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Catégorie : les critiques

rassemble tous les écrits critiques

Nos vies – Marie-Hélène Lafon – De la beauté du minuscule

 

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Marie Hélène Lafon                                                             Buchet-Chastel

                                                                                              2017 – 183 pages

 

 

Un livre de Marie-Hélène Lafon se découvre avec une sorte de délectation. On l’a attendu, on l’a découvert sur le présentoir ou dans les rayonnages de la librairie, maintenant la lecture sera notre récompense. Une certitude : l’écriture sera belle et stylée. Une surprise : quel sujet apparemment banal va-t-elle choisir cette fois-ci et nous y surprendre encore ?

 

« Nos vies » raconte, comme son titre l’indique, des morceaux de vie ordinaires. Le pronom possessif « nos » est cependant porteur d’un message particulier. Ce qui est décrit nous concerne ; ce ne sont pas des vies romanesques distinctes de nous. Quand l’auteur parle d’eux, elle nous parle et parle de nous. Cet avertissement titral est important pour nous éveiller. Ce livre est partiellement un miroir.

 

Que nous montre-t-il ? Une femme mûre qui vit à Paris et déroule un quotidien peu emballant, entre son appartement, le Franprix du coin et de rares relations humaines. Mais l’écrivain a du métier ; elle sait que si elle se contentait de narrer cette vie terne, elle nous lasserait vite. Elle va donc utiliser divers procédés pour nous tenir en haleine. D’abord elle va introduire d’autres personnages, dont la caissière du Franprix et un client régulier, qui vient tous les vendredi. Elle invente leur existence, leurs prénoms même, jusqu’au moment où elle recueille des informations réelles qui s’inscrivent alors dans l’histoire. Elle subodore une envie d’idylle chez l’homme et une réserve farouche chez la caissière. Cette manière de faire crée un effet de véracité surprenant. Très vite, j’ai eu l’impression de lire le journal personnel de l’auteur. Alors que ceci est une pure fiction. Force de la littérature qui est plus vraie que la vraie vie.

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Mais elle entrelace cette fiction du présent avec la fiction du passé de la vie de son personnage central. Fille de boutiquiers, elle est venue à Paris et y a rencontré un algérien avec lequel elle a vécu 18 années. Puis un jour, il n’est pas revenu d’Algérie où il allait seul tous les étés. Et sa vie s’est comme figée dans cet abandon. Son périmètre vital s’est réduit à son immeuble et à ses rares sorties.

 

En dire plus ne servirait à rien. Comme pour « Joseph » que j’ai chroniqué par ailleurs, l’art de « Nos vies » est dans cet art tout de subtilité qui tisse très serré les fils ordinaires des vies inventées qui ressemblent tant à nos propres existences. En écrivant cette critique, je me rends compte que j’ai envie de relire ce livre, car il me manque déjà des éléments, alors que je l’ai lu il y a simplement deux mois. Et ce sera le même plaisir, sans doute même plus intense car, connaissant la base, je vais me concentrer sur d’autres détails. Un peu comme les films-cultes dont on explore sans répit l’univers, sans se lasser, car il s’agit d’une course-poursuite infinie entre notre mémoire et l’œuvre.

 

Il faut lire et relire Marie-Hélène Lafon. Elle est un de nos plus beaux auteurs, mais pas vraiment connue. C’est peut-être le gage d’une future longévité, loin de ces livres-lessives, sitôt oubliés que lus.

 

Jean-Michel Dauriac – décembre 2017

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Le drame des chrétiens d’Orient – Sauver les livres et sauver les hommes

 

Sauver les livres et sauver les hommes

 

Père Michaeel Najeeb

Grasset éditeur – 176 pages – octobre 2017 – 17,00 €

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J’avais eu l’occasion de voir le frère Najeeb dans un reportage télévisé qui racontait comment il avait logé des chrétiens réfugiés dans un immeuble inachevé. J’avais trouvé cet homme lumineux, de cette lumière spéciale qui se dégage des hommes spirituels, de quelque religion qu’ils soient.

 Dimanche 27 Novembre : nous sommes dans l’église Saint-Paul de Bordeaux, qui jouxte le couvent des Dominicains. Le père Najeeb est venu, à l’invitations de ses frères, animer deux rencontres avec le public. Le samedi soir il a présenté son livre ; le dimanche soir, il parle plus largement du sort des chrétiens d’Irak.  Il est tout a fait comme je l’avais pressenti en le voyant sur mon écran de télévision. Petit, oriental dans son type, il parle un excellent français, où il pousse même la coquetterie à employer des expressions idiomatiques, comme « caresser la bête dans le sens du poil ». Il n’est pas besoin de l’écouter longtemps pour comprendre qu’il est animé d’une grand foi, de celles qui permettent de traverser les pires épreuves. Ce que les frères et sœurs chrétiens de cette zone vivent si intensément depuis l’été 2014, avec l’installation de DAECH et de son Califat autoproclamé. Il raconte du vécu, ce n’est pas une conférence savante sur les diverses branches des chrétiens orientaux – qui nous semblent si étranges vues d’ici – mais un témoignage, avec toute la force de conviction que cela comporte. Le public est conquis. Les questions suivent. Le frère répond posément et concrètement. Ensuite, il s’installe au fond de l’église et dédicace son livre, en prenant le temps de converser avec chacun de ceux qui se présentent.  Cette rencontre m’a conforté dans mon souci fraternel et spirituel pour ces frères persécutés, qui sont les descendants des plus anciens disciples du Christ. Je repars avec un livre dédicacé et l’envie de prier encore plus pour ces femmes et ces hommes qui partagent la même foi que moi mais sont persécutés et menacés pour cela.

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Le livre « Sauver les livres et sauver les hommes » est une collaboration de Michaeel Najeeb et d ‘un journaliste, Romain Guibert, spécialiste de l’international au magazine Le Point. C’est un petit ouvrage organisé en cinq chapitres dont quatre sont plutôt chronologiques. On y suit la progression de l’inquiétude des croyants dans cette plaine de Ninive face à l’émergence de cette organisation djihadiste extrémiste qu’est DAECH ou Etat Islamique. La vie de Qaraqosh, ville de 50 000 âmes, chrétiennes pour la plupart, est d’abord décrite dans une ambiance de fausse quiétude, qui se transforme vite en peur de l’inconnu. Car la réputation de DAECH le précède. Le livre fait bien ressentir cette montée effrayante face à l’ennemi, qui est ici, au sans théologique, un antéchrist. Que faire ? Les trois moines qui sont là savent qu’ils devront partir, ils en ont reçu consigne de leur hiérarchie. Mais quand. Et qu’emporter ? C’est là que survient le second fil de la trame du livre et du titre de ce récit. Le frère Najeeb a la passion des livres anciens, et plus largement des écrits anciens. Il a réussi à monter un atelier de numérisation et déjà sauvegardé des centaines de milliers de pages de vieux ouvrages dont le plus ancien est antérieur à l’An Mil. Il ne peut abandonner ces livres et son matériel. Il va alors tout mettre en oeuvre pour emballer et emporter son matériel et les livres anciens. Il aura le temps de faire cela avant l’arrivée des DAECH, comme il les appelle. Mais au moment de fuir, au milieu de ce qu’il nomme un « nouvel exode » face au « nouveau Pharaon » de DAECH, il reste des ouvrages, qu’il charge dans les deux voitures du couvent. Mais, alors qu’ils avancent au pas de l’homme sur une route de débandade, il est ému par la détresse de personnes âgées et familles mal en point. Il installe ces passager sur ses chers vieux livres et sauvent livres et hommes. Il nous fait ensuite partager la détresse de ces milliers de gens arrivés à Erbil, en terre kurde, qui dorment sur les trottoirs, dans les rares églises ; Il faut tout organiser ; c’est là qu’il obtient la mise a disposition de bâtiments inachevés que les réfugiés vont aménager tant bien que mal en espaces de vie. Le premier s’appelle « La vigne » et le second « L’espoir ». Après ce récit circonstancié, le frère nous raconte un peu sa vie, son enfance, sa passion pour les livres ; Il y voit la mémoire de l’humanité, et singulièrement, pour ses vieux ouvrages chaldéens, la preuve de l’ancienneté du christianisme dans cette vallée. On y apprend au passage que la cohabitation fut très souvent difficile  au cours des temps et que depuis l’émergence de l’islam, les chrétiens sont de statut inférieur et discriminés . Ce n’est pas là-bas qu’il faut aller chercher un modèle de tolérance et d’égalité, et ceux qui hurlent au racisme anti-musulman en France devraient être plus prudent et surtout plus renseignés.

Ce n’est pas un écrit structuré d’écrivain. C’est le récit d’une vie et la mémoire d’un peuple qui se raconte. Il faut se laisser emporter par la vie qui sourd, même sous les ruines et savoir remercier le frère Najeeb de son témoignage. Tous les islamo-gauchistes de notre belle conscience françaises devraient avoir l’honnêteté de lire ce livre. Mais je garde un petit goût amer de l’épilogue. Car, le frère Najeeb le dit clairement, les chrétiens, dans leur immense majorité, ne reviendront pas à Qaraqosh ou ailleurs. Ils veulent partir, en Europe, aux Etats-Unis, en Australie, au Canada, où ils savent qu’ils pourront vivre en paix et pratiquer leur religion sans peur. Qu’adviendra-t-il de l’araméen, leur langue maternelle, celle que parlait le Christ ? La question est en suspens. Le frère veut rester optimiste parce que la foi c’est « espérer contre toute espérance » selon la belle formule biblique. On peut légitimement être inquiet. En tous les cas, il faut aider de toutes les manières les chrétiens d’Orient, nos frères et sœurs dans la tourmente et ne pas laisser le flux de l’actualité les effacer de nos cœurs.

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Les livres de témoignage sont essentiels pour le présent, afin de mobiliser l’opinion et de porter la cause des victimes en pleine lumière. Mais ils le sont aussi pour le futur, car ils attesteront de la barbarie de ces fanatiques et du martyre des chrétiens. L’histoire humaine est malheureusement jalonnée de ces stèles de papier. Et pourtant l’horreur ne cesse de revenir. Ne serait-ce pas cela que les chrétiens appellent le péché ?

 

Jean-Michel Dauriac

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Cathare ta gueule à la Croisade ! Sur « Cathares » de Sandrine Biyi

 

Le catharisme et ses adeptes sont le sujet plus ou moins direct de nombreux écrits, tant romans que poèmes, essais ou livre d’histoire. La mémoire de cet épisode horrible est bien présente dans les esprits des habitants de la France du sud, alors que les septentrionaux n’en connaissent rien . On retrouvera le même phénomène de mémoire non partagée à propos des guerres de religion, où le souvenir des dragonnades et galères royales est une plaie plus ou moins vives chez les Cévenols ou autres Ardéchois. Il s’agit donc de prendre au sérieux ce qui en traite car ce n’est pas anecdotique. A travers les Cathares, les méridionaux se retrouvent dans leur rapport de sujétion à Paris et au gouvernement ; or c’est au XIIIème siècle que tout se joue. Et il faudrait nier la notion d’inconscient collectif pour ne pas admettre que les traces sont profondes. Ce roman m’intéressait donc a priori, en tant qu’occitan historique (je ne pratique pas la langue de mes ancêtres, résultat d’une politique volontariste de minoration de ces langues qui nuiraient à l’unité nationale !).

 

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Sandrine Byi a choisi d’ancrer son récit romanesque dans un espace qui pourrait paraître marginal par rapport à l’histoire de la Croisade des Albigeois et du catharisme tels qu’ils sont évoqués rapidement. Le cadre est le Lot-et-Garonne actuel ; Un secteur très rural de collines boisée qui ressemble au Périgord. Cet espace n’est pas connu comme terre cathare – on pense souvent à l’Ariège, l’Aude ou Toulouse – et pourtant la foi des bons hommes et bonnes femmes, comme on les appelait y a été bien présente. Le hameau d’Aurelhac et son château seigneurial seront le locus princeps de ce roman. Le narrateur est Loup, un fils de serf, donc serf lui-même, qui raconte à la première personne. Mais l’auteur ne s’est pas enfermée dans ce procédé et intervient quand nécessaire. L’unité d’action est assez forte, puisque seuls trois espaces sont présents (Aurelhac, Toulouse et Fanjeaux). Ce cadre resserré est plutôt un bon choix, il permet de bien présenter le village natal des protagonistes.

 

Les personnages principaux sont assez peu nombreux, six ou sept selon sa lecture. Mais l’auteur a choisi dès le départ de centrer sur le trio de jeunes gens ; Il y a donc Loup le serf et les deux enfants du seigneur Auger de Durefort, Esclarmonde surnommée Prunelle et son frère Trojan. S’ajoutent à ce quatuor Marie, la conductrice des femmes cathares du hameau, et un chevalier, Thibaud, ami inséparable d’Auger de Durefort.  Les autres personnages seraient ce que le cinéma appellent des seconds rôles, parmi lesquelles Dame Guilhemine, la mère des jeunes gens ressort un peu plus. Selon ses goûts on pourra préférer Trojan, Loup, Prunelle ou Marie. Tous ont une certaine épaisseur psychologiques, suffisamment pour nous saisir, preuve de leur validité.

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L’action est simple et extrêmement tragique. Tout démarre dans l’insouciance qui peut précéder les ouragans. Les jeunes gens forment un trio indéfectible. Loup est passionnément amoureux de Prunelle qui l’aime aussi mais peut-être autrement, en raison de ses désirs d’être ordonnée « anteposita », c’est à dire diacre au féminin de l’église cathare. Quant à Trojan, il admire et adore sa sœur, amis il brule d’un amour interdit pour Loup, qui le sait et s’en trouve très mal à l’aise car il n’est pas lui-même insensible au charme de Trojan. Celui-ci désespère son père qui voudrait en faire un guerrier alors que le jeune homme veut être troubadour, vocation pour laquelle il a un talent certain. Mais le noeud du drame est Prunelle, qui a des visions et émet des propos prophétiques lors d’une état de transe dont elle ne garde pas de souvenir, du moins au début de l’histoire. Or, ses propos sont hérétiques et cela va remonter jusqu’u Vatican. Et le drame démarre, qui ira crescendo puisque confondu ensuite avec le début de la Croisade lancée par Innocent III pour éradiquer le catharisme en éradiquant les cathares. On sait l’ampleur des tueries, l’histoire les a bien documentés, c’est le premier génocide de l’histoire de France, jamais reconnu par les autorités de notre pays. Le récit nous fait traverser l’horreur, avec réalisme mais sans voyeurisme excessif. La stratégie catholique et ses héros est bien exposée, la figure de Dominique de Guzman, le fondateur des Dominicains, devenu Saint Dominique plus tard, est peinte avec talent et une certaine admiration – c’est bien le seul catholique qui en sort indemne !- alors que les prêtres et évêques sont peu reluisants, de même que le pape et ses sbires assassins. Sandrine Biyi a enchâssé une intrigue policière dans son histoire, avec les massacre de cinq personnes au début du livre, ce qui ajoute un élément d’intérêt supplémentaire, mais n’est pas le moteur du livre. Le centre de ce récit est l’amour, celui qui est donné à Dieu et celui que les êtres humains partagent. La fin n’est pas complètement désespérée malgré le contexte. Mais je n’en dit pas plus, c’est au lecteur de le découvrir.

 

Qu’est-ce qu’un bon roman ? Assurément ce n’est pas la même réponse pour le professeur de lettres, le critique littéraire, l’éditeur et le lecteur. Je vais ici me contenter du point de vue du lecteur, qui m’est toujours apparu comme le plus légitime, voire le seul à l’être. Un bon roman est d’abord un roman que l’on termine. Combien de livres nous tombent des mains ? Mais c’est aussi un livre qui nous entraîne dans le paradoxe oxymorique du lecteur : on aime vraiment lire ce livre et, comme tout ce que l’on aime, on souhaite que ça dure, mais « en même temps » on le dévore pour arriver le plus vite possible au bout, ne pouvant le lâcher jusqu’au point final. Si je me réfère à ce que j’ai vécu en lisant « Cathares », c’est incontestablement un bon roman. L’écriture est vive, les chapitres assez courts, l’action présente, sans sacrifier la psychologie. Le contexte est fort bien documenté et tout à fait crédible pour quelqu’un comme moi qui a étudié et enseigné l’histoire.

 

Est-ce un grand roman ? Je ne le crois pas. Il lui manque ce supplément d’âme et de style, ces trouvailles qui nous amènent à souligner un passage ou corner une page. Mais je ne pense pas que c’était le projet initial de l’auteur – si tant est que ce but puisse exister a priori – et je crois qu’elle peut être satisfaite d’avoir écrit un bon roman. Tant d’auteur y échouent !

 

Jean-Michel Dauriac

Les Bordes – octobre 2017

 

Ps : une carte de l’Occitanie d’alors avec les lieux du récit et ceux de la Croisade aurait été la bienvenue !

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