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Catégorie : les livres: essais

Un monde de ressources rares – E. Orsenna & le cercle des économistes – 2007 – Perrin : dangereux et couard!

Voici un livre au titre prometteur et qui s’inscrit fort bien dans une question d’actualité urgente sur le devenir des hommes et leurs activités. En quatrième de couverture, un petit texte en italique :

« Dans la suite et l’esprit de l’ouvrage d’Erik Orsenna « Voyages au pays du coton », ce livre décortique les enjeux d’une stratégie efficace pour lutter contre la rareté »

 

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Là, j’aurais franchement dû me méfier ! Mais au lieu de bien me fixer sur « stratégie efficace pour lutter contre la rareté », je me suis surtout laissé prendre par le début de la phrase. J’avais bien aimé le livre cité (voir critique de cet ouvrage sur ce site ), j’ai donc acheté celui-ci.

Les premières pages noient le poisson sous des considérations personnelles de notre aimable académicien socialiste. Il y fait état de sa profession d’économiste et de sa passion constante pour cette discipline, y compris dans son œuvre littéraire. Sympathique mais anecdotique. On y revient sur le coton, on se retrouve dans une de ces réunions post-coloniales avec les chefs d’Etat africains. Bref c’est encore la chiraquo-Mitterrandie !

Ensuite, le vif du sujet : « Aujourd’hui la rareté ». Partie programmatique qui annonce le plan du livre, extrêmement construit, comme un bon cours universitaire ou un rapport international. Aussi froid et impersonnel également. Le chapitre un est un des plus intéressants du livre, car il donne la vision de la rareté par les économistes et leur créneau d’activité :

« Ce livre se veut guide d’action, à partir d’une analyse rigoureuse de ce que sont les raretés aujourd’hui et propose quatre grandes modalités d’un rêve, celui d’une vraie gouvernance économique mondiale » page 26

« Un monde de ressources rares exige des progrès de la régulation » page 27

avec ces deux citations tout est dit : les économistes veulent le pouvoir mondial, étant bien compris que c’est l’économie qui doit diriger la planète. La rareté se gère avec plus de régulation, donc plus d’économistes, de gauche sociale-démocrate de préférence. De cette profession de foi découle une des rares vraies propositions de ce livre :

« Nous appelons dès à présent à l’élargissement du G8 aux principales puissances émergentes. Nous soutenons également la création d’une Agence Internationale de l’Environnement et du Développement durable. Mais n’oublions pas pour autant que nombre de sujets doivent être appropriés et gérés au niveau local. C’est notamment le cas pour l’eau, l’agriculture, la santé, la qualification et l’innovation » page 27

Voilà pour le glocal. Pour en arriver à ces propositions qui sont les plus percutantes du livres il a fallu des Rencontres avec plus de 150 intervenants de haut niveau, économistes connus et personnalités économiques, cornaqués par Christian de Boissieu ! Face à l’urgence de la rareté, il n’y a pour ces grands esprits que des agences internationales, un G quelque chose et une gestion locale dont les contenus ne seront nulle part précisés. Un peu plus loin deux petits morceaux de phrase :

« La gouvernance reste à inventer pour ces raretés … » page 28

« Notre ambition d’économistes est de lutter contre la rareté, sans faire le moins du monde le procès de la croissance. » page 29.

Au moins c’est clair ! J’aurais dû jeter le livre à ce moment-là, car tout était dit, mais par une curiosité malsaine, un peu comme le blessé léger qui soulève son pansement pour voir la plaie, j’ai continué. En clair, pour ceux qui ne seraient pas habitués à la langue de bois de ce peuple merveilleux des économistes de cour, voici des experts qui nous annoncent qu’ils n’ont aucune idée de la façon dont on pourrait gérer cela (la gouvernance, cet affreux mot-valise ne dit rien d’autre !) et qui nous rassurent sur le fond : pas de risque de cibler la croissance, dogme infaillible de l’économiste de pouvoir. L’un d’entre eux serait-il capable, monsieur Orsenna par exemple, de m’expliquer, à moi pauvre crétin des Alpes et aux dizaines de millions de ses cons citoyens non éclairés, comment on en est venu à la rareté qui se pointe sur le pétrole, les minerais, l’eau… ? Cela n’aurait donc rien à voir avec la production, facteur numéro un de la croissance ? L’acier fabriqué depuis deux cents ans par les grands pays du monde n’expliquerait donc pas la raréfaction du fer ? Pas plus que les automobiles produites pas dizaines de millions chaque année n’expliqueraient la prochaine crise du pétrole, la dernière, celle de sa fin ? Donc, on ne fait pas de lien entre production, gaspillage et disparition de ressources non-renouvelables. Voilà qui est fort drôle, mais qui, sans aucun doute ne fera pas ciller la plupart des lecteurs du livre, tellement lobotomisés par la spirale vertueuse « emplois-consommation-croissance-emplois… ». On ne peut évoquer les raretés sans, au moins, poser comme une des hypothèses, un autre mode de vie et un autre système économique que la dictature du PIB croissant. Sinon, il s’agit de malhonnêteté intellectuelle ! Et c’est ce que fait ce livre tout au long de ces pages, où effectivement, jamais la croissance n’est attaquée, pas plus que le système capitaliste ou financier en sa légitimité profonde. Une fois ces limites absolues posées, nos chers économistes peuvent alors dérouler une glose de type énarque qui ne dira rien de désagréable et ressemblera, quant au fond, à un débat Sarkozy-Royal sur la croissance. Il suffit ensuite de poser quatre principes directeurs qui donneront les quatre parties suivantes et on a la bonne disssertation anesthésiante voulue.

« Quatre principes généraux se dégagent : les principe d’urgence (deuxième partie), le principe d’innovation (troisième partie), le principe de développement durable et équilibré (quatrième partie) et celui d’une nouvelle gouvernance mondiale (cinquième partie) . » page 30

Emballez, c’est pesé ! Ensuite, comme on dit en sport, on « déroule » la réthorique. On présente les quatre thèmes, avec au passage des phrases absurdes, comme celle-ci :

« Le climat apparaît aujourd’hui comme un bien public collectif, et en même temps un sujet majeur de dissenssions internationales » page 30

Deux fautes en une seule phrase : un bien public est toujours collectif, bravo pour le pléonasme ! Et surtout, ce n’est pas le climat qui est un bien public, ce qui n’a pas de sens (interrogez donc un climatologue !), mais les constituants du climats que sont l’eau et l’air.

Ce chapitre de problématique se clôt d’ailleurs par une phrase qui contient toute la contradiction sui generis de nos économistes. Méditez sur cette doublette de phrases !

« La réponse aux nouvelles raretés n’implique donc pas de renoncer à la croissance, au contraire. Elle impose, par exemple d’accepter le renouveau du nucléaire et le développement d’OGM. Mais elle suppose aussi le changement profond des modes de consommation des pays développés, un progrès des formes de redistribution et surtout une refondation de la gouvernance mondiale » page 32

Imaginons que Tchernobyl n’ait jamais eu lieu, que les OGM ne produisent jamais aucun cancer ou aucune mutation en chaîne dans le monde vivant ! A quoi bon s’embarrasser de ce fichu principe de précaution qui nuit tant à la croissance et aux FMN. Ce sont des propos qui peuvent, plus tard dans l’histoire, devenir ceux d’assassins publics, quand les générations futures feront faces à nos déchets nucléaires et aux maladies afférentes, quand les OGM auront modifié la biosphère. Mais la seconde phrase est drôlatique qui parle sans le nommer d’une obligatoire ascèse de consommation en Occident. Il faudra alors bien du talent pour expliquer que consommer moins, avoir moins de pouvoir d’achat est encore de la croissance, surtout au bon populo qui a bien retenu le message simplificateur qu’on lui martèle depuis cinquante ans (voir au-dessus).

Tout ceci est tiré du seul vrai premier chapitre du livre !

Il serait tout aussi aisé de se livrer à une analyse critique serrée du contenu de chaque chapitre et cela s’avèrereait très éclairant sur la faiblesse réelle du sens, masquée par la réthorique, plus ou moins complexe selon les rédacteurs. Car un autre des problèmes de ce livre est que les auteurs sont inconnus. Mais il est très facile de se rendre compte des différences de style, certains chapitres étant du pur jargon absolument inintelligible à qui n’a pas fait d’études d’économie, mais dont le sens profond est tout aussi creux que le reste. Car en fait, ce livre est un catalogue d’évidence et de poncifs, sans aucune vraie proposition, un simple listing de certaines expériences réalisées dans le monde. Aucune vision du monde n’habite ces pauvres économistes de haut niveau, mais ils en sont fiers puisque la seule finalité de leur discipline est d’exercer la gouvernance mondiale de la rareté, dont l’outil majeur est la fixation des prix. On croirait lire un manuel d’initiation à l’économie et le bréviaire d’une secte un peu simpliste. Plutôt que de disséquer chaque chapitre, je préfère donner au lecteur, que je ne prends pas pour un imbécile, des extraits particulièrement révélateurs de la démarche.

« Il est urgent que les pays industrialisés réalisent que la relation entre les riches et les pauvres, et la gestion de l’aide dépassent de loin le seul impératif de solidarité et conditionnent l’efficacité d’une gestion collective de la rareté dans ses différentes formes. » page 51

Qu’en termes choisis cela est dit ! Si tu n’aides pas ton semblables (pour en pas dire ton prochain ou l’Autre) par humanité, fais-le par souci économique : nous trouvons là toute l’idéologie résumée de l’humanitaire instrumentalisée par les pouvoirs économiques et politiques (écoulement des surplus de marché, conquête de nouveaux marchés par changement de régimes alimentaires, bouleversement des modes de vie et valeurs…).

Continuons donc cette promenade au merveilleux pays de l’économie !

Page 71 : « L’objectif ne consiste plus à atteindre l’autonomie alimentaire, évidemment impossible dans les pays développés, demandeurs de variété, mais la sécurité alimentaire. »

L’expression « autonomie alimentaire » est mise là seulement pour ne pas citer le concept économique de « souveraineté alimentaire » porté par les altermondialistes. Celui qui aura lu attentivement ce qui précède remarquera que ce passage est en contradiction ferme avec les propos de la page 32 rapportés plus haut sur le nécessaire changement de mode de consommation. La sécurité alimentaire est un concept de la même famille que la sécurité énergétique, dont on a pu mesurer la fragilité lors de deux chocs pétroliers et des crises liées à la guerre du Golfe ou celle d’Irak actuellement. Une crise alimentaire ne créée pas seulement une tension sur les prix et déplacements, mais elle amène des populations à la disettes, la famine et la mort ! Le capitalisme a tué l’agriculture dans son localisme pour en faire l’industrie de la terre. Le XXIème siècle pourrait être celui d’un retour aux dures contraintes de l’alimentation à se procurer sur place, crise des énergies oblige !

Un magnifique exercice de contorsionniste digne de Houdini, page 77 :

« Le défi du présent siècle, c’est de produire davantage d’énergie pour alimenter le développement économique des pays émergents et des pays les plus pauvres tout en gérant de façon soutenable le changement climatique. C’est le sens du développement durable. Il ne s’agit donc pas d’un troisième choc pétrolier mais plutôt d’un changement de paysage »

Il y aurait tout un article à écrire sur cette seule citation, tant elle est à la fois cynique, ghrotesque, mensongère et pleine de contradictions. Je me bornerai à donner les axes critiques.

« Produire davantage d’énergie » apparaît donc à nos savants comme le défi ; alors que tous les spécialistes de géologie minières, sauf Claude Allègre, la science ait son âme !, savent que les ressources naturelles, dont énergétiques, ont été consommées sans retenue depuis deux cents ans et qu’on s’achemine vers la raréfaction. Il est donc criminel d’écrire qu’il faut produire plus ; c’est hâter le saccage et laisser nos successeurs nus. Pour quelles finalités cela ? « Alimenter le développement économique des pays émergents et des pays les plus pauvres ». Après la croissance, voici l’autre pilier du modèle intouchable, un autre des impensables. Concept occidental s’il en est, ce modèle est le cheval de Troie de l’exploitation capitaliste et libérale, la cinquième colonne des multinationales, le malheur des pays du Sud. Nous leur offrons à la fois le modèle et l’échec de ce modèle ! Mais nos économistes raisonnables ne se posent aucune question. Il faut continuer, même si cela ressemble à un suicide collectif et à une mise sous tutelle implacable de quatre milliards d’individus sur six aujourd’hui et bien plus demain. Le ratrapage et l’égalisation des niveaux de développement sont tout bonnement impossibles, d’abord techniquement en raison de l’empreinte écologique qu’ils supposent, mais surtout parce que les inégalités sont le moteur de la croissance capitaliste ; Il y a donc là un double mensonge. Cette citation lève définitivement le masque sur le « développement durable », cette imposture médiatique occidentale, qui fait comme si on pouvait négocier avec le climat comme avec un syndicat ! Enfin, la dernière phrase plaira beaucoup au lecteur attentif par sa clarté et sa précision, digne d’un poème romantique,

Vous en voulez encore, vous n’êtes pas rassasiés ? Tiré de la partie courageusement titrée « Imposer un développement durable et équilibré », et du chapitre « Les exigences du climat », page 120, voici ce que nous lisons :

« Le rapport du groupe « facteur 4 » a été rendu public en 2006 (« Division par quatre de gaz à effet de serre de la France à l’horizon 2050 », la Documentation Française 2006), un peu avant la présentation du rapport Stern en Grande-Bretagne. Dans les deux rapports, l’exigence d’une croissance suffisante pour l’essor de l’emploi, la progression du niveau de vie et la gestion des réformes structurelles est rappelée. Il ne s’agit donc pas de se réfugier dans la fausse solution de la « décroissance », mais de réduire le contenu de la croissance en GES, spécialement en CO2 »

Là au moins c’est clairement dit : la fausse solution s’appelle la « décroissance », qui a droit à des guillements comme on met des gants pour sortir les poubelles ! Ce passage est aussi assassin que les précédents, car il ramène les enjeux de survie de la Terre et des Hommes aux seul Gaz à effet de serre. Ceci s’appelle une métonymie inversée, faire prendre le particulier pour le général ! Je suis partagé entre la colère et la pitié envers ce cénacle de pseudo-penseurs : feignent-ils d’ignorer que le problème porte sur une ensemble de facteurs interdépendants et que les GES sont un épiphénomène là-dedans, ou bien sont-ils vraiment convaincus des âneries qu’ils écrivent et font publier ? Je penche pour la première hypothèse. Produire toujours plus, c’est consommer toujours autant et plus de matières premières en voie de raréfaction, c’est élever le niveau de vie, donc pousser mécaniquement à la consommation matérielle, donc à la croissance des besoins, donc de l’emploi et donc des indicateurs de croissance et on continue. Il est irresponsable de faire croire aux gens, et ici aux Français, que c’est en roulant dans une voituire hybride (qui rejette moins de CO2) qu’ils vont régler le problème. C’est se faire les complices objectifs d’un homicide de masse dont les grandes firmes, leurs actionnaires anonymes et une infime minorité d’humains sont les promoteurs et bénéficiaires. Accepter de discuter de la croissance, de sa fin, de son ralentissement ou de son remplacement par autre chose n’est pas revenir au Moyen age et à la bougie ; on peut donner du mieux-être à tout le monde sur cette planète, mais pas en produisant plus ; en acceptant que nous, les riches nous réduisions notre consommation, d’ailleurs souvent compulsive et débile, donc de facto notre pouvoir d’achat, mais en même temps que soient mis en place des moyens coercitifs de redistribution réelle et de limitation des profits, seule condition pour que cela se fasse. Faire confiance au Marché et à l’humanisme des grands patrons et actionnaires est un leurre pitoyable indigne de gens cultivés comme nos auteurs. J’en déduis donc qu’ils sont complètement aliénés par le système qui les forme et les emploie.

Lisez maintenant attentivement la citation qui suit, tirée du chapitre suivant :

« En réalité, la situation est plus grave encore et plus complexe aussi. Car il faut ajouter que le scandale des inégalités se double d’un risque majeur : la consommation accélérée des ressources et l’accumulation des pollutions pourraient bien signifier, sinon la fin de la vie de notre satellite du moins un fonctionnement irréversiblement et gravement endommagé. En outre, il n’y pas de pilote dans le vaisseau. Certes, un pays, les Etats-Unis prétend piloter. Mais le plus puissant est-il le meilleur pilote ? » page 127

Si vous ne trouvez pas de contradiction flagrante entre ce passage et le précédent, consultez immédiatement un neurologue ! Ici sont soulignés les risques évidents en deux domaines en particulier, les ressources et les pollutions. Les conséquences dramatiques sont effleurées avec des termes forts, comme « fin de vie », « irréversiblement », « gravement endommagé ». On comprend bien que les auteurs de ce chapitre ne sont pas les mêmes que le précédent ! Comme faire une pensée un tantinet cohérente avec de telles oppositions !

Page 130 : « Il n’est donc pas étonnant que de nombreuses grandes entreprises mondiales soient parties prenantes (c’est le cas par exemple au sein du WBCSD, World Business Council on Sustainable development) d’un développement durable qui représente d’abord pour elles la garantie d’une profitabilité à long terme »

Voici levée toute équivoque sur les motivations des grandes entreprises. Seul un profit à long terme les motive dans leur engagement vers le développement durable. C’est tout à fait exact. Peut-on faire confiance à ces entreprises pour sauver la planète et ses habitants ? Ce n’est pas leur objet ni leur objectif . C’est comme faire confiance à un alcoolique désintoxiqué pour gérer un stock de vins et spititueux : il faut une bonne dose de foi ou de crédulité, c’est selon. Là, je suis carrément sceptique.

Dans le même chapitre, page 135, cette phrase claire :

« L’évolution du monde semble donc engagé dans une impasse, sans que la majorité des acteurs responsables de cette évolution en aient une claire conscience et sans qu’une simple esquisse de gouvernement mondial puisse organiser les arbitrages indispensables. »

On y est : dans l’impasse. De plus les décideurs n’ont absolument pas pris la mesure de la gravité des faits. Et de plus, il n’y a aucun espoir actuel que les problèmes puissent être réglés par des décisions mondiales car les structures n’existent pas. Au moin cela a-t-il le mérite d’être clair. Il y a bien sûr, là encore un mensonge par omission : on laisse croire au lecteur qu’un tel gouvernement serait à même de régler les problèmes. C’est totalement faux : les grandes entreprises mondiales ne laisseront jamais une quelqconque institution internationale prendre des mesures contraires à leurs intérêts réels. Ce qui ne s’est jamais fait jusqu’à présent dans le capitalisme ne se fera pas, puisqu’il est posé comme condition à toute réflexion par nos auteurs qu’on ne touche pas au système !

La cinquième partie pose donc la gouvernance mondiale comme une nécessité et développe quelques aspects dans des chapitres où la rareté (selon l’économie) fait retour. Et que lisons-nous page 173 ?

« Le sous-développement est essentiellement un problème de rareté relative en biens vitaux, en capital, en divers biens publics, en connaissances, en appropriation des techniques, en capital humain. »

Le sous-développé est celui qui manque de tout cela, que nous avons en surplus et que nous pouvons lui vendre d’une manière ou d’une autre. Que le sous-développé appartienne à une civilisation bien plus brillante et ancienne que la nôtre, que ses valeurs soient beaucoup plus spirituelles que matérielles, que nous soyons incapables de comprendre cela est le constat qu’il faut dresser de la lecture de ce livre.

Vous voulez savoir comment se finit ce merveilleux voyage au pays des économistes ? Alors lisez :

« L ‘augmentation de la rareté et l’accroissement des valeurs des biens environnementaux entraîneront donc progressivement des zones marchandes nouvelles. « Demain, nos successeurs ne s’étonneront pas quand on leur parlera de droits de propriété sur l’eau, de droits à polluer ni de devoir payer pour accéder à l’usage de biens environnementaux élémentaires… C’est l’une des principales leçons de l’histoire de la civilisation. La rareté appelle la propriété. » On retrouve ici une observation classique. L’économie est la science de la gestion de la rarété. » page 190

Voici le monde superbe que ces économistes et dirrigeants d’entreprise nous promettent, un monde où nous paieront pour l’eau, l’air, la forêt, le paysage… Le tout en s‘abritant comme des crétins lobotomisés derrière une « science » qui n’en est absolument pas une, puisque tout ce que les économistes savent à peu près faire est d’expliquer le passé, et encore !

En conclusion, ce livre est extrêmement dangereux et parfaitement révélateur de ce qui nous attend si nous ne reprenons pas le pouvoir sur nos vies. La légitimité des économiste spour diriger le monde est nulle, surtout au regard de leurs œuvres dans la seule histoire du XXème siècle. Ya basta !

Jean-Michel Dauriac Juin 2007

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Un siècle vu d’en bas – Yves Dauriac

Voici un petit livre dont le titre sonnera comme un référence à l’histoire proche,  une expression du ci-devant citoyen Jean-Pierre Raffarin, ex-premier ministre de Jacques Chirac et grand libéral devant l’Eternel. Lequel parlait de « La France d’en bas » comme de celle qu’il connaissait et représentait ; belle escroquerie médiatique encouragée par le moutonnisme journaleux toujours enclin à répéter les mêmes formules surtout si elles n’ont pas de sens. Ce choix de titre n’est pas le fruit du hasard : l’auteur, Yves Dauriac est un fin connaisseur de la politique française dont il est un militant de base depuis soixante ans. Homme de gauche qui a payé pour la fidélité à ses convictions, il est aussi un historien-géographe de métier, professeur, proviseur et collaborateur, entre autres du « Maitron », ce dictionnaire incomparable des militants ouvriers français. Elu local, militant des droits de l’homme, de l’Unesco, pionnier du rapprochement franco-allemand dès son origine, Yves Dauriac est un homme d’action qui réfléchit. Il nous livre ici sa vision de l’histoire sur trois quarts de siècle.

 

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« Vu d’en bas », certes, car vécu par un citoyen ordinaire qui n’a pas bénéficié de pouvoirs et de passe-droit, mais certainement pas « vu par en bas », au sens où cet homme n’est pas un béotien, mais bel et bien un homme cultivé qui possède les clés de compréhension du monde et de sa politique. Il y ajoute un engagement socialiste jamais trahi, mais sans verser dans le parti-pris subjectif et hargneux. Ainsi, à propos d’un homme qu’il a combattu politiquement, écrit-il :

 

« Aussi Giscard d’Estaing, qui a senti ses aspirations, et qui, en dépit d’une allure un peu grand seigneur, est un homme ouvert et généreux, va donner une teinte sociale à son mandat. » page 92

 

On trouverait aussi des propos respectueux de l’adversaire sur le Général de Gaulle qu’il a pourtant combattu constamment. Mais bien sûr l’analyse reste une analyse socialiste de l’histoire, celle de la grande tradition jaurésienne de la SFIO.

 

Une fois ces remarques faites sur l’auteur et son approche historique, venons-en au contenu à proprement parler. Le choix rédactionnel est explicité dans le sous-titre : il s’agit de chroniques, assez courtes qui enchaînent les moments de l’histoire. Une quarantaine de textes balisent ainsi l’histoire du siècle de la boucherie de 1914 à nos jours. L’histoire de France y tient une place prépondérante, c’est le terrain sur lequel l’auteur est le plus pointu et celui sur lequel il a agi. Mais l’histoire mondiale est aussi bien présente, avec ses grands séismes et ses moments-clés. De loin en loin, des pages de documents hors-textes en noir et blanc donnent de bons contrepoints, notamment par des unes de presse d’époque. Mais, pour qui connaît l’auteur assez intimement, comme moi, certaines chroniques sont des tranches d’autobiographie qui ne disent pas leur nom. Ainsi celle intitulée « Une jeunesse entre espoir et inquiétude » porte trace de sa vie et je ne résiste pas à l ‘envie de citer ce passage :

 

«  Pour ceux qui ont la chance de poursuivre études ou apprentissage scolaire, une ségrégation très nette s’établit. Les « riches » vont au Lycée ou au Collège, vers le Baccalauréat et les professions prestigieuses : médecins, avocats, professeurs officiers. Les enfants des petits employés, ouvriers, plus rarement paysans, vont à l’Ecole Primaire Supérieure ou Pratique, ou au Cours Complémentaire pour accéder en trois ans, avec un Brevet Elémentaire à un travail rémunéré. Pour les petites gens, l’Ecole Normale d’Instituteurs est la voie royale, mais il y a aussi, la Poste, les Banques, le Trésor, les Ponts et Chaussées, les Chemins de Fer, et même, pour les techniques, les Arts et Métiers » page 34

 

Yves Dauriac parle là en connaissance de cause, lui qui est fils de sous-officier de gendarmerie et petit-fils de paysans périgourdins très modestes. Sa vie professionnelle a en effet commencé par le passage à l’EN de  La Rochelle et le métier d’instituteur, partagé avec son épouse qui fut de tous ses combats. C’est par un travail personnel et solitaire qu’il passa ses diplômes d’histoire et géographie et se présenta ensuite au CAPES et à l’Agrégation. Fils de petites gens il l’est et n’usurpe pas son appartenance au peuple, vrai nom de la « France d’en bas », cette méprisante formule d’un bourgeois poitevin. De la même manière, la chronique titrée « Vie ouvrière et paysanne des années trente » est fondée sur une tranche de vie du jeune Dauriac. Ainsi ce livre présente-t-il une histoire incarnée, loin des discours académiques. Mais la rigueur de l’information en fait aussi un ouvrage de référence ; et l’on ne peut que déplorer qu’un éditeur connu n’ait pas cru bon de produire ce livre. Mais ceux-ci sont prisonniers d’un microcosme de réseau qui exclut le provincial et l’inconnu.

 

L’ouvrage se termine par un dernière chronique sobrement titré « Réflexions personnelles », qui est en fait, une épure de bilan de vie. Que penser du siècle passé ? Comment agir aujourd’hui ? L’auteur dégage l’aspect passionnant de ce siècle vingtième, les progrès incontestables accomplis, mais on le sent, in fine, assez prudent sur l’avenir radieux.

 

«  Les gigantesques progrès scientiques rendront-ils plus heureux ? Rabelais avec son « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » en doutait déjà.

Rien de bien nouveau donc dans les sociétés humaines, mais la diffusion rapide et universelle de l’information nous sensibilise davantage au sort de la planète entière. Nous nous devons d’agir maintenant en tant que Citoyen du Monde » page 126

 

C’est le mot de la fin. On comprend bien que le socialiste Yves Dauriac n’a pas trahi l’internationalisme prolétarien . Cependant on le sent un peu désabusé sur le progrès et ses finalités. Le bonheur comme sens de la vie fait alors retour. En lisant ces lignes je ne puis que penser aux mots d’un autre sage, Hébreux lui, qui a écrit il y bien longtemps :

 

« Que reste-t-il à l’homme de toute la peine qu’il se donne sous le soleil ? […] Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il n’y rien de nouveau sous le soleil. » Ecclésiaste chapitre 1 versets 3 et 9.

 

Il faut souvent atteindre le soir de sa vie pour revenir à la nature humaine, intangible et décevante. Ce livre est tout autant un bilan personnel qu’un survol historique.

 

Je recommande cet ouvrage aux professeurs d’histoire de collèges et de lycée, aux documentalistes de France, qui devraient tous et toutes en avoir un dans leur rayonnages, pour aoffrir un autre éclairage sur l’histoire, aux côtés de la belle collection « Terre Humaine » de Jean Malaurie. Ce livre est de la même famille.

Vous pouvez le commander chez l’éditeur :

Atlantica-Séguier : pays basque – 18 allée Marie-Politzer 64200 Biarritz

Vous pouvez aller voir leur catalogue en ligne sur : www.atlantica.fr

Vous pouvez réagir sur ce livre en nous contactant sur ce site, nous transmettrons à l’auteur.

 

Jean-Michel Dauriac*

 

* la similitude de nom ne relève pas des hasards, l’auteur de ce livre est l’oncle de l’auteur de cet article. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, je n’écris pas là un article de complaisance, mais un propos objectif sur un livre-témoignage important. Que l’on ait senti l’affection et l’estime qui me lient à mon oncle (et ma tante) n’empêche en rien de faire un travail critique sérieux. J’attends vos remarques avec impatience.

 

 

 

 


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L’arroseur arrosé: sur « Le capitalisme est en train de s’autodétruire »

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Patrick Artus                                          La découverte poche

Marie-Paule Virard                                137 pages – 2005/2007

 

Ce livre au titre provocateur est écrit par deux auteurs fervents partisans de l’économie de marché et du capitalisme. Le titrage n’est donc pas une prophétie joyeuse et révolutionnaire, et il ne faut pas s’attendre à y trouver des  propositions de substitution au modèle dominant actuel. Il s’agit d’un constat alarmiste et alarmant sur les « mauvaises pratiques » du bon système capitaliste qui serait dévoyé par des dérives suicidaires, qui doivent être corrigées car dangereuses :

«  Or ces dérives mettent en péril, en réalité, le maintien de la croissance et de la rentabilité du capital dans le long terme, précipitant l’économie mondiale dans une impasse. » page 6.

Ce qui pourrait avoir une conséquence dramatique pour nos auteurs: les populations (traduisez le populo salarié prolétarien)pourraient même en venir à haïr le capitalisme et à se retourner contre lui (ce qui s’appelle une situation révolutionnaire), le pire des scénarios pour nos auteurs. Tiens, les auteurs, à propos, parlons-en: Patrick Artus est directeur des études économiques de la Caisse des Dépôts et Consignations et professeur à Polytechnique, Marie-Paule Virard est rédactrice en chef du magazine « Enjeux-Les Echos ». On le voit, deux supporters appointés du système capitaliste libéral. Or leur ouvrage fournit le plus bel arsenal révolutionnaire contre le capitalisme du XXIème siècle, avec des définitions, des exemples et des synthèses extrêmement claires. Car il s’agit d’un bon livre d’économie. Certes, ce n’est pas vraiment à la portée du grand public, mais ça tombe bien, ce n’est pas écrit pour lui. Visiblement ce petit livre a été rédigé pour les chefs d’entreprise, les actionnaires et les gestionnaires divers, bref tout ce que l’on pourrait appeler la « capitalosphère ».

Dans l’ouvrage se trouvent des encadrés explicatifs qui seront fort utiles à ceux qui voudront pouvoir mieux argumenter sur le terrain de la politique économique et financière. Par exemple pages 36-37, une remarquable synthèse en deux pages intitulée « Qui supporte le poids des crises? » où l’analyse des crises récentes, de 1973 à 2004 est faite en terme des « amortisseurs » principaux. Où l’on apprend que si les entreprises partageaient le poids des crises dans les années 1970 et 80 avec l’Etat, depuis ce sont les ménages et l’Etat qui se débrouillent seuls pour faire face aux crises. Pendant celles-ci la grosse distribution des dividendes se poursuit. Car c’est à cela que ce livre s’attaque: si le capitalisme est miné dans ses fondements c’est par les stratégies à court terme des acteurs qui veulent réaliser des plus-values massives et très rapides.

«  Ce qui pose problème n’est pas le fait que les entreprises fassent des bénéfices importants, c’est ce qu’elles en font » page 49.

On notera comment est ainsi évacué en une phrase le problème de l’exploitation initiale du travail, car le bénéfice est bien ce qui est gagné de manière absolue et non relative comme c’est le cas du chiffre d’affaires. Un bénéfice important implique en particulier des salaires compressés, ce qui est le sujet du chapitre 1. Cela ne gêne nos auteurs que parce qu’il y a là un obstacle à la croissance (le chapitre 2 est « Dans le piège à croissance faible ») et non parce qu’il y a ainsi des millions de travailleurs pauvres dans tous les grands pays ainsi que des masses au chômage. Aucune considération humaine et éthique dans ce livre; mais ce n’est pas nouveau, l’économie n’est nullement une science morale, elle le proclame urbi et orbi!

L’autre élément du piège est donc la croissance faible mise en regard de l’extraordinaire accroissement des bénéfices, dividendes distribués et diverses valorisations boursières. Ce que les auteurs dénoncent avec de très  bons argument, c’est ce hold-up pratiqué par les gestionnaires financiers sur ce qui devrait être l’investissement des entreprises. C’est le « court-termisme » comme ils le surnomment. Soyons clairs, nos deux auteurs se battent l’oeil des salariés:

« Bref, il y a des secteurs où une augmentation généralisée des salaires n’est pas envisageable, sauf à prendre le risque d’accélérer le processus de délocalisations et de destruction d’emplois » page 55.

Le retour du bon vieux chantage à l’emploi que les salariés de tous les pays développés connaissent si bien: « bosse et tais-toi; estime-toi heureux d’avoir un boulot ; dehors il y en a trois millions qui veulent le tien et ailleurs des millions qui nous attendent! ».Cela ne pse aucun, problème aux économiste puisque les chiffres de leur « Coran incréé » le dit! Pour eux le problème des salaires existe mais il n’est pas majeur. On peut toujours s’inspirer de ce beau pays qui se nomme les Etats-Unis où un système d’impôt négatif a été mis en place sous l’administration Clinton (grand démocrate de gauche comme tout le monde le sait ). Un encadré très clair pages 62-63 résume fort bien l’ « Earned Income Tax Credit ». Voilà la solution: une sorte de RMI additionné aux salaires de misère concédés par les entreprises. L’Etat paie à la place des sociétés qui peuvent ainsi engraisser les actionnaires et les PDG! Elle est pas belle, l’économie moderne!Une autre façon de donner du pouvoir d’achat sans augmenter les salaires est de faire vraiment jouer la concurrence: là, nos auteurs atteignent au grandiose en prenant l’exemple de l’entente des trois « majors » de la téléphonie mobile sur le prix du SMS. Il est vrai que les familles françaises se nourrissent et se logent avec des SMS, tout le monde le sait! Une autre solution est de reconquérir des parts de marché à l’exportation en se spécialisant sur des productions porteuses: l’Allemagne l’a fait et elle est la bonne élève de la classe! Et tant pis si cette stratégie est suicidaire compte tenu des problèmes énergétiques à l’horizon et des pertes de liberté des peuples enchaînés au commerce mondial par les multinationales globales anonymes et apatrides! Le même discours d’Adam Smith et Ricardo, comme si rien ne s’était passé depuis.

Mais, une fois expédiée l’affaire du pouvoir d’achat et des salaires, on en vient à ce qui chagrine vraiment nos auteurs: la « course déraisonnable » au profit. Toute la seconde partie du livre développe, critique, illustre d’exemples et de définitions le rôle de la sphère financière et de ses divers acteurs. Là, ami lecteur, tu trouveras des outils fort appréciables. Par exemple, pages 74-75, un encadré « La mesure de la profitabilité par le ratio ROE », le fameux « Return on Equity » qui a servi à fixer la fameuse barre des 15% de rentabilité annuelle formant l’horizon indépassable des placements à court terme. Nos auteurs écrivent clairement à ce propos:

« Un objectif de rendement des fonds propres excessif produit en effet naturellement des biais de comportement peu favorables à l’économie en général et pénalisant à moyen terme pour les entreprises elles-mêmes (et donc pour leurs actionnaires comme pour leurs salariés).. » page 85

Pourquoi ces pratiques de recherche maximale des profits? Pour satisfaire les nouveaux rois des marchés, les fonds d’investissement ou les fonds de pension. Le chapitre 5 leur est consacré. En gros les « méchants » sont les investisseurs, leurs complices les banques et le gendarme inopérant les Etats (ceci est strictement exact). Les investisseurs agissent selon un concept que nos auteurs construisent en analogie à René Girard, le « mimétisme rationnel ». En gros tous vont toujours dans le même sens, et ce faisant essaient de préserver leur part de marché, mais ils annulent ainsi le jeu des régulations classiques de la bourse et accroissent les risques de crise majeure, laquelle est inévitable pour nos auteurs! L’exemple de la crise asiatique de 1997-1998 est présenté en illustration de cet effet (pages 94 à 98).

« Sans la « complicité », la « permissivité » des banques centrales, le mimétisme rationnel des investisseurs n’aurait pu pousser aussi loin le prix des actifs » page 99

Cette quête de profit à très court terme se fait donc au détriment des investissement productifs à moyen terme, mais aussi au détriment des futurs bénéficiaires de ces fonds. Les faillites ou la crise internationale en vue risque de priver des familles de toute retraite dans de nombreux pays du monde! Pour continuer à verser des dividendes extraordinaires, les financiers sont amenés à inventer des instruments de plus en plus complexes. L’encadré page 102-103 est titré « Les instruments financiers complexes » et donne d’excellentes définitions des quatre types principaux de produits inventés pour attirer l’actionnaire et le boursicoteur: hedge funds (fonds d’investissements de capitaux), les CDOs (collaterized debt obligations – spécialisés dans les achats d’obligations d’entreprise), les produits structurés et les actifs illiquides, ces deux derniers étant les plus complexes et les plus risqués, mais aussi les moins transparents. Cette valorisation excessive se fait pas le biais de l’endettement, ce que l’on appelle les LBO (Leveraged buyout). Emprunter massivement auprès des banques (les complices) pour acheter des entreprises, les restructurer pour augmenter la profitabilité (ce qui signifie toujours licenciements) et payer ainsi les intérêts des emprunts; puis revendre le tout ou « par appartement » selon ce qui est le plus intéressant. Cette méthode est une sorte de « cavalerie » comme on disait autrefois d’une comptabilité truquée, une fuite en avant où l’entreprise est un simple enjeu et ne reçoit rien. Exemple donné par les auteurs du fabricant français de briques Terreal, acheté 470 millions d’euros en 2003 et revendu été 2005 pour 860 millions d’euros! Cela n’a évidemment rien à voir avec la progression de la production de l’entreprise et sa valeur réelle. Il ne peut y avoir qu’une seule issue à ce système: l’explosion générale. Le tout est de savoir quand. Conclusion autiste mais formidable des auteurs:

«  Si l’épargne mondiale (que le FMI estimait à environ 11 000 milliards de dollars en 2005) était investie à bon escient, la planète économie serait peut-être à l’aube d’une nouvelle ère de création de richesses. Mais les signes sont de plus en plus nombreux que l’abondance d’argent frais encourage les comportements qui peuvent se révéler dangereux pour l’économie mondiale. » page 113.

Et ce ne sont pas de dangereux subversifs altermondialistes ou anarchistes qui l’écrivent!

Le dernier chapitre est l’élément principal de proposition des auteurs. Il s’agit de s’attaquer aux normes de régulation bancaires et boursières. En effet disent nos auteurs, si tous les investissements n’étaient pas traités de la même manière, tout irait bien. Ainsi face à ce système délirant, il suffit de distinguer court terme, moyen terme et long terme et le tour est joué! Tant de naïveté laisse pantois! A aucun moment les auteurs n’émettent le moindre doute sur la pertinence du modèle capitaliste à simplement durer. A l’absence de toute considération morale s’ajoute donc ce que l’on peut appeler au moins un aveuglement total, au pire une stupidité qui interpelle. Voici un extrait de la conclusion qui me semble illustrer ce dernier point:

« Tout cela ne peut que déboucher inexorablement sur une économie de croissance faible (insuffisance de la demande et de l’offre si les investissements à horizon long ne sont pas réalisés, si les salaires sont inutilement comprimés), sur des faillites (si les risques « catastrophiques » cachés se réalisent) et, in fine, sur un rejet du capitalisme par les opinions (si la déformation du partage des revenus ne conduit qu’à la distribution de cash aux actionnaires) » page 135.

C’est beau et vrai comme du Marx (Karl pas Groucho!). On notera que pour nos deux auteurs, qui sont sans nul doute des gens intelligents et cultives, mais lobotomisés par la pensée unique de leur microcosme, la croissance économique est un « impensable » absolu. Dirigés par des gens tous semblables car tous clonés dans les mêmes écoles de formation économique ou commerciale, nous avons des raisons de nous inquiéter.

Cette remarque politique mise à part, je ne saurais trop vous pousser à lire ce livre et à l’annoter: les capitalistes vous donnent des armes formidables pour les remettre en cause et les faire douter! Ça ne se refuse pas!

 

Jean-Michel Dauriac – Avril 2007 –

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