guide français se fait alors accompagner par un jeune Touareg qui impressionne fortement l’auteur, qui veut gagner son amitié car il sent une force peu commune chez ce jeune homme.

Les onze premiers chapitres sont cette découverte du lieu et des êtres qui participent au voyage. En bon romancier, Schmitt croque fort bien les traits dominants de ces hommes et femmes, qui deviennent parfois de types – il y a ainsi la « catho » charitable et attentionnée. Mais aussi, et surtout, il sème de petits cailloux blancs pour nous amener au point chaud du chapitre , qui ouvre réellement le récit de cette sorte d’hypostase qui va changer sa vie. Mais nous comprenons fort bien que cette manière de raconter est une reconstruction rétroactive. Au moment vécu, les préoccupations spirituelles profondes ne sont pas du tout majeures, elles sont mêmes quasi-absentes. L’auteur a plutôt des interrogations existentielles sur le sens à donner « hic et nunc » à sa vie. La « nuit de feu » – le terme est emprunté à Pascal, autre grand converti – va absolument tout bouleverser.

Les chapitres 12 & 13 sont les seuls qui narrent « l’événement ». Ils sont assez brefs. Le lecteur néophyte en la matière sera sans nul doute touché et emporté par cette expérience très forte. Le lecteur au fait de la mystique et des conversions le sera moins. Qui a lu Saint-Augustin, l’Evangéliste Luc, Charles Péguy, Léon Tolstoï ou d’autres encore (Claudel, Ellul…) est en domaine connu. Aucune conversion ou rencontre avec Dieu n’est exactement semblable à une autre, mais toutes se ressemblent : toutes elles offrent un moment de « décentrage » de l’existence, une ouverture transcendante à l’Autre Parole, un état physique extra-ordinaire. C’est ce qui arrive à Schmitt, perdu dans sa descente du Hoggar et enterré dans le sable pour ne pas souffrir du froid nocturne, dont le corps s’élève hors de lui et vit une extase qu’il tente de décrire le plus précisément possible. Comme très souvent, les termes « lumière », « flamme », « ravissement », « légèreté » sont utilisés. C’est ici que l’auteur toujours, et quel que soit son talent, touche les limites de nos pauvres mots. Tout le charme de l’expérience mystique est à ce point nodal. Nous ne disposons que de termes en nombre limité pour traduire l’illimité. Il faut donc avoir recours à l’image, la métaphore, la poésie. Schmitt s’en sort plutôt pas mal. Mais il a un gros handicap, le même qu’Augustin et Pascal : il est philosophe. Et dès le lendemain matin, son esprit philosophique fait retour. Il doit alors mener une lutte intérieure entre les deux êtres qui le composent. L’expérience est ineffaçable, mais dans l’immédiat de la suite du voyage, elle est inénarrable. Elle l’est demeurée vingt-cinq ans. C4est la raison d’être de ce livre de lever le voile, enfin, sur cette nuit d’exception. Eric-Emmanuel Schmitt a changé. La foi l’a saisi. IL ne peut y échapper. Il s’y est abandonné. Mais il restera très discret jusqu’à sa décision d’écrire ce livre. Il semble qu’il ait été poussé à cela par les attaques violentes contre les croyants et la foi, qui fleurissent partout dans nos médias.

Le livre restera comme un témoignage à ajouter à tous ces récits de rencontre avec Dieu, qui ne prouvent rien, au sens matériel du terme, amis qui interrogent l’honnête homme qui ne saurait se satisfaire de penser que tous ces témoins sont des malades mentaux.

            Ce livre n’est pas exceptionnel, mais il est utile.

Je terminerai par une citation qui n’est pas anodine :

« Sur terre, ce ne sont pas les occasions de s ‘émerveiller qui manquent, mais les émerveillés. » (page63)

 

Jean-Michel Dauriac

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Deux chrétiens de France à Jérusalem – Joseph Doré & Marc Lienhard

Deux chrétiens de France à Jérusalem – Joseph Doré & Marc Lienhard – Editions de Pays Rhénans, 95 pages – novembre 2010

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Un petit livre… important et utile

 

A première vue, ce petit opuscule pourrait paraître ou insignifiant ou, mieux, circonstanciel : il s’agit en effet du prolongement du premier prix Michel Stourm, décerné en 2009, à l’initiative de l’Association France-Israël et de sa section alsacienne[1]. Les deux lauréats s’étant engagé à réaliser un journal de voyage à deux voix. Effectivement, ce livre est aussi et d’abord ce journal de voyage écrit à quatre mains par deux homme d’ Eglise à la grande expérience[2]. Mais il est bien plus que cela.

 

Le journal de voyage occupe la première partie du livre. Il est assez court et d‘une grande modestie. Ce qui tranche avec la pratique courante des intellectuels français, lesquels n’hésitent pas à produire un livre quand ils ont honoré un lieu de quelques jours de leur auguste personne. Ici, pas de ça. Nos deux chrétiens –c’est bien à ce seul titre qu’il s’expriment là – savent garder les proportions. «  Nous avons conscience qu’une petite semaine n’autorise qu’a communiquer des impressions et à faire état de quelques questions» (p. 15). Ce qui est net dans leur écrit. Les questions posées sont celles de gens de bonne foi face à la situation présente. Elles concernent notamment la religion juive et son poids dans le pays, ainsi que la relation des chrétiens installés en Israël avec les Juifs. Pas de jugements, pas de prises de position, des témoignages brefs. Une belle leçon d’humilité.

 

Mais c’est la suite qui me paraît constituer le cœur de l’ouvrage et traduire les préoccupation et compétences des deux auteurs. Nous trouvons donc en deuxième partie une belle tentative de résumer le problème des relations des Eglises chrétiennes (ici Luthériennes et Catholique Romaine) avec la religion juive et ses fidèles.  Par une très claire construction, les deux amis réalisent le tour de force de rendre limpide une problématique ardue et un peu empoisonnée. Ce n’est pas ici le lieu de rendre compte du contenu ; il faut le lire pour le digérer personnellement. Mais il faut saluer la qualité pédagogique et spirituelle de l’ensemble, qui simplifie sans caricaturer et donne l’information sans nier les difficultés et les résistances rencontrées des deux côtés à ce rapprochement récent (cela date effectivement seulement de cinq décennies au plus). Il reste sans nul doute du chemin à parcourir, mais il est toujours bon pour le moral de se retourner sur celui qui a déjà été parcouru ; c’est ce qui est fait ici. Je recommande donc vivement cette lecture à tout chrétien qui s’interroge sur ce sujet et veut éviter les postures et les clichés.

 

Dans une troisième partie, nous trouvons les discours officiels qui ont accompagné la remise du prix aux deux lauréats, ce qui permet de mieux connaître celui qui a donné son nom à ce prix, Michel Stourm et d’avoir une idée du parcours de Joseph Doré (éloge prononcé par Bernard Xibaut, ancien collaborateur de l’archevêque) et de marc Lienhard (présenté par Matthieu Arnold, son successeur à la Faculté de Théologie protestante et son ami).

 

Le tout donne donc un petit livre composite mais d’un grande tenue, que le lecteur prendra, j’en suis, comme moi, un grand plaisir à lire, et qui restera dans sa bibliothèque comme un excellent résumé sur les relations compliquées de Juifs et des Chrétiens. Ce n’est pas un mince compliment.

 

Jean-Michel Dauriac

 



[1] Michel Stourm, disparu précocement à l’âge de 56 ans, en fut un Secrétaire Général marquant.

[2] Tous deux sont théologiens ; M. Lienhard est pasteur, ancien doyen de la faculté de Théologie Catholique et président honraire des Eglise de la Confession d’Augsbourg d’Alsace Lorraine (CAAL) ; Joseph Doré fut Archevêque de Strasbourg. Tous deux sont des animateurs reconnus du dialogue inter-religieux .

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La fabrique du Crétin

Un pamphlet comme il en parait régulièrement à la rentrée des classes. Un ouvrage-maison, écrit par un héros de l’école de la république, normalien supérieur, agrégé de lettres et professeur de puis trente ans. Donc une bonne connaissance du système éducatif et les moyens de l’exprimer. Se lit d’ailleurs très facilement, mais s’oublie presqu’aussi vite. Du moins dans le détail, car le message central, lui, reste bien gravé dans nos mémoires!

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Quel message? L’école, par une politique constante depuis plus de 25 ans, est devenue une machine à fabriquer des crétins, au sens premier du terme. Il ne s’agit nullement d’un complot lucide et machiavélique, mais d’une succession de décisions, réformes et concessions électoralistes qui ont brisé l’école de la république, qui était pourtant une des meilleures du monde et le pilier de l’intégration nationale. Dans sa démonstration, Jean-Claude Brighelli frappe souvent fort et très juste: comment ne pas dénoncer « l’élève au centre du système éducatif », le relativisme culturel qui met l’opinion de l’élève au même niveau que le savoir du professeur, les programmes « light » déguisés en cuistrerie pour mieux tromper les consommateurs d’école, le formatage des enseignants recrutés par les IUFM, la perte d’autonomie pédagogique du maître…? Sur le constat, on est d’accord, et j’aurais pu écrire bien des pages de ce livre, et en rajouter de savoureuses, car, à l’expérience de Brighelli, passé du collège à l’université, je peux ajouter, pour mon cas, que je suis allé de la « maternelle à l’université ». L’essentiel du propos est donc exact. L’école d’aujourd’hui a en réalité abdiqué toute ambition culturelle de haut niveau pour ses élèves; elle fait de la massification et cela ne peut se faire, bien évidemment, qu’au détriment de la qualité générale du fond, sauf à admettre que tous les élèves ont les mêmes potentialités intellectuelles, ce qui est électoralement porteur mais scientifiquement faux. On peut parfois, à la lecture de ce livre, s’interroger sur la position politique de son auteur: est-il réactionnaire ou progressiste? défend-il un modèle passéiste avec nostalgie ou veut-il maintenir une école de qualité moderne?

Ce qui limite considérablement la portée de ce livre est sa nature même: les pamphlets ont pour vocation première de dénoncer violemment, pas celle de proposer des solutions. Et dans le cadre d’un débat sur l’école, il faut vraiment parler concret et offrir des perspectives, faute de quoi il est facile de passer pour un simple oiseau de malheur. Or sur un volume de 221 pages, J-C Brighelli consacre à peine 7 pages à proposer des pistes, dans un chapitre intitulé « Quelle école pour demain? ». C’est vraiment trop court! Un professionnel aguerri comme lui devrait justement user de son expérience pour ouvrir des voies de restauration d’une école de qualité. Il ne suffit pas de flinguer les ZEP en les stigmatisant comme une relégation supplémentaire, il faut dire que faire avec ces élèves-là, et ne pas sans tenir aux heureuses exceptions de l’opéra en latin ou de la poésie parnassienne. Oui, on peut faire de l’excellence en ZEP: je l’ai pratiquée pendant 16 années, j’en ai touché les bénéfices moraux et les élèves les bénéfices scolaires. Mais des classes limitées à 25 et des possibilités matérielles plus nombreuses étaient très précieuses, surtout en lycée; nier cela est se voiler la face. Je pourrais multiplier les exemples de sujets abordés par ce livre où la critique virulente est la seule expression. J’attends maintenant le tome 2, avec les propositions!

Bref, un livre comme il y en a déjà eu beaucoup, qui sera récupéré par les ennemis de l’école républicaine pour prôner le libéralisme des services, soit la fin d’une utopie scolaire en marche: celle d’une école qui intègre tous ceux qui la fréquentent, qui donne à tous une instruction de base et permet aux plus brillants, quels qu’ils soient de réussir des parcours de qualité. On peut enrayer le fabrique des crétins, d’abord individuellement, en enseignant selon sa conscience laïque et républicaine (ce qui amène souvent à ne pas appliquer les textes officiels des divers ministres éjectables qui passent à ce ministère). Ensuite collectivement, si les enseignants font autre chose qu’appliquer des recettes et user de fiches toute prêtes, s’ils gardent de leur métier la haute idée de l’éducateur, du passeur, du maître. Sans démagogie, sans mépris, avec la passion qui sied à ce formidable défi: former des individus libres et responsables. No pasaran.

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