(éloge de Laurent Voulzy)
Nous le savons tous : les programmes de télévision gratuite sur la TNT, lors des vacances de Noêl sont particulièrement indigents et parfois indignes, lors même que les chaînes devraient offrir de la qualité en ces jours car le public disponible est nombreux. Au lieu de quoi ils recyclent les téléfilms américains de Noël (aux Etats-Unis c’est un genre reconnu) les plus mauvais, où le doublage est exécrable et où la guimauve coule à flot, laquelle guimauve n’a absolument rien à voir avec l’amour du Christ qui est la racine de Noël, il faudrait le dire aux Américains, eux si religieux, mais pas toujours très éclairés. Les bêtisiers se multiplient, ce qui en dit long sur le public que l’on vise, les rétrospectives nullissimes s’additionnent et les rediffusions usées jusqu’à la corde s’enfilent comme des perles (on appelle ça des « films cultes » pour justifier cette pratique insupportable de mépris). Bref, il faut être paraplégique et grabataire pour regarder la télévision durant ces vacances.
Alors ce mercredi soir du 29 décembre lorsque j’ai vu que France 4 diffusait le concert de Laurent Voulzy donné dans l’abbatiale du Mont Saint-Michel, je me suis dit que nous allions peut-être avoir une soirée de qualité. Et j’avais raison. Bien évidemment, le cadre grandiose de ce concert n’y est pas pour rien. Le lieu a une grandeur qui en impose depuis dix siècles. Mais les murs ne font pas tout et on pourrait y subir une prestation médiocre ou décalée. Or, Voulzy a une sensibilité spirituelle qu’il évoque avant le concert et ressent la solennité habitée des lieux de culte, tels cathédrales, églises ou monastères. Son concert en sera la profonde et magnifique démonstration. A l’écoute des titres présentées, il est facile de se rendre compte que la spiritualité et la bienveillance y sont récurrentes. Ce concert dégage une sérénité que le public et les artistes ressentent et partagent, et qui parvient au téléspectateur. L’habillage musical est réduit mais fort suffisant : une harpiste- guitariste- choriste-chanteuse, un pianiste-claviériste expérimenté et la guitare de Laurent Voulzy, qui est un très bon instrumentiste, il en fait discrètement la démonstration ici. Il mélange à son répertoire quelques titres forts connus, dont deux grands succès de Simon & Garfunkel, une belle version du célèbre Amazing grace. Une chorale viendra épauler les trois artistes en seconde partie du concert, mettant en évidence la superbe acoustique du lieu, sublimée, par ailleurs par des jeux de lumière qui jouent avec l’architecture gothique. L’ensemble donne un véritable spectacle complet, d’autant plus qu’interviendra un bagad local sur un morceau. Nul n’avait envie que cela prenne fin. Les lumières de scène éteintes, nous nous sentions comme en apesanteur. En tout cas aucune envie de redescendre du Mont, mais celle de prendre demeure ici pour conserver la grâce partagée. Merci Laurent pour ces instants précieux que rien ne peut égaler.
Mais la suite du programme de France 4 avançait et un autre concert était programmé. Comme il n’y avait pas le nom de l’artiste sur mon journal-télé, je suis resté devant l’écran. C’était Gaetan Roussel, ex-membre du groupe Louise Attaque et auteur-compositeur reconnu dans la profession. C’était un bon concert de chanson teintée de rock, avec de jeunes musiciens talentueux et appliqués. Mais la grâce n’était pas là, seulement les décibels et la technique. Au bout de deux morceaux j’ai éteint la lucarne bleue pour ne pas perdre la joie du Mont. Nous étions donc bien redescendus sur le plancher des vaches, dans la banalité quotidienne.
Cette expérience m’a rappelé une autre histoire, bien plus ancienne, qui se trouve dans les trois Evangiles de Matthieu, Marc et Luc, que l’on appelle les synoptiques en théologie. La version de Marc 9 : 2-10 est celle que je préfère, car elle est ramassée et précise.
« 9.2
Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il les conduisit seuls à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux;
ses vêtements devinrent resplendissants, et d’une telle blancheur qu’il n’est pas de foulon sur la terre qui puisse blanchir ainsi.
Élie et Moïse leur apparurent, s’entretenant avec Jésus.
Pierre, prenant la parole, dit à Jésus: Rabbi, il est bon que nous soyons ici; dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie.
Car il ne savait que dire, l’effroi les ayant saisis.
Une nuée vint les couvrir, et de la nuée sortit une voix: Celui-ci est mon Fils bien-aimé: écoutez-le!
Aussitôt les disciples regardèrent tout autour, et ils ne virent que Jésus seul avec eux.
Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur recommanda de ne dire à personne ce qu’ils avaient vu, jusqu’à ce que le Fils de l’homme fût ressuscité des morts. »
Le texte est ici donné dans la version de Louis Segond 1910, la Bible de référence de nombreux protestants, pour sa fidélité au texte original.
Mon but n’est pas faire un commentaire de ce texte, mais de le mettre en comparaison avec ce que j’ai décrit plus haut. Le verset 5 montre Pierre ayant le même ressenti que celui que j’ai évoqué à propos du concert de Laurent Voulzy. Il veut demeurer sur la montagne, car il vient d’y vivre un moment exceptionnel d’intensité et de beauté pour un Juif de son temps. La tentation est forte, quand on est dans un grand bonheur de vouloir le faire durer, car nous savons tous qu’il est fugace. Pierre n’y échappe pas plus que moi. Car le réel nous rattrape en bas. Dans le cas musical, c’était Gaetan Roussel – dont j’aurais sans doute apprécié le concert dans d’autres circonstances -, pour Jésus c’est le retour à la demande de guérison et à la faiblesse spirituelle de ses disciples restés en bas (lire Marc 9 : 14-29).
Loin de moi l’idée de laisser croire qu’il ne peut y avoir de tels moments d’extase que dans le religieux. Le sublime existe dans la vie terrestre, et il faut savoir y être sensible. Le domaine religieux offre sans doute plus d’opportunités de tels instants par la présence de la transcendance et donc, du surnaturel. Mais tout humain peut vivre et ressentir cela, à condition de se laisser envahir par la grâce qui suspend le cours du temps pour un moment.
Je vous souhaite beaucoup de temps de grâce en 2022 et au-delà.
Jean-Michel Dauriac 30 décembre 2021
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