Introduction :
Ecoute de « L’homme dans la cité » de Jacques Brel
« Ah que nous vienne un homme, aux portes de la cité ». Voici bien posé le thème de ce culte d’actualité : les sociétés humaines ont toujours compté sur la venue hypothétique d’un homme capable de les sortir de situations épineuses : un « sauveur » laïc en quelque sorte. Les historiens ont appelé « homme providentiel » ceux qui surgissent de temps en temps dans l’histoire d’un pays ou d’une société et suscitent une adhésion massive et une grande espérance. L’historien Jean Garrigues y a consacré un livre récent, dans le cadre d e l’histoire de France.
La genèse ancienne de l’homme providentiel
Ce n’est pas un fait nouveau, nous en trouvons trace très loin dans l’antiquité et sa littérature. On peut identifier deux sources antiques à ce fait, qui sont aux sources de notre culture occidentale.
Les Grecs ont créé une mythologie complexe, avec une hiérarchie d’intervenants : les dieux, nombreux, les demi-dieux, fruit d’un accouplement divin avec une humaine, et les Héros, hommes providentiels capable d’exploits : Hercule- Héraklès est le plus célèbre. Nous trouvons la transposition de ces faits dans la série dessinée Astérix.
Mais la matrice la plus importante est hébraïque, avant même d’être juive. L’homme attendu, c’est ce que la Bible juive appelle le messie (messhia), l’envoyé, le serviteur d’Adonaï. Celui qui rétablira le royaume d’Israël en majesté, séchera toute larme et établira un règne éternel de paix. Le terme d’attente « messianique » est devenu synonyme d’« homme providentiel ». mais dans la conception juive, le messie est un nom commun, dont le dernier seul est celui qui peut d’écrire avec une majuscule.. Voici quelques références de la Bible qui montrent que le mot s’est appliqué à Saül, avant d’être appliqué à Jésus dans le cadre du second testament.
1 Samuel 2 : 10
« 10 Les ennemis de l’Eternel trembleront ; Du haut des cieux il lancera sur eux son tonnerre ; L’Eternel jugera les extrémités de la terre. Il donnera la puissance à son roi, Et il relèvera la force de son oint. »
1 Samuel 12 :3 à 5 :
« 3 Me voici ! Rendez témoignage contre moi, en présence de l’Eternel et en présence de son oint. De qui ai-je pris le bœuf et de qui ai-je pris l’âne ? Qui ai-je opprimé, et qui ai-je traité durement ? De qui ai-je reçu un présent, pour fermer les yeux sur lui ? Je vous le rendrai.
4 Ils répondirent : Tu ne nous as point opprimés, et tu ne nous as point traités durement, et tu n’as rien reçu de la main de personne.
5 Il leur dit encore : L’Eternel est témoin contre vous, et son oint est témoin, en ce jour, que vous n’avez rien trouvé dans mes mains. Et ils répondirent : Nous en sommes témoins. »
1 Samuel 24 : 5 à 7 :
« (24-6) Après cela le cœur lui battit, parce qu’il avait coupé le pan du manteau de Saül.
6 (24-7) Et il dit à ses gens : Que l’Eternel me garde de commettre contre mon seigneur, l’oint de l’Eternel, une action telle que de porter ma main sur lui ! car il est l’oint de l’Eternel. »
Jean 1 :40-41 :
« 40 André, frère de Simon Pierre, était l’un des deux qui avaient entendu les paroles de Jean, et qui avaient suivi Jésus.
41 Ce fut lui qui rencontra le premier son frère Simon, et il lui dit : Nous avons trouvé le Messie (ce qui signifie Christ). »
Jean 4 :24 – 25 :
« 25 La femme lui dit : Je sais que le Messie doit venir (celui qu’on appelle Christ) ; quand il sera venu, il nous annoncera toutes choses.
26 Jésus lui dit : Je le suis, moi qui te parle. »
Ces textes montrent qu’il y a un usage ancien du terme qui s’inscrit dans l’histoire d’Israël. Mais cette attente a, au fil du temps, dérivé vers des aspects purement humains ou s’est fondée sur des artifices politiques.
Ce besoin d’un personnage miraculeux qui résoudrait les difficultés se rencontre tout au long de l’histoire :
Les Romains ont divinisé leur empereur : César et Auguste ont su en jouer pour installer leur pouvoir.
L’Eglise ou les religions diverses ont mis en avant certains personnages qui avaient leur soutien : Charlemagne en Occident ou Saladin en Orient.
En Amérique, avant l’arrivée des conquistadores, le Grand Inca était un dieu vivant.
On a aussi créé des mythes à partir de personnages hors du commun :
Alexandre le Grand, figure du conquérant lettré, aventurier et fondateur de villes et pays.
Gengis Khan, le grand empereur mongol nomade est mythifié en extrême Orient.
Napoléon Ier se rêvait en successeur de César et Alexandre ; il est lui-même devenu un mythe.
Plus près de nous, en Amérique Latine, on voit bien ce qu’il est advenu du Che Guevara. Le président Hugo Chavez, au Vénézuela, se prenait pour Simon Bolivar, le héros des indépendances du sud des Amériques.
Un chant :
Le mécanisme de « l’homme providentiel »
Voyons maintenant comment fonctionne le mécanisme de « l’homme providentiel » :
· Au départ se trouve toujours une situation exceptionnelle, inattendue ou insoluble.
· En découle une crise due à l’incapacité des dirigeants en place à résoudre cette ou ces difficulté(s).
· Naît alors le désir, confus d’abord, puis de plus en plus formel, évoqué au début par Jacques Brel, d’un « sauveur humain » capable de prendre la difficulté à bras-le-corps et de la surmonter.
· Rarement, surgit un personnage qui va solutionner totalement ou partiellement la crise.
· En général, après cette résolution ou son apparence momentanée, vient une période de perte de confiance, de doute envers « l’homme providentiel » qui quitte le pouvoir, est tué ou meurt…
Ce schéma peut-être vérifié sur tous les exemples précédemment cités.
Quelques exemples rapides pris dans notre histoire française valident ce processus :
· La Révolution Française de 1789 entraîne des violences inouïes, la ruine économique et le désordre politique total : surgit Bonaparte, héros guerrier, qui se mue en César génial ; il pose les bases d’une France réorganisée (« les masses de granit »), mène des guerres partout et chute en deux temps, pour finir en exil au milieu de l’Atlantique Sud et y mourir isolé.
· La Grande Guerre de 1914-18 en France s’avère un désastre. Verdun est une boucherie sans nom. Deux hommes surgissent, amis pas de nulle part : Georges Clémenceau, le « père la victoire » et Philippe Pétain, « le vainqueur de Verdun ». Le peuple français a besoin de ces deux hommes providentiels pour sortir la tête des tranchées ; mais cela n’aura pas de suite et l’on connaît le rôle lamentable du second dans les années 1940 !
· L’Allemagne d’après 1918 : un effondrement économique total, une inflation énorme, une humiliation inoubliable, une désordre politique et social sont le terreau d’où émerge le caporal-chef Adolf Hitler et le parti national-socialiste ; en 1933, il est élu à la majorité par les Allemands qui voient en lui un sauveur. Le monde entier connaît la suite et la fin.
· La France de 1940, humiliée, occupée et trahissant ses principes suscite la réaction d’un général inconnu, De Gaulle, en exil à Londres d’où il organise la France Libre. En 1944, sa descente des Champs-Elysées est comparable au triomphe César entrant dans Rome. Mais dès 1947 il est poussé à la sortie. Son retour en 1958, sous les traits de l’homme providentiel une seconde fois, aura un temps de réussite net puis lassera l’opinion et il démissionnera en 1969.
L’homme providentiel incarne la résolution du problème et parfois el costume est trop grand pour lui. Il se trouve alors dépassé par les attentes et sa chute est proportionnelle à cette attente démesurée.
Un chant :
La France de 2017 et l’homme providentiel
Venons-en au présent et examinons la situation de la France des dernières années.
· En 2016, la France finit deux quinquennats présidentiels très décevants eu égard aux promesses faites, l’un de droite avec M. Sarkozy et l’autre de gauche avec M. Hollande. Toutes les recettes ont échoué. Les Français boudent les élections, se tournent vers les extrêmes populistes. La crise de la démocratie parlementaire est réelle, doublée d’une crise économique et sociale. Est-ce une situation exceptionnelle ? on peut en douter mais…
· Les candidats à la succession d’empêtrent dans des scandales financiers (François Fillon et Marine Le Pen), les deux anciens présidents sont rejetés par leurs partis. C’est le bal des seconds couteaux.
· Et surgit, « de nulle part », selon la formule (qui est fausse si on y réfléchit), un homme neuf, jeune, brillant, moderne, Emmanuel Macron, qui se présente comme celui qui va renverser « l’ancien monde politique » et réinventer la démocratie tout en relevant le pays. C’est en fait une rhétorique très classique (on a cela dans la Rome antique déjà) de l’ambitieux qui se pose en homme providentiel (Giscard d’Estaing a joué cette partition en 1974, mais on l’a oublié).
· La victoire est acquise de manière irrationnelle, sans vrai programme, sans expérience aucune, avec seulement la promesse d’en finir avec l’« ancien monde ».
· La suite est notre présent ; ce n’est pas le lieu d’en dire plus…
Nous avons là toutes les caractéristiques de « L’homme providentiel ».
Qu’il réussisse ou qu’il échoue, celui-ci reste dans l’histoire, au moins un certain temps.
Un chant
La Providence et sa manifestation
Mais qu’est-ce que cette « providence » qui l’aurait choisi ?
La providence est une idée grecque reprise par la théologie chrétienne, qui lui a donné un sens beaucoup plus large. En voici une définition :
« On désigne sous le nom de « providence » la manière dont Dieu gouverne le monde selon des fins. Au sens large, la providence concerne toute la création, en un sens plus étroit elle concerne l’humanité et, plus spécifiquement encore, l’orientation de l’histoire. » Dictionnaire de Théologie – J-Y Lacoste direction – PUF.
Sans entrer dans la subtilité des débats philosophiques et théologiques, il faut admettre la place capitale de la providence dans la foi chrétienne – il n’y a de providence que dans la foi. Donc, parler d’« homme providentiel » dans notre monde actuel est soit un non-sens complet, soit une espérance à justifier. En tous les cas, cela prouve qu’on ne se débarrasse pas du christianisme aussi facilement !
Nous croyons à la Providence de Dieu ; elle est constitutive du message de l’Evangile. La Providence s’est manifestée en Jésus qui fut, de facto, le seul « homme providentiel » de l’histoire, puisque le seul choisi et envoyé explicitement par Dieu.
Or Jésus n’a pas été plébiscité par les hommes de son temps et de son peuple. Ils ont hurlé « crucifie-le » à Pilate qui voulait le libérer. Avant cela, plusieurs fois, nous disent les Evangiles, il a dû fuir pour échapper à la mort. Il a été trahi et renié par Judas et Pierre, les autres disciples se sont enfuis. Il a été mis à mort comme un criminel. Dans tout cela nous ne retrouvons rien des « hommes providentiels » de l’histoire des hommes.
C’est que dans l’ascension des « hommes providentiels », il n’est nulle « providence », mais la manifestation de la liberté et de l’ambition humaines.
Nous, chrétiens, ne devons jamais nous laisser séduire par les « hommes providentiels », quels qu’ils soient ; ce sont des « faux prophètes » au sens biblique, car ce qu’ils disent n’advient pas. Nous avons en Jésus notre Providence, cause de notre salut et objet de notre foi. Mais il été annoncé comme le « Serviteur souffrant » et non comme un quelconque César, c’est d’ailleurs pourquoi certains juifs de son temps n’ont pu l’accepter, car ils attendaient un messie glorieux et vainqueur des Romains.
Conclusion :
Lecture Esaïe 53: versets 1 à 10
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