Deux concerts du « Barber Shop quartet », sous-titré « Groupe vocal jubilatoire », en moins d’un mois ! Et je me sens rudement bien, sans doute même mieux. A vrai dire il faut dépasser la dose non prescrite de ce groupe made in « Entre Deux mers », il y va d’une question de santé publique ! Voici quelques années, des études très sérieuses avaient montré que celui qui riait chaque jour un certain temps augmentait sa durée de vie. Un concert du quatuor vocal susnommé agit en ce sens. Car il faudrait être en okoumé massif pour ne pas se gondoler tout au long de leur spectacle. D’abord on y va doucement, on rit sur la pointe des lèvres, en regardant de côté pour voir si les autres font pareil : on a souvent le rire honteux dans un pays qui change la gauloiserie en sinistrose sécuritaire royalo-sarkosziste. Et puis peu à peu on se lâche, et vient le moment de pur bonheur où le rire éclate franc et sonore. C’est gagné pour eux sur la scène et pour nous qui reprenons une petite tranche de vie en plus.
Sur la scène justement, appareillage technique minimaliste : une guitare électro-acoustique, quelques lumières, et c’est tout ! une sono pour amplifier le tout et le tour est joué. Pas besoin de douze semi-remorques ! Quatre comparses entonnent leur premier morceau. Une chanson courte typique des Etats-Unis des années 1920-1940. Un vocal comme Woody Allen aime à en mettre dans ses films. Ce style-là s’appelle le « barber-shop ». Et ça n’a rien à voir avec une discipline comme le décathlon féminin ! A prendre au premier degré : ce sont les chansons entonnées dans les boutiques de coiffeurs, a capella, par la clientèle d’habitués qui fréquentaient les dites-échoppes. A fini par devenir une spécialité qui a connu son heure de gloire, puis a périclité à l’heure du rock’n roll. Renaît aujourd’hui doucement aux States. Mais n’a pas franchi l’Atlantique et reste ignoré chez nous. Et c’est là que notre quatuor trouve son fonds de commerce et son orgine. Tout le début de leur spectacle est d’ailleurs une enfilade de standards du genre, histoires d’amours plus ou moins malheureuses. Si l’on restait là, ce serait très bien, mais vite monotone, car les harmonies tournent autour du trinôme de base do/fa/sol7. C’est certes dans les vieux pots qu’on fait la meilleur cuisine, mais celui-là est vraiment usé. Mais nos quatres vocalistes ont l’intelligence, assez rapidement, de bifurquer sur des chansons en français et sur un mode plus contemporain, faisant des emprunts satiriques à tous les genres musicaux actuels.
Le « Barber shop quartet » est formé de deux hommes, Bertrand, le baryton, chauve volontaire coiffé d’un melon sévère et Bruno, la casquette vissé sur son crâne de ténor, auxquels s’adjoignent deux chanteuses, Isabelle, alto vêtue de tissu imprimé à points blancs sur fond bleu, et Cécile, robe noire et blanc directement sortie des émissions de radio des années 40, soprano de haute volée. La variété des timbres et des tessitures, alliée au talent certain de chacun leur donne une très large palette. Il faut y ajouter les bruitages vocaux et la capacité de Bertrand à imiter divers personnages (l’animateur de jeux télés abruti et survolté, le rappeur de base, le présentateur de radio new-yorkais…). Le répertoire navigue entre standards du style, chansons doucement absurdes ou vaguement débiles et morceaux nettement plus satiriques. Mine de rien, l’air de ne pas y toucher, les coups de griffe pleuvent. Contre le borgne du 21 avril 2002, contre les croyants iréniques et cucus chantant « Jésus revient » comme dans « La vie est un long fleuve tranquille », contre ou avec les passagers du métropolitain ou la Vierge Marie… Mais sans jamais tomber dans la vulgarité, jamais au-dessous de la ceinture, ce qui nous change de la tendance lourde du comique depuis 15 ans ! Et l’on rit d’autant plus franchement que ce n’est pas ambigu, cochon ou douteux ! La solidité de la mise en place vocale fait oublier qu’il n’y a quasiment pas de musique (le jeu de guitare de Bruno est minimaliste, la guitare servant surtout à donner le ton de chaque voix). Plus le temps passe et plus la complicité avec le public s’établit ; on arrive à la fin sans avoir vu le temps filer.
Samedi 3 juin 2006 ils présentaient leur nouveau et second spectacle au « Chat-Huant » de Créon, une petite salle en pleine campagne, bourrée au maximum. On a retrouvé des éléments tirés du premier spectacle mêlés à des nouveauté nombreuses. La part des compositions devient plus importante. L’imagination est au rendez-vous. Mention spéciale donc à la longue saga du métropolitain où ils passent en revue tous les styles musicaux des itinérants qui rament sous terre. Mais aussi à la chanson sur la Vierge Marie qui évite merveilleusement le blasphème et la vulgarité en jouant le contexte d’époque. Mais aussi des moments d’émotion plus nets comme certaines chansons d’amour sauvées du cliché par la conviction de l’interprétation. Ce spectacle est riche de potentialités. Les moments forts sont réussis. Il va falloir laisser le temps huiler les rouages, lier les morceaux en un tout fluide. C’est toute l’utilité des concerts qui permettent à un groupe comme celui-ci de prendre en compte les réactions du public et d’adapter le tir. Car rien ne vaut la scène pour ces chansons-là !
Cependant si vous ne pouvez les voir sur scène, ils ont gravé l’an passé un cd qui réunit une bonne vingtaine de morceaux, dont une partie en concert. Il manque évidemment le visuel qui est capital, mais en guise d’apéritif ou pour se remémorer une bonne soirée c’est parfait. Et comme le dit Bruno « Le prix ridiculement modique vous fera sourire » (15€).
Je prédis un bel avenir au quatuor Barber Shop, avec ou sans tapage médiatique. Sans ce serait même mieux, car ils pourraient garder leur intégrité en toute tranquillité. On peut faire une belle carrière en France avec le bouche-à-oreilles, internet et les réseaux associatifs. C’est tout le mal que je leur souhaite. En attendant, s’ils passent près de chez vous, réservez votre journée ou soirée. Ils devraient être remboursés par la Sécurité Sociale comme antidépresseur biologique.
Jean-Michel Dauriac
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