Sur « Ludwig van Beethoven – « L’art pour unique raison de vivre » – Michèle Lhopiteau-Dorfeuille, Le bord de l’Eau, Lormont , 207, 262 pages ; 2 CDs, 77 extyraits, 2 h 40 de musique. 32 €
Après Mozart et Bach (J.S), Michèle Lhopiteau-Dorfeuille s’est attaqué au troisième et dernier des génies incontestés de la musique classique occidentale. Sur le même principe que ses deux précédents ouvrages, elle offre au lecteur un livre accompagné de deux CD d’extraits musicaux à écouter au fur et à mesure de l’avancement de la lecture.
Ludwig van Beethoven a réussi un exploit unique en son genre, que ni Mozart ni J.S Bach n’ont accompli. Ce qui en fait véritablement le compositeur le plus connu au monde (pas le plus grand vendeur de disques cependant, les Beatles et Elvis Presley écrasant la compétition). Un de ses morceaux court la Terre entière. « L’hymne à la joie » a marqué l’histoire musicale et politique de la planète, surtout au XXème siècle. Michèle Lhopiteau a parfaitement saisi l’importance de ce final de la 9ème symphonie et donne à cette composition hors norme et unique en son genre à l’époque une place importante dans son livre. Ce qui en fait au sens noble du terme un ouvrage à la fois populaire et érudit. Car elle met un point d’honneur à ne pas écrire seulement pour le petit monde des musicologues et mélomanes du classique en France. Pour preuve l’étrange construction de son livre qui débute par deux boites à outils en général reléguées en notes de bas de page ou annexes terminales. Le préliminaire est un « petit lexique des formes et instruments en usage du temps de Beethoven » (lequel est bien sûr actuel pour toute la musique classique), qui définit à la fois les formes, tels le rondo ou le canon ou la nature des pièces, comme le quatuor ou le concerto. Le lecteur pourra toujours s’y reporter avec profit –l’auteur appelle entre parenthèses ce lexique chaque fois que nécessaire- et gageons qu’à la fin de ce livre, un lecteur attentif connaîtra les bases de compréhension des formes et combinaisons instrumentales majeures. Il y a donc là déjà, avant même de mettre en marche le corps du livre, œuvre pédagogique et donc populaire. Le premier chapitre est une chronologie à entrées multiples (musique, histoire, culture générale, littérature…) qui situe Beethoven dans son temps et par rapport à ses grands prédécesseurs et contemporains. Le chapitre II est intitulé « Qui furent les destinataires des nombreuses lettres de Beethoven ? ». Nous touchons déjà là à un point de ce que je pourrais appeler la « Méthode Lhopiteau », à savoir s’appuyer sur la correspondance de ses objets d’admiration et d ‘étude. Pour le plus grand bonheur des amateurs, de nombreuses lettres de ces musiciens ont été conservées. On frissonne à l’idée que les futurs historiens ou musicologues se penchant sur les créateurs du XXIème siècle devront se coltiner des milliers de courriels, à la condition plus qu’aléatoire qu’ils aient été conservés ! En utilisant ce procédé épistolaire, Michèle Lhopiteau dresse en fait un petit répertoire des amis, relations d’affaires, mécènes et éditeurs de Ludwig van Beethoven. Mais elle démarre aussi, sans nous le dire sciemment son étude, en posant le décor d’une belle manière. J’avoue, en commençant le livre, avoir été d’abord gêné par ce procédé que je trouvais maladroit, car un peu rebutant en premier contact. Mais une fois entré dans le livre, je me suis senti bien heureux d’avoir avant eu ces informations et j’ai pu y revenir en cas d’oubli ou doute. J’avais donc tort ! A signaler aussi en ouverture une carte situant les principaux lieux beethovéniens (j’avais émis l’idée d’une carte lors de ma lecture du « Mozart » de notre auteur).
Commence ensuite l’étude elle-même. Et là s’épanouit la « Méthode Lhopiteau », maintenant bien rôdée. Le piège, avec de tels sujets, est de verser dans la biographie anglo-saxonnes. Celle qui vise à nous décrire la vie de l’individu étudiée jour par jour, voire heure par heure, sans omettre le plus petit incident ou aléa existentiel. Cela donne des ouvrages énormes qui découragent le lecteur, même de bonne volonté, et qui ne sont lus que par des spécialistes ou des prisonniers. Ces livres se doublent en plus d’une analyse serrée des œuvres, offrant souvent deux ouvrages en un seul. Très bien pour le conférencier ou le fanatique monomaniaque,mais pas du tout populaire, le petit peuple ne pouvant et n’osant même s’approcher de ces mausolées de papier. Or le peuple représente quand même au moins 90% des sept milliards d’humains. Ca fait un sacré marché, quand même ! Michèle Lhopiteau a bien compris ce risque car elle connaît ces pavés encyclopédiques. Elle a fait le choix d’un autre chemin, car celui-ci est déjà fort encombré de gigantesques livres qui manquent juste de lecteurs. Non, son truc à elle, c’est l’approche humaine, celle de la vie quotidienne, des amitiés et des haines, à travers lesquelles elle aborde le répertoire, mais sans avoir l‘air d’y toucher et peut délivrer des analyses et commentaires pertinents mais surtout jamais pédants. La correspondance est très précieuse car elle offre des hommes (ou femmes) sans apprêt et ayant levé la garde, car ils ne se doutaient point que leurs missives seraient scrutées deux ou trois siècles plus tard avec la plus grande attention. Pour Beethoven, il faut ajouter les « Cahiers de conversation » qui servaient à ce sourd précoce à communiquer avec son entourage.
Sur la base de ces informations, qu’elle recoupe avec les meilleures sources (voir les références citées en fin de volume), elle livre alors des chapitres thématiques, variant les thèmes, alternant moments de vie et focus sur les œuvres ; C’est habile et écrit de manière fluide, émaillée de-ci de-là de petits traits d’humour, comme elle le fait dans ses brillantes et vivantes causeries, notamment à l’Université Populaire des Hauts de Garonne. Bref, on ne s’ennuie jamais. L’écoute des extraits permet une respiration et illustre immédiatement : pédagogie encore que l’ex-professeur de musique n’a pas oubliée et qui est le secret du partage du savoir (et non de la communication, science du vide oral). Il n’est pas question ici de détailler tous les thèmes abordés, mais je puis vous dire, pour vous allécher que les chapitres « Beethoven et les femmes » ou « Le neveu de Beethoven » sont passionnants et vous apprendront bien plus que des centaines de pages érudites mais mortes de spécialistes. A l’issue de cette lecture, il est d’ailleurs tout à fait possible que vous ayez envie de vous lancer dans la lecture d’une des sommes sur Beethoven (le « Beethoven » de Maynard Salomon, le plus récent ou le « Ludwig van Beethoven » de Brigitte et Jean Massin, références en langue française).
Une des originalité de la « Méthode Lhopiteau » est de mener des études comparatives entre maîtres géniaux de la musique, surtout s’ils ne se sont pas croisés. Deux cas sont présentés, celui de Beethoven-Mozart, qui, selon toute vraisemblance, n’ont jamais eu de contact réel et profond, et Beethoven-Joseph Haydn, qui se connurent mais dans un contexte initial de maître trop occupé et d’élève peu soucieux du maître. C’est dans ce genre de démarche que je trouve notre auteur la plus convaincante, car obligée de puiser dans ses ressources propres. Les deux disques joints permettent d ‘étayer ses rapprochements musicaux, toujours pertinents et évidents quand elle nous les a expliqués.
Enfin, revenons encore sur la cathédrale sonore de Beethoven, la « symphonie n° 9 en ré mineur opus 125 ». Michèle Lhopiteau nous livre de belles clés d’écoute, avec des extraits forts bien choisis dans cette construction titanesque. Elle ne cache pas la difficulté d’une telle œuvre pour les musiciens et l’innovation cruciale que fut l’introduction du chant dans une symphonie ( ce que Gustav Mahler et d’autres reprendront plus tard). Mais elle fait aussi un chapitre sur le mauvais usage que l’on a pu faire de ce chef d’œuvre et de la force hypnotique qui s’en dégage. De Adolf Hitler, dont c’était, hélas, un des morceaux préférés, aux dirigeants de la Rhodésie indépendante et raciste, nombreux furent les maîtres en détournement. Mais il y eut aussi la chute du mur de Berlin et ces concerts de réconciliation et le choix d’en faire l’hymne de l’Union Européenne, un de ses plus fortes et belles décisions.
Comme j’avais beaucoup aimé le « Mozart », qui s’est avéré apporter un éclairage nouveau et, sans doute décisif, sur les causes de la mort de Wolfgang-Amedeus, j’ai apprécié aussi le « Bach », merveilleusement illustré par les deux disques et rendant justice au génie de Bach et à ses conditions d’existence et d ‘exercice qui rendent encore plus exceptionnelle sa musique, Ce Beethoven est tout aussi réussi. Cette fois-ci, c’est le paradoxe entre la rudesse de Beethoven et la sympathie qu’il inspira même çà ceux qu’il rudoyait qui nous le rend aimable, quand on connaît l’enfance très difficile de Ludwig et le calvaire de sa surdité, survenue à 27 ans. Le mystère restera à jamais de cet homme maltraité par la vie et qui créa des œuvres tellement empreinte d’optimisme et de beauté. Ce n’est pas le moindre mérite de ce livre que de nous avoir introduit dans ce mystère.
Jean-Michel Dauriac
Président-fondateur de l’Université Populaire des Hauts de Garonne (Lormont)
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