Guillaume Faburel – Paris, Le passager clandestin, 2020. 170 pages, 13€.
Ce petit livre, paru en plein confinement, est à la fois un réquisitoire contre les métropoles ou les villes qui les singent et une série de pistes pour sortir de cette situation urbaine insoutenable à long terme. L’auteur y alterne des textes personnels et des témoignages de particuliers, tous en lien avec les thèmes des divers chapitres.
J’ai chroniqué son dernier livre, Indécence urbaine, qui reprend et développe davantage les thèmes de ce manifeste. Je ne reprendrai donc pas le détail de son argumentation, renvoyant le lecteur à mon texte sur le dernier livre : https://blogjeanmi.danslamarge.com/?p=1014.
Le constat des dégâts urbains est établi dans les six premiers chapitres. Il est à noter que ce constat n’en reste pas à la déploration technique, comme c’est le plus souvent le cas. En général, les critiques urbaines portent sur ce qui serait des dysfonctionnements. Il suffirait alors, après avoir signalé ces défauts, de proposer des solutions techniques pour corriger le tir et poursuivre sur la voie du progrès et de l’urbanité. Ce n’est pas la démarche de G. Faburel. Il va au cœur du problème, qui est bien l’idéologie libérale. Cela dépasse le traditionnel clivage droite-gauche, car tous les partis de gouvernement partagent la même croyance au libéralisme. Faburel dénonce sans modération le coupable de cette fuite en avant métropolitaine : le libéralisme économique érigé en seule voie subsistante. Dans le chapitre intitulé La conversion néolibérale de nos vies, l’auteur montre comment l’économie a créé un mode de vie qui crée lui-même un habitus politique, souvent inconscient. C’est ainsi que la gauche historique a été sapée de l’intérieur par le virage social-démocrate, puis social-libéral. Il apparaît que toute résistance à la déferlante métropolitaine est vaine sur le long terme. Les pouvoirs politiques savent fort bien utiliser les espaces et populations qui se veulent résistants, d’abord en les combattant mollement, puis en les intégrant à la ville (voir l’Espace Darwin à Bordeaux, par exemple) et, in fine, en les digérant purement et simplement. On retrouve ici la grande force de subversion du capitalisme. J’avais fait la critique d’un essai paru en 2006 en version française, Révolte consommée – le mythe de la contre-culture, auquel je renvoie le lecteur : https://blogjeanmi.danslamarge.com/?p=35.
Guillaume Faburel, professeur de géographie à LYON II
Il ne peut y avoir de vraie résistance et de lutte qu’en quittant ces métropoles. C’était déjà la position de Jacques Ellul en 1991. En voici un extrait significatif :
« L’urbanisation est un scandale
Une doctrine globale de la société, de l’homme aussi, radicale?: par exemple la très simple et totale situation de la concentration folle des populations et de la désertification des campagnes. Nous sommes là en présence de la «?crux?» la plus décisive, aussi bien de l’écologie que de l’économie. Il ne s’agit plus, comme l’«?écologisme mou?», de dénoncer «?certains scandales de l’urbanisation?». Non?: c’est l’urbanisation elle-même qui est depuis plus de cinquante ans le scandale.
Il faut aménager un étalement des populations sur l’ensemble du territoire et détruire les agglomérations urbaines buboniques. Bien entendu cela ne se fera jamais par mesures autoritaires. Mais par des déplacements d’intérêts?: si vous rendez la vie du paysan plus attrayante, plus équilibrante, plus enrichissante, si vous assurez des services sanitaires, sociaux, scolaires, communicationnels meilleurs que ceux de la ville, si vous garantissez un logement rural supérieur à tous points de vue aux «?grands ensembles?», si vous offrez un travail rémunérateur et intéressant à la campagne, si vous soutenez une production rurale de qualité (contre les saletés des élevages en batterie et des légumes d’engrais), si vous garantissez des revenus normaux à tous les paysans, si vous empêchez le suréquipement «?technique?» (aboutissant à un endettement inépuisable), alors je suis certain que le fameux exode de la campagne vers la ville se retournera et que l’on assistera à un retour des chômeurs vers la campagne.”
Jacques Ellul, Ecologie et politique, article paru dans Combat Nature de mai 1991.
Ce que ce manifeste propose s’inscrit de fait dans la droite ligne de la dernière phrase de cet extrait. L’auteur propose d’organiser une nouvelle manière de vivre autour de trois verbes : Habiter, coopérer et autogérer. Pour réaliser ce projet il énonce, dans le dernier chapitre sept grandes orientations que je me bornerai ici à énumérer :
- Organiser des Etats généraux autonomes [cette proposition est, de loin, celle qui m’enthousiasme le moins, tant elle rappelle les fameux « Grenelle de … » que les derniers présidents français ont utilisé pour désamorcer toute contestation.]
- En finir avec le BTP.
- Renaturer la terre.
- Habiter sans bétonner.
- Réorienter et augmenter les ressources budgétaires [vers les secteurs nouveaux de cette manière de vivre non urbaine].
- Autogérer des biorégions par un confédéralisme communaliste [mariage du retour à des régions à base naturelle et à une pratique d’inspiration anarchiste].
- Reprendre la main et reprendre pied dans la connaissance du vivant.
Ces sept pistes peuvent, en effet, être une bonne démarche pour changer de mode de vie et revenir à une société plus en harmonie avec le milieu géographique naturel. Il ne faut cependant pas se cacher le fait qu’il s’agit là de propositions globalement assez utopiques dans le contexte actuel. Les projets et démarches qui existent en ce domaine sont certes intéressants, mais extrêmement marginaux quantitativement. La vraie question préalable est donc : comment faire changer les mentalités et faire en sorte que les écailles tombent et que les yeux s’ouvrent ?
Ce petit livre n’apporte évidemment aucune réponse à cette question première. Mais il ouvre la porte à une stratégie alternative à la vie moutonnière que promeut et promet la métropolisation. Ne serait-ce que pour cela, il mérite notre attention.
Jean-Michel Dauriac – octobre 2023.
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