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Catégorie : les livres: essais

Etre « Charlie » ou ne pas être « Charlie »: « Nous sommes la France » de Natacha Polony

Nous sommes la France

 

Natacha Polony

 

J’ai lu – 2016 –217 pages

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C’est entendu : Natacha Polony n’est pas fréquentable ni recommandable, puisque chroniqueuse au « Figaro », journal de droite notoire de Serge Dassault. Son cas est ainsi réglé pour toute une intelligentsia de gauche ou se prétendant telle. Si vous en êtes, avec un petit clic simple, vous pouvez aisément aller sur le site de Libération ou Les Inrocks, en suivant ce lien.

 

Pour ceux qui sont restés, buvons un coup à la santé de l’ouverture d’esprit et à l’intelligence ! Je lis toujours avec plaisir les chroniques hebdomadaires du Figaro de Natacha Polony – je suis abonné au Figaro de fin de semaine, quelle horreur pour un chrétien libertaire ! – justement parce qu’elles changent des autres chroniques du même journal, dont certaines sont carrément réactionnaires au sens le plus étroit du terme. Jamais chez elle. Le lecteur curieux aura remarqué que c’est maintenant dans les pages débats du Figaro que les voix libres de la pensée de gauche s’expriment, puisqu’ils sont vilipendés et ostracisés par la presse de gauche bobo-capitalo.

 

Ce petit livre est une très stimulante réflexion sur l’après-attentat de Charlie Hebdo et la manifestation monstre du 11 janvier qui suivit. Autant dire que c’est un livre nécessaire, tant il y eut de malentendus et d’inepties proférées à ce moment-là.

 

Avec un très beau style, qui rappelle sa formation de professeur de lettres, elle nous fait d’abord réfléchir sur ce moment particulier et le sens qu’il porte, riche de contradictions et d’ambiguïtés. Il faut se souvenir cet élan moutonnier du « Je suis Charlie » pour apprécier la finesse de son travail. Elle ne se range nullement dans un camp, celui des pro-Charlie absolutistes ou celui des anti, tout aussi virulent. Elle énonce des faits troublants et met en avant, à tête reposée des éléments qui sont passés inaperçus et acceptables sur le moment. Surtout, elle comprend parfaitement la position de beaucoup d’absents –dont j’étais – qui refusaient l’enrôlement grégaire et la fausseté d’une union de papier.

 

Mais au-delà de cette première analyse critique, elle pousse ensuite à réfléchir à ce qui pourrait valider une affirmation comme celle vue sur une pancarte : « nous sommes la France ». Qu’est-ce qu’être ou prétendre être la France ? Elle mène donc un retour au source de la nation, en repassant à juste titre par la superbe réflexion d’Ernest Renan dans sa conférence en Sorbonne de 1882 (à lire ici).

 

Puis elle pose ce qui n’est pas négociable pour que la France ne se délite pas, qu’elle reste ce qu’elle est par son histoire. Discours de bon sens mais pas du tout politiquement correct aujourd’hui. On est vite taxé de « nationaliste », de « fasciste », de « réactionnaire » etc.. dès qu’on aborde ce sujet central.  Tout est dit avec précision, clarté, dans le respect de tous, mais en étant ferme sur ce qu’est la laïcité –le rappel est nécessaire et fort bien fait -, en insistant évidemment sur le rôle central de l’école et son abandon catastrophique en la matière malgré tous les discours officiels. Elle se positionne aussi clairement contre cette mondialisation qu’elle résume par la magnifique formule du « droit des peuples à disposer d’un écran plat ».

 

C’est un livre intelligent, comme son auteur. C’est un livre à faire connaître, car il va bien au-delà du contexte de son écriture et sort des petites considérations électorales, des combines boutiquières de la bande des partis de pouvoir ou aspirant à en faire partie. C’est un livre de combat optimiste. Bravo et merci, madame Polony !

 

Jean-Michel Dauriac

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Auprès de mon arbre: « La vie secrète des arbres » de P. Wolhlleben

La vie secrète des arbres

Ce qu’ils ressentent – comment ils communiquent

 

Peter Wohlleben

 

Editions Les Arènes – 2017 –261 pages

 

 

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Ce livre a une couverture magnifique, qui donne vraiment envie d’entrer dans l’ouvrage comme on entre dans une forêt  majestueuse. Cet ouvrage a connu un succès foudroyant en Allemagne où il s’est vendu à plus de 650 000 exemplaires ; il a ensuite été traduit en 32 langues. C’est dire s’il s’agit vraiment d’un très beau parcours éditorial !

 

L’Allemagne a toujours eu une passion pour les arbres : au XIXème siècle, les Allemands ont établi une liste d’un million d’arbres remarquables. La forêt a participé du romantisme allemand, tant en poésie et littérature qu’en peinture. La mythologie germanique exalte la forêt. Rien d’étonnant donc à ce qu’un livre écrit par un forestier amoureux de son métier et de sa forêt séduise ce peuple. Mais le succès est également en train de se propager en France. Toutes les critiques que j’ai pues lire sur cet ouvrage sont très positives.

 

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L’auteur adopte un point de vue qui peut énerver les scientifiques purs et durs, pétris d’immanence et de logique chimique. Il nous décrit le comportement des arbres en termes humains, parlant de l’arbre-mère et de ses enfants. De même décrit-il une collaboration, une entraide, une communication, une défense des arbres entre eux et contre leurs ennemis. Même si vous connaissez bien les arbres, vous serez charmés par cette approche très sensorielle, qui nous permet de mieux comprendre l’arbre et nous le rend très proche. P. Wohlleben pose ainsi la question de la solidarité entre arbres de la même espèce et la compétition entre espèces, confirmant ainsi Darwin. Mais il va plus loin, en nous soumettant des observations précises qui interpellent sur l’éventuelle mémoire des arbres et, pourquoi pas, une forme d’intelligence, ce qui supposerait un cerveau, jusque là non observé car pas du tout envisagé.

 

Ce livre ne pontifie jamais, il ne manie nullement le langage abstrait des techniciens et savants, il explicite toutes les notions théoriques en langue populaire. Pas de leçon de morale et d écologie non plus. Et pourtant le lecteur pourra en retirer de très nombreux enseignements. Par exemple sur la nécessité de laisser du temps long aux arbres, et donc d’accepter que notre vie et le commerce ne soient pas les étalons en la circonstance. Ou alors en nous décrivant le supplice de l’arbre urbain avec toute l’empathie du connaisseur : on a envie d’aller casser les grilles métalliques et le goudron des boulevards et avenues ! Il ne prend pas non plus l’attitude de l’écologiste profond qui préfère l’arbre à l’homme. Il nous remet simplement à notre place, montrant le respect que nous pourrions avoir envers ces géants pacifiques qui nous sont si utiles.

 

Je pense que c’est un livre à conserver et à relire par morceaux. Les chapitres sont courts et très précis ; certains peuvent donner lieu à un vrai débat public et seront utiles aux animateurs ou professeurs sérieux. Le plaisir est réel et jubilatoire à cette lecture. Et je puis vous assurer que vous ne verrez plus jamais les arbres du même œil après avoir lu ce livre.

 

Jean-Michel Dauriac

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Le crépuscule de la France d’en haut – Christophe Guilluy – Flammarion – 2016-

 

 

Ce livre est le troisième volet d ‘un tryptique consacré à la fracture française, dont la publication a commencé en 2013, avec « Fractures françaises », puis ‘est continué en 2014 avec « La France périphérique » et s’achève, au moins temporairement avec le titre présenté ici. Tout ayant commencé en 2000 avec la publication d’ un « Atlas des fractures françaises » chez L’Harmattan.. Depui0  s plus de quinze ans donc, Christophe Guilluy explore la société française en géographe autour des lignes de séparation sociales, politiques, économique set humaines qui se manifestent dans notre pays. Il faut se souvenir qu’Emmanuel Todd, avant lui, avait inventé l’expression « Fracture sociale » que Jacques Chirac avait préemptée sans vergogne pour sa campagne victorieuse de 1995 et dont on sait à quel point elle n’eut aucune suite ni mise en œuvre dans ses deux mandats.

 

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Il vaut mieux avoir lu « La France périphérique » avant de lire ce volume, tant il s’appuie dessus et en est le contretype. Dans ce précédent volume, l’auteur avait fait le portrait d’une France abandonnée à ses ennuis et à sa misère par la France gagnante. Son diagnostic était sans complaisance et lui a valu l’ostracisme de la gauche bien-pensante, alors même que, comme Michel Onfray ou Jacques Julliard, il est incontestablement homme de gauche. Mais la chape de plomb de la pensée unique sévit beaucoup plus à gauche depuis vingt ans qu’à droite, il est extrêmement aisé de le démontrer par les tribunes publiées dans la presse de droite par des penseurs de gauche qui ne peuvent plus le faire que là.

 

Les idées fortes sont peu nombreuses dans ce livre, qui n’est pas un ouvrage universitaire mais un livre grand public. F. Guilluy prend cependant la précaution de citer toutes ses sources qui sont sérieuses et étatiques le plus souvent. L’idée qui arme tout le livre et qui est répété à satiété est que les élites diverses (de la pensée, de l’économie, de la politique et de la culture) se sont non seulement coupées de la France modeste, mais la rejettent par un certain nombre de procédé techniques et médiatiques, au nom de valeurs humanistes dont elles auraient l’exclusivité et la compréhension. De cette idée majeure d »coulent des idées mineures qui valident la thèse. Les élites ont fait des métropoles ce que Guilluy appelle « les nouvelles citadelles » qui pilotent le pays et excluent ou incluent les populations. Ces citadelles reposent sur une nouvelle féodalité qui se consolide avec le temps. Une quinzaine de métropoles à l’échelle du pays dominent les secteurs-clés de l’économie, de l’emploi et de la pensée sous toutes ses formes. S’y retrouve une partie de la France périphérique, au titre de la force de travail non qualifiée nécessaire aux basses besognes. La société s’y est américanisée totalement et use des médias comme paravent de ses manœuvres idéologiques. La ségrégation spatiale est son arme, camouflée derrière le discours sur la diversité qu’elle promeut mais en évitant surtout, pour les dites-élites, de la vivre au quotidien. Paris en est la quintessence. Cette société ne cherche nullement à assimiler ou intégrer les arrivants, elle a tout misé sur le multiculturalsime de fait et choisit de plutôt misé sur les immigrés que sur les classes populaires traditionnelles (ouvriers et employés). Tout ce modèle repose sur un contrôle médiatique sans faille qui crée les représentations collectives nécessaires à la poursuite des choses. Mais ce schéma se grippe, car les classes populaires se sont nettement désaffiliées du discours politiques et sont entrain d’inventer d’autres modèles de terrain, dans une solidarité contrainte, qui laisse le champ politique abandonné.  C’est ici que sont présentées les deux idées les plus intéressantes de ce livre qui, par ailleurs se répète pas mal.

 

La première idée donne son titre au dernier chapitre : « Le marronnage des classes populaires ». Guilluy développe l’idée que les catégories abandonnées de la France périphérique se comportent comme les nègres marrons des plantations d’outre-atlantique. Il s’agissait des esclaves en fuite qui allaient se cacher dans des terres inaccessibles et y créaient une société nouvelle détachée du monde des maîtres. Ce fut le cas du peuplement des cirques de l’île de la Réunion, refuges de négres marrons en raison de leur isolement.. les bayous du Mississippi jouèrent aussi ce rôle pour les esclaves américains. Cette approche est intéressante car l’étude du terrain la valide à de nombreuses échelles. Il existe une forme de contre-société en marche dans les espaces marginaux du pays, et ceux qui la composent et l’animent ne sont pas de hippies ou des baba cool, mais des français moyens que l’on a relégués et qui ont pris le parti de vivre autrement. Dans son très beau livre « Remonter la Marne », Jean-Paul Kauffmann utilise le mot « conjurateur » pour désigner ces hommes et ces femmes qui se battent pour conjurer le sort qu’on leur a jeté ou qu’on leur fait subir. L’idée est la même : les gens qui « marronnent » selon Guilluy sont les « conjurateurs » de Kauffmann. Il y a maintenant tout un travail fait pas des chercheurs et penseurs libres pour mettre en évidence ces initiatives sociales, économiques et culturelles qui fleurissent dans les territoires des villes moyennes et petites et dans l’hyperruralité comme on dit aujourd’hui à Paris. Il faut synthétiser tout cela pour saisir l’évolution irréversible qui coupe la société française en deux groupes qui n’ont plus grand chose en commun. Mais l’appréhension de cette forme émergente de marronnage ou de conjuration est porteuse d’espoir, d’autant plus qu’elle a lieu dans un contexte de sobriété subie qui est l’avenir de nos sociétés, n’en déplaise aux technophiles béats qui veulent nier l’appauvrissement planétaire des ressources et l’impasse qui nous attend s nous n’entrons pas dans la « conversion écologique » dont parle le pape François.

 

La seconde idée est plus politique et traduit bien la manipulation des mots et des médias que réalise la caste dirigeante de droite et de gauche ici réunie par la promotion et la défense de son modèle social mondialiste et ségrégatif. Il s’agit de l’usage de l’antifascisme (et donc en creux de l’usage du mot et de l’idée de fascisme).

«  Véritable arme de classe, l’antifascisme représente en effet un intérêt majeur. Il confère une supériorité morale à des élites délégitimées en réduisant toute critique la mondialisation à une dérive fasciste et raciste . » page 173

Ce propos est clair et rend bien compte d’une technique rodée, qui consiste à traiter de fasciste tout individu qui remet en cause le modèle actuel mondialiste, multiculturaliste, métissé, technophile et libéral. L’anathème est immédiat et les médias le répercutent ad nauseam. Citons les cas de Finkielkraut interdit de venue au rassemblement de Nuit Debout ou de Michel Onfray, devenu brutalement réactionnaire parce qu’il dit des évidences niées par les bobos socialos qui font le contrôle médiatique. Cela serait dérisoire si l’on s’adressait à un public qui sait ce qu’est le fascisme. Mais ce n’est plus du tout le cas. Les mots « fascistes » et « nazis » sont instrumentalisés en dehors de toute vérité historique et idéologique. Est « fasciste » tout ce qui s’oppose clairement à la doxa dominante décrite en quelques qualificatifs ci-dessus. Il est donc aisé de constituer un front antifasciste contre une menace qui n’est pas réelle. Guilluy renvoie, et je le fais aussi, au livre de Pier Paolo Pasolini, « Ecrits corsaires », chez Champs-Flammarion, où, dans de nombreux articles de combat publiés dans la presse italienne nationale au début des années 1970, il dit de manière très claire ce qu’est le fascisme et ce qu’il n’est pas. Il avait su distinguer bien avant nous la dérive qui règne aujourd’hui et interdit tout vrai débat d’idée en France. Sont également frappés d’indignité nationale le souverainisme, les revendication régionalistes ou la promotion des identités locales.

 

Guilluy termine par l’idée que demain on pourrait faire un suffrage à points qui hiérarchiserait les électeurs en fonction de leurs « aptitudes » à bien voter. Il s’appuie sur l’exemple de l’analyse des résultats du Brexit par les médias français et les experts. En gros, ce vote est celui d’imbéciles qui n’ont rien compris à leur propre intérêt ; il faudrait donc ne pas tenir compte de ce vote ou en réorganiser un qui donnerait un résultat conforme à la pensée dominante. La même chose s’est produite en 2005 au moment des résultats du référendum sur le trait européen constitutionnel que les Français ont rejeté. Les propos des commentateurs et hommes politiques divers ont été ignobles de mépris pour les citoyens français et laissaient déjà augurer de l’objectif de ces classes dirigeants hors sol. Anne Hidalgo à Paris en est le plus magnifique exemple.

 

Ce livre n’est pas exempt de défauts formels, notamment dans ses répétitions, mais il a le mérite de dire tout haut ce que nous sommes nombreux à penser. Il va l’encontre de toute une doxa universitaire géographique que je connais parfaitement et qui empêche toute discussion au fond, en privilégiant un formalisme stérile et une pensée monocolore élaborée par quelques groupes parisiens essentiellement. Reclus, reviens, ils sont devenus fous !

 

Jean-Michel Dauriac

Beychac, le 13 octobre 2016

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