
Peu de gens connaissent Sous-Parsat, minuscule village de la Creuse, elle-même mal connue des Français, y compris de nombreux Creusois eux-mêmes. Et pourtant ce village banal contient un trésor bien caché dans un écrin qui ne paie pas de mine.
A Sous-Parsat, pas d’église romane du XIIe siècle ou de château médiéval ou de manoir Renaissance. De solides et belles maisons de granit austère pierre du pays ; et une copie d’église romane construite au XIXe siècle, en réutilisant des pierres des ruines de la vieille église médiévale. Les pierres sont d‘époque, pas la construction. Mais cette bâtisse qui peut faire illusion a elle-même frisé la ruine au cours du XXe siècle ; il faut dire que les Creusois ne sont pas très croyants, plutôt des « rouges », à l’époque où cela avait un sens. Il a fallu qu’un peintre habitant la commune, dans la maison de famille de son épouse, tous deux Creusois, ne décide de faire de cette construction délabrée un lieu d’exposition temporaire de ses œuvres durant l’été, pour que cette petite église retrouve un peu de vie.
Gabriel Chabrat et son épouse, août 2025 -Photo: Catherine Dauriac
Cet artiste, qui ne pouvait pas vivre de sa peinture était aussi professeur dans le secteur. Il disposait donc de ses vacances d’été. Là, a germé peu à peu l’idée de donner une seconde vie à cette petite église. Il n’y avait que de très rares offices religieux, le bâtiment n’était pas classé, ne possédant aucun caractère remarquable le permettant. Ce fut la chance du peintre et du lieu. Il proposa au maire de peindre les murs intérieurs de l’église, comme cela était de rigueur au Moyen Âge et même après. L’accord municipal fut rapide, mais il fallut plus de temps pour convaincre l’Eglise, qui est toujours frileuse au changement. Enfin ce fut accepté.
L’accord n’était que le début de l’aventure, le plus dur restait à accomplir. Deux tâches principales étaient devant le couple : trouver le sujet de ces peintures et les financements pour tout le matériel, le travail du peintre étant bénévole. Le mari s’occuperait de l’art, la femme de l’intendance. Ainsi fut fait.
L’œuvre a été réalisée entre 1986 et 1995 (on fête cette année les trente ans de l’achèvement). Elle a demandé un long et minutieux travail de préparation, tant dans la réflexion sur le choix des thèmes que sur la réalisation des maquettes préparatoires. Dès le début, le peintre, Gabriel Chabrat, voulait que ce soit un thème religieux, eu égard au lieu. Mais ce terme est vague, on sait qu’il peut recouvrir des choses très variées.

Gabriel Chabrat, l’auteur de ce joyau, et son épouse (août 2025)- Photo : Catherine Dauriac
Lui a fait le choix de s’inspirer de la Bible, Ancien Testament et Nouveau Testament. Mais une fois ce cadrage fait, il reste un travail difficile à faire, c’est celui du choix des épisodes à retenir. La taille de l’église et la superficie des murs obligeaient à une sélection drastique. Lors de la visite des lieux, on est conquis par l’évidence des choix effectués. L’essentiel a été compris et retenu. On retrouve les grandes figures bibliques dans des moments décisifs de leur existence et, au-delà, de l’humanité entière.


Il fallait ensuite organiser une dramaturgie spatiale, afin que l’œuvre totale s’impose par la force de ses choix, mais aussi par la technique et l’art de l’artiste. Ce fut fait par la latéralisation des deux parties de la Bible. Quand on entre dans le lieu et que l’on s’avance jusqu’au chœur, l’Ancien Testament occupe le flanc gauche et le Nouveau Testament le flanc droit. Le fond est comme la porte d’entrée dans l’histoire, le lieu de la création originelle.
Je me garderai bien de décrire chaque tableau de la fresque ; ce serait prétentieux et, de toute manière, très inférieur à l’œuvre. Il faut la voir et la méditer. Je me bornerai ici à donner quelques indications pour susciter le désir d’y venir voir.

Les scènes et personnages retenus sont : pour l’Ancien Testament, Noé et le déluge, Abraham et la naissance d’Isaac, Moïse recevant les tables de la loi au Sinaï. Pour le Nouveau Testament, tout commence à juste titre par une Annonciation, se poursuit par une Cène, puis une Piéta[1] (ou descente de croix) et l’Ascension. Une grande scène représente la lutte du bien et du mal (ce pourrait aussi être l’enfer et le Paradis. Le porche d’entrée est surplombé par une représentation de l’Esprit-Saint qui semble engloutir le visiteur franchissant la porte. A l’inverse, quand on sort, on observe une représentation de la fin du monde.
Ces fresques occupent la totalité des surfaces murales, à l’exception des encadrements de baies. Des vitraux modernes ont été réalisés sur des dessins de G. Chabrat, dans l’atelier du vitrail de Limoges. Les vitraux sont inclus dans les fresques et en poursuivent le mouvement. L’ensemble dégage une grande impression de cohérence.
Il faut parler du choix des couleurs La palette est réduite, pour l’essentiel, aux couleurs primaires, auxquelles le peintre a rajouté du noir et quelques autres couleurs, selon les besoins de sa réalisation. Ainsi, le seul endroit où apparaissent des tons pastel (rose, orange), se situe à côté de la figure élancé du Chris lors de l’Ascension. Elles sont le symbole d’un monde transfiguré.
Les visages et les mains sont particulièrement remarquables. Les mains sont grandes et expriment des sentiments, comme l’accueil, la protection, le rejet ou le soutien. Les visages sont très expressifs bien qu’ils soient réalisés selon une technique très XXe siècle, parfois cubiste, souvent surréaliste. G. Chabrat aime peindre des corps et des visages. On vérifiera cela en allant faire un tour dans sa galerie, à peine à une centaine de mètres de l’église. Dans le cadre d’une grange creusoise fort bien aménagée, on peut admirer une belle collection de tableaux du maître (au moins une soixantaine). La technique sur toile offre beaucoup plus de possibilité qu’un mur. La profondeur de champ, sur le mur, est quasiment nulle. Dans les tableaux, l’artiste peut jouer sur les plans divers et il ne s’en prive pas. Sa peinture est très maîtrisée, avec un geste sûr et une vraie personnalité. Une observation attentive des toiles permet de voir que ses deux thèmes de prédilection sont les corps et visages, et les maisons, villages et autres espaces bâtis.
Gabriel Chabrat – Vraie joie (2024)- Photo : Catherine Dauriac
Il faut voir les peintures sur toile pour mesurer l’effort d’adaptation qui a été le sien pour donner ces fresques remarquables. Il a dû renoncer aux trois dimensions de ses tableaux et travailler comme on fait une tapisserie à Aubusson (il a d’ailleurs dessiné des cartons pour les tapissiers de la ville). La fresque est plate, c’est ce qui lui donne sa force d’impact visuel.
La visite de l’église peut se faire avec une musique d’accompagnement. Du chant grégorien. Ce qui me semble une vraie faute de goût. Car ces peintures ne sont nullement médiévales, mais très contemporaines. Il existe de la musique sacrée moderne, je pense à certaines pièces d’Olivier Messian ou aux compositions de Jean-Christian Michel. Mais de façon plus radicale, j’entendrai aisément certaines compositions rock, comme le très beau Stairway to heaven de Led Zeppelin, ou des morceaux de Neal Morse ou Kerry Livgreen, voire La passion d’Adrian Snell, brillant compositeur anglais des années 1970, des rockers talentueux et chrétiens qui ont composé des hymnes modernes.
Je voudrais terminer par une réflexion de théologien. Ce travail repose sur une belle réflexion sur la Bible et sur des intuitions artistiques très théologiques. Les mouvements de couleurs, notamment, sont des magnifiques interprétations de certains textes. Comment rendre la force de l’Annonciation ? G. Chabrat y réussit fort bien en usant de filets de couleurs. Il y aurait beaucoup d’autres exemples à relever dans le détail de chaque fresque.
Il faut enfin dire un mot du plafond de l’église. Il est lui aussi entièrement peint. La plus grande partie est d’un magnifique bleu assez soutenu. Mais il y a une idée vraiment très forte (j’hésite à user du mot génial, tant il est galvaudé), celle de la frise réunissant le chevet du chœur et le tympan du portal de sortie. C’est le chemin de l’humanité, allant de la création à la fin du monde. La frise est agrémentée de très nombreux petits figurés où l’on reconnaît des silhouettes humaines ou animales et d‘autres que je n’ai pas identifiés. Je trouve que cette idée permet de visualiser de manière simple l’histoire humaine selon Dieu. Une belle prouesse.
On peut visiter cette église en étant tout à fait athée : on appréciera alors le travail du peintre, tout son art. Mais on peut aussi venir en tant que chrétien. Et là, la visite sera encore plus riche, car à la dimension artistique s’ajoutera une dimension spirituelle qui élève l’âme.
Dans tous les cas, il faut aller à Sous-Parsat admirer ce chef d’œuvre bien caché. Je mets cette réalisation au même plan que d’autres chapelles peintes, comme celle de Matisse à Vence. Vous trouverez ci-dessous les liens pour obtenir des renseignements et organiser une visite guidée.
Jean-Michel Dauriac – Les Bordes (Chéniers)– Août 2025.
Le site de l’office de tourisme local, avec possibilité d’organiser ou participer à une visite guidée, très utile pour mieux profiter de cette œuvre :
https://www.tourisme-creuse.com/creuse-sud-ouest/decouvrir/notre-patrimoine/eglise-de-sous-parsat
Une petite vidéo pour vous mettre en appétit : https://www.facebook.com/watch/?v=535765657114323
5 belles photographies de l’intérieur de l’église :
https://www.france-voyage.com/photos/eglise-sous-parsat-956.htm
Le site de l’artiste Gabriel Chabrat, incontournable :
https://www.gabrielchabrat.com/index.html
[1] La piéta est la seule scène qui n’a aucun fondement biblique, comme de nombreux autres épisodes de la « légende mariale », qui a été construite dans les premiers siècles de l’Eglise, dans des textes qui n’ont pas été retenus par le Concile de Nicée (325) et les conciles ultérieurs, pour construite le canon du Nouveau Testament, ce qui signifie que ces textes étaient considérés comme non inspirés par l’Esprit-Saint. Exemples de ces inventions extrabibliques : l’histoire de l’enfance de Marie et de sa mère Anne ou l’Assomption de la Vierge, tout comme l’Immaculée Conception et la virginité de Marie durant toute sa vie.
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