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Catégorie : les livres: essais

L’univers concentrationnaire – David Rousset

Ce petit livre fut initialement une série d’articles publiée au milieu de l’année 1945 par Maurice Nadeau et d’autres dans La Revue Internationale qu’ils venaient de créer. Devant le succès rencontré, Maurice Nadeau décidé de l’éditer sous forme de livre. Ce fut le premier témoignage écrit sur les camps nazis. Il est aujourd’hui considéré à juste titre comme un classique sur ce sujet. David Rousset est mort en 1997. Il était philosophe de formation et avait vu le jour dans une famille modeste de confesssion protestante, ce qui a son importance pour ce livre-là. Il fut socialiste puis trotskiste, dénonçant dès le début des années trente à la fois les exactions du nazisme et du stalinisme (ce qu’il faut avoir en tête lorsqu’on lit ce livre et les passages où il rend hommage aux détenus communistes et à leur rectitude, ce qui n’est pas une faveur quand on sait ce séparait communistes et trotskistes à cette époque).

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Son livre est bref (moins de 200 pages) et va à l’essentiel, dans une optique d’urgence: faire saisir ce qu’était un camp de concentration et sa société. Il a conscience de l’incapacité vraie à transmettre l’expérience des camps (il partage ce point de vue avec Primo Levi, qui mettra beaucoup de temps avant d’écrire son témoignage). Ce qui caractérise « L’univers concentrationnaire » est assez bien dit dans le titre. Il nous introduit dans un autre monde. Mais, comme dans tous les grands livres sur ce sujet, il n’y a là aucun jugement moral et pas de sentimentalisme. On est par-dela « le bien et le mal », notions qui n’ont plus cours une fois passée l’enceinte du camp. La seule réalité est la hiérarchie humaine créée par le nazisme. Au sommet les S.S., puis les Allemands, fonctionnaires ou détenus, puis les autres, qui sont tous des sous-hommes, mais avec une subtile hiérarchisation interne. Rousset montre, comme Levi ou Antelme (qui fut un de ses compagnons d’infortune), comment les Seigneurs usaient des leviers psychologiques les plus primaires et comment cela marchait. Il nous présente dans le détail l’organigramme des camps et nous comprenons bien quels sont les lieux stratégiques et ce qui a permis à certains de s’en sortir et pas à d’autres. Au passage David Rousset conte, presque du bout des lèvres, quelques abominations commises par les maîtres nazis, mais on sent une énorme retenue chez lui, sans nul doute par peur de n’être pas cru et aussi par ce sentiment commun à tous, au retour des camps, de l’indicibilité de ce qu’ils avaient affronté. Les titres de chapitre viennent droit de sa culture protestante d’enfance, détournant des expressions bibliques. par exemple: « Dieu a dit qu’il y aurait un soir et un matin », ou « Il existe plusieurs chambres dans la maison du Seigneur »… Cela vient nous rappeler la formidable interrogation que l’exterminantion et les camps adressèrent aux croyants et à laquelle certains répondirent par un déni absolu de Dieu. Le croyant ne peut que se questionner inlassablement à ce sujet.

C’est un livre majeur sur ce thème que nous devons continuer à éclairer afin que la « bête immonde » ne revoit pas le jour. Il rejoint les quelques chefs d’oeuvres incontestés que je rappelle ci-dessous.

L’univers concentrationnaire – David Rousset – Livre de poche, collection  » Pluriel » –
Si c’est un homme – Primo Levi – Presse Pocket

L’espèce humaine – Robert Antelme – Gallimard – Collection « L’imaginaire »

Etre sans destin – Imre Kertéz – 10/18

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L’art d’avoir toujours raison – Arthur Schopenhauer

Petit traité posthume du philosophe allemand qui n’a pas l’image d’un comique. Et pourtant ce texte, si on prend la peine de le lire au second degré est formidablement drôle et n’aurait pas déplu à Jean Amadou, auteur d’un inoubliable « Il était une mauvaise foi ».

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A dire vrai, ça commence moyennement dans l’optique de la franche rigolade. Arthur consacre la première partie de son traité à poser les définitions de ce qu’est pour lui la dialectique, notamment en prenant ses distances par rapport à Aristote, dont on sent dès le départ qu’il est le père qu’il va tuer ici. Il commence par distinguer la logique et la dialectique

 » La logique s’intéresse uniquement à la forme des thèses avancées, la dialectique à leur contenu ou à leur matière… » page 12

Puis il précise ce qu’il entend par dialectique aristotélicienne, soit:

 » Nous devons donc rassembler sous le terme de dialectique aristotélicienne la sophistique, l’éristique et la périastique, et la définir comme l’art d’avoir toujours raison dans la controverse. » page 13

Dès lors il va poser le principe de son livre. Pour Arthur, la logique et la dialectique sont une seule et même chose. la dialectique éristique cherche à toujours avoir raison, la sophistique y parvenant par des conclusions fausses. Sous des allures très conventionnelles, ce premier chapitre est un dynamitage de la pensée d’Aristote et un constat totalement cynique: nous ne discutons pas pour faire surgir la vérité du «fond du puits» comme le disait Diogène, mais pour avoir raison; le moteur n’est pas notre soif de savoir ou de vérité mais notre vanité innée. Son ouvrage aura donc pour propos de permettre à son lecteur de triompher à tous coups dans une controverse.

Il expose ensuite les différents modes de la controverse: le mode {«ad rem»}, qui s’attaque au fond de la controverse elle-même, son objet; le mode {«ad hominem»}, qui s’attaque à celui qui discute avec nous, au travers de sa démonstration ou de sa personne. Suivent les méthodes de réfutation: soit directe en attaquant les fondements du discours, soit indirecte, en s’attaquant à ses conséquences. dans ce cas prècis existent encore deux sous-méthodes, la {conversion} ou l{‘instance}. La conversion consiste à adopter la thèse de l’autre et à démontrer qu’elle produit une conclusion fausse. L’instance consiste à démontrer l’erreur de la proposition en prenant des cas isolés où cela ne marche pas. Tout l’art de la controverse réside dans la combinaison de ces modes et méthodes.
Si l’on s’en tenait là, ce serait un petit cours de philosophie sur un aspect de la réthorique, point du tout drôle et original. C’est en fait le contenu de la seconde partie qui dévoile l’humour décalé d’Arthur. En effet il y expose 38 stratagèmes pour avoir toujours raison, et c’est parfois franchement comique, encore plus quand on songe à l’auteur, pas vraiment un luron!

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Dieu est amour – encyclique « Deus est caritas – Benoît XVI

On a assez dit que le cardinal Ratzinger devenu le pape Benoît XVI était un sale coup pour l’ouverture de l’église catholique sur les points de litige comme l’avortement, le divorce ou l’homosexualité. Bref son cas est réglé: il s’agit d’un conservateur traditionnaliste. Donc sans intérêt. D’autant plus qu’il n’a pas le même charisme populaire et la même fougue communicative que son prédécesseur et maître. On l’attendait donc au tournant de sa première encyclique!

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Eh bien, la voici. Et on n’est pas déçu! Car c’est un texte absolument remarquable pour qui s’intéresse à la théologie. Divisé en deux parties à peu près égales. La première traite de la nature de l’amour dans la perspective chrétienne, au plan théologique. La seconde aborde l’exercice de l’amour par l’Eglise, donc un aspect nettement plus concret. Dans la première partie, Le pape nous rappelle qu’il fut et demeure un grand théologien. Sa démonstration de l’unité de l’amour est proprement impeccable (ce qui est la moindre des choses pour un homme infaillible!). Il réussit à se sortir du piège de la sexualité de manière très claire et à la relier à l’amour divin dans un enchaînement démonstratif remarquable. L’amour divin est ainsi posé in fine comme la fusion de l’Eros et de l’Agape et c’est ce qui lui donne sa valeur supérieure. Dans la seconde partie, il en tire les conséquences pour l’oeuvre de l’Eglise: la charité n’est pas un devoir, elle n’est pas une obligation, elle est la manifestation consubstantielle d’une vie remplie de l’amour divin. la charité ainsi manifestée ne sélectionne pas les personnes à aider mais s’adresse à tous comme Dieu aime tous. De plus, faire le bien n’implique aucun prosélytisme. Pour le chef de l’église catholique romaine, il fallait bien terminer par un retour à la « mère de Dieu ». Les trois dernières pages apparaissent comme un exercice de style pour « placer » le culte marial et paraissent décalées par rapport à ce qui précède. Mais si l’on fait abstraction de cette conclusion pro domo, le propos concerne tous les chrétiens et peut parler tout aussi bien aux autres croyants ou aux hommes de bonne volonté. Si l’on compare le ton de ce texte au « traité d’athéologie » qui roule le catholicisme dans la poussière, il y a matière à chacun de se faire un avis sur qui peut être le plus utile à la société du temps présent (cela n’enlève rien aux erreurs monstrueuses commises par cette église catholique romaine dans le passé!).

Un petit texte par la durée (une soixantaine de pages) mais important par son message et sa hauteur de vue. Un livre vendu à petit prix (4,50 €) qui peut permettre à beaucoup de se faire une opinion personnelle sur le pape, que l’on reconnaisse ou non sa légitimité.

J.M. Dauriac

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