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Catégorie : les livres: littérature

Balzac et la Petite Tailleuse chinoise – Dai Sijie

Folio 2009 (2000 pour la première édition Gallimard)

Ayant lu L’Evangile selon Yong Sheng récemment, je me suis souvenu avoir trouvé ce roman dans une bouquinerie et l’avoir rangé dans ma bibliothèque sans le lire. Impressionné par le livre cité, j’ai donc décidé de lire ce premier roman qui a rendu son auteur célèbre en France. Et je me suis rendu compte que j’avais fait le chemin à l’envers !

En effet, tous les thèmes qui sont développés dans l’Evangile.. sont présents dans ce roman et ont été repris et amplifiés dans le second. En premier lieu, bien entendu, le contexte historique, celui de la Chine maoïste. Dans ce livre le cadre historique est plus resserré, puisqu’il s’agit de la Révolution Culturelle et de l’envoi en « rééducation «  de tout ce qui était « intellectuel », car potentiellement antirévolutionnaire. D’un point de vue historique, ce livre vous en dira bien plus que n’importe quel livre d’histoire de la chine communiste ; car ici le moment est incarné par deux jeunes gens issus des milieux intellectuels de la ville, l’un fils de chirurgien-dentiste et l’autre de deux médecins spécialisés. Donc des « ennemis du peuple ». L’auteur réussit fort bien à nous faire ressentir à la fois la terreur de cette époque et son absurdité totale. Le pouvoir est alors aux Gardes Rouges, des ignares fanatisés qui prônent l’inculture comme vertu révolutionnaire et font du Petit Livre Rouge le summum de la pensée. Les deux jeunes hommes sont des lycéens ordinaires, pas du tout des intellectuels, mais ils sont nés dans les mauvaises familles. Les voilà donc exilés dans une région montagneuse marginale, la Montagne du « Phénix du Ciel ». Ils sont accueillis et enrôlé dans un village de paysans à la botte d’un chef stupide et soumis aux ordres. Le roman nous raconte leur vie quotidienne, faite de mesquinerie, de bêtise et de moments réjouissants de raillerie. Leur arrivée au village et la scène où le chef découvre le violon d’un des deux jeunes est proprement hilarante. Leur ruse pour aller au chef-lieu voir des films qu’ils doivent ensuite raconter in extenso au chef et aux villageois est un grand moment de burlesque. Mais ce livre n’est pas un énième témoignage romancé sur la Révolution Culturelle.

Il s’agit en réalité d’un livre sur le pouvoir émancipateur et formateur de la littérature. Les héros de ce roman réjouissant s’appellent Balzac, Flaubert, Hugo, Zola ou Romain Rolland et le lieu majeur du livre est une valise où sont cachés ces livres interdits qu’un relégué a amené en douce pour les sauver de la destruction dans la maison parentale. Ce personnage est appelé le Binoclard et propose un réjouissant second rôle littéraire. A côté du Binoclard, le personnage qui donne son titre au livre est une magnifique jeune fille villageoise, fille d’un tailleur et totalement inculte. Toute l’intrigue consiste dans l’évolution des rapports entre les deux jeunes hommes et la jeune fille – il y a bien sûr une histoire d’amour ! – et du rôle que les livres et la valise vont tenir dans ce triangle. Pas question ici de vous raconter l’intrigue. Il suffit de dire que l’éducation littéraire que les deux jeunes hommes donnent à la Petite Tailleuse va réussir au-delà de toute espérance et, finalement, se retourner contre eux.

Voici la dernière phrase du livre, dont je vous laisse le plaisir de découvrir dans quelles circonstances elle a été écrite :

  • « Elle m’a dit que Balzac lui a fait comprendre une chose : la beauté d’une femme est un trésor qui n’a pas de prix. » (p. 229).

On ne lit pas ce livre, on le dévore : je l’ai lu en deux nuits et n’ai pas pu le lâcher avant cette dernière phrase. Et maintenant encore, la Petite Tailleuse hante parfois mon esprit : le personnage est sorti des pages du livre et vit sa propre existence dans ma tête, récompense suprême pour l’auteur.

Jean-Michel Dauriac – Août 2021 –

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Une vie d’homme dans l’enfer chinois du XXème siècle – Sur L’Evangile selon Yong Sheng – Dai Sijie

Folio Gallimard – 2020 – 486 pages.

Un « vrai » roman ! C’est la première exclamation qui sort de ma bouche après avoir tourné la dernière page de ce livre. Si la vocation première et la grandeur d’un roman est de raconter une histoire, ce livre remplit parfaitement sa mission. Nous sommes happés par la force narrative de l’auteur et les péripéties de son récit. Et pourtant, le schéma est assez, pour ne pas dire, très classique : il s’agit de suivre une vie d’homme, en Chine, dans années 1930 à la fin du XXème siècle. Le narrateur ne cherche pas à faire éclater la structure temporelle – ce qui est perçu par certains auteurs et lecteurs comme le gage d’une modernité désirable, mais si la cohérence globale en sort en miettes -, il suit le temps humain, ici inscrit dans l’histoire contemporaine de la Chine, au moins décrite dans quatre de ces grands épisodes. L’enfance du héros se passe lors de la décennie 1930, début de la guerre civile entre communistes et nationalistes, sa jeunesse évolue également dans le contexte de la Longue Marche et des reflux des nationalistes. Sa vie d’adulte est décrite end eux temps, sous le régime communiste débutant, puis sous l’épisode de la Révolution culturelle. La fin de l’histoire, et de la vie de Yong Sheng, se déroule à fin du siècle, dans le « socialisme de marché » mis en place en 1978 par Deng Xiaoping.

Le lecteur un peu féru d’histoire y suivra donc les moments politiques de la Chine contemporaine, vus par les yeux d’un homme du peuple. Il faut bien avouer que c’est assez effroyable et parfaitement vraisemblable selon les témoignages et sources historiques sur la période maoïste. Les longs développements où l’auteur décrit la vie de Yong Sheng sous la férule communiste donnent des frissons dans le dos ; on peut ainsi approcher ce que furent les tortures et humiliations imposées au nom d’un code idéologique totalement arbitraire. Le summum de l’absurde étant atteint sous la Révolution Culturelle. Je me demande comment tant de jeunes occidentaux, garçons et filles, ont pu adhérer à cette pensée misérable, réduite et mortifère qu’on appela le maoïsme (je renvoie le lecteur au lire d’Olivier  Rolin, Tigre en papier, qui évoque ce temps à travers les jeunes français des années 1966-78), que l’on voit ici in situ, dans toute son abjection et avec toute la lâcheté humaine qu’elle a entraînée. Le romancier réussit parfaitement à partager avec nous ce sentiment de l’absurde et son inéluctabilité. L’homme n’est plus qu’un fétu de paille emporté par le vent mauvais de l’histoire.

Mais l’essentiel de ce roman est ailleurs, inscrit en filigrane tout au long du récit et justifiant le titre de l’ouvrage. Dai Sijie s’est inspiré de la vie de son grand-père pour créer ce personnage. La vie de Yong Sheng commence un peu comme une sorte de conte : son père fabrique des sifflets pour colombe, un artisanat révéré en Chine, et lui-même apprend ce métier. Mais le fait capital de son enfance est la rencontre avec les missionnaires américains du village voisin, qui vont le prendre en charge pour lui donner une instruction de base. Il s’agit d’une famille de missionnaires baptistes, le pasteur GU, son épouse et sa fille Mary. L’enfant découvre les charmes de la religion chrétienne en même temps que l’éveil érotique, en contemplant en cachette Mary dans sa prière. Puis il est arraché à ce milieu et vit sa vie de chinois du moment. Je passe sur les péripéties qui vont l’amener à demander plus tard le baptême et à vouloir de venir pasteur lui-même. Ce qui m’amènera à suivre les cours d’une faculté protestante de théologie. Il sera ensuite pendant quinze années un pasteur très actif et apprécié de ses paroissiens et même au-delà. Puis survient la Révolution et là commencent, évidemment ses ennuis et son calvaire : on pourrait dire qu’il vit, au sens évangélique, une très longue Passion de cinquante ans. Comment va survivre cet ennemi du peuple, transformé en manœuvre dans un pressoir à huile, privé de tous ses droits civique set humains, dépouillé de ses plus petits biens et soumis, lors de la Révolution Culturelle à l’obligation de l’humiliation et de la confession publique ? Sans nul doute par sa foi, muette, mais bien réelle, et aussi par cette étrange résistance passive que les Chinois doivent au Confucianisme. Mais un évènement horrible, va lui faire perdre la foi. Il ne la retrouvera qu’au moment de mourir où il pourra à nouveau prier, juste avant d’être exécuté pour trafic de drogue, crime qu’il a endossé à la place de son petit-fils, pour lui sauver la vie. Il y là, bien sûr une image de la rédemption par le sacrifice, une imitation de Jésus-Christ, que l’auteur fait voir sans aucun commentaire, ce qui fait que beaucoup de lecteurs ignares religieusement ne verront pas cet acte rédempteur, pas plus que n’ils ne l’ont vu dans la mort de Clint Eastwood à la fin de son film Gran Torino.

Voilà . Je ne vous en dévoile pas plus, car il faut aller se plonger dans cet univers foisonnant et pourtant d’une extrême banalité, voire d’une grande pauvreté matérielle. Il est impossible de rester indifférent au destin de Yong Sheng qui, à vue humaine, est un échec complet. Je fais, évidemment, une lecture tout à fait autre, évangélique, biblique et théologique de cette vie ; A vous de la découvrir et de vous faire votre propre idée personnelle. Un grand livre.

J.M. Dauriac ; juin 2021.

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Sur les amitiés passagères – A propos de L’ami arménien de Andrei Makhine,

Paris, Grasset, 2021,213 pages

Je connais Andrei Makhine depuis son Goncourt très réussi de 1995, Le testament français. De temps à autre, selon les circonstances, j’achète un de ses romans, que je dévore en général en quelques soirées. Celui-ci n’a pas fait exception à cette règle.

Makhine est un « vrai » romancier, au sens populaire : il sait inventer et raconter des histoires avec talent. Le point commun de toutes celles que j’ai lues est la Russie, sa terre natale. Sans doute est-ce une des raisons de l’intérêt que je lui porte, car je suis un russophile impénitent. Je rapprocherai assez volontiers Makhine de Henri Troyat, autre académicien d’origine russe ; tous deux ont ce talent de savoir captiver leurs lecteurs par des récits en apparence simples, mais en réalité très travaillés. Certes, je sais bien que cela n’est pas dans le sens de la critique présente et des modes intellectuelles françaises, mais il y a un très vaste public qui achète un roman d’abord pour lire une histoire bien narrée et non pour apprécier les procédés littéraires, les états d’âme personnels de l’auteur et ses essais techniques.

Dans ce livre, le récit est très ramassé dans le temps. Sans doute quelques semaines, peut-être quelques mois, mais pas plus. Il s’agit de la naissance et de la vie d’une amitié entre deux adolescents d’une ville de réclusion de l’URSS, à l’époque des camps et des jugements arbitraires (sans doute la fin des années 1950 ?). Le narrateur est un orphelin, sur la vie duquel nous ne saurons rien, sinon qu’il est habitué à la rudesse de la vie dans ce cadre peu amène pour les faibles et les rêveurs. Arrive dans le collège un jeune Arménien, fragile et étrange, que le narrateur va prendre sous sa protection et avec lequel il va nouer une amitié comme seuls les adolescents savent en créer. Ces Arméniens sont venus ici en groupe pour soutenir des leurs arrêtés et qui doivent être jugés dans cette ville. Ils se sont installés dans un faubourg mal famé au bout de la ville et apportent un rayon d’exotisme et de soleil à une ville froide de Sibérie. Le récit croise plusieurs fils dans sa trame. D’abord l’amitié proprement dite, entre les deux garçons, fortement improbable au départ, mais qui réussit sans doute à cause de cela. Ils partagent de longs moments de complicité, même lorsque Vardan, l’ami arménien souffre de la « maladie arménienne qui le ronge et finira par le tuer quelques mois plus tard. Mais cette amitié permet au narrateur de découvrir l’histoire de la nation arménienne et la mémoire douloureuse car toujours vive, du génocide de 1915-1916. Il approche ainsi un autre monde et s’ouvre à l’altérité, tout cela, sans aucun discours de morale, mais par le talent de l’écrivain, nous est accessible au fil de l’histoire. Enfin, autour de ce deux jeunes gens gravitent des adultes aux histoires lourdes : la mère de Vardan, Chamiram, Une jeune épouse d’un condamné, Gulizar, dont le jeune narrateur est visiblement amoureux platoniquement, Sarven, un vieil homme chaleureux et énigmatique et Ronine, un professeur de mathématiques, invalide de guerre. Toutes ces existences sont évoquées en miniatures, mais de manière très forte. L’écriture de Makhine est très cinématographique : on imagine sans cesse les plans et les images. Il ne me surprendrait pas que ce livre fasse l’objet d’une adaptation cinématographique, tant il semble en osmose avec cet art.

L’art du bon roman est aujourd’hui, très paradoxalement, devenu rare, tant les auteurs veulent faire preuve d’innovation et s’inscrire dans la modernité du moment. Ceux qui aiment la lecture jouissive d’une histoire captivante se régaleront et dévoreront ce petit volume. Il n’est, par ailleurs, pas interdit d’y chercher et d’y trouver des pensées profondes, mais jamais assénées, toujours en filigrane.

Pour que la lecture reste un plaisir simple, il faut des auteurs du calibre d’Andrei Makhine. Ce roman le confirme comme un écrivain au sommet de son art.

J.M. Dauriac, 20 avril 2021.

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