Tout le monde ou presque connaît le livre des Psaumes, au moins par le célébrissime Psaume 23, souvent lu lors des cérémonies de funérailles. (« L’Eternel est mon berger, je ne manquerai de rien… »). Toutes les Eglises chrétiennes en usent abondamment, notamment dans les diverses liturgies et homélies. On les assimile souvent à l’œuvre littéraire du roi hébreu David, car beaucoup lui sont attribués. C’est en réalité une oeuvre collective, écrite par des prêtres le plus souvent, pour des cérémonies au Tabernacle ou au Temple. Il y a 150 Psaumes, c’est le livre le plus volumineux de la Bibliathèque nommée Bible. C’est aussi le plus original, tant il s’agit d’un genre poétique particulier : le Psaume est une prière ou une proclamation à Dieu ou devant Dieu. Mais la lecture complète et attentive de ces Psaumes n’est pas sans surprendre, voir horrifier le lecteur. Dans aucun autre livre de la Bible le vocabulaire n’est aussi agressif contre les ennemis de Dieu. Ils contiennent des appels à la mise à mort, à la destruction, à la ruine… demandés à Dieu par les auteurs. On se trouve aux antipodes du message d’amour des Evangiles. Les Psaumes sont souvent évoqués par les adversaires de Dieu pour montrer la cruauté de la religion et des croyants ; et il est vrai que certains passages ne sont pas inférieurs à ceux du Coran traitant des Infidèles. Alors ? Intolérance contre intolérance ? Haine contre haine ?
C’est à ces questions délicates que répond l’ouvrage de Lewis. Car il a été également choqué par ces formules et n’a pas mis le cadavre dans le placard. Son essai n’est pas œuvre de dogmaticien ou de théologien, et c’est tant mieux, car il est beaucoup plus agréable à lire que les productions de ces spécialistes. C’est l’écrit d’un lecteur assidu doublé d’un écrivain (et accessoirement d’un linguiste). En onze chapitres assez courts, il aborde des thèmes qui traversent tout le recueil. Et il commence par ces questions de diatribes violentes, qui donnent la matière des trois premiers chapitres : Le « jugement dans les psaumes, Les malédiction, La mort dans les psaumes. S’il n’épuise évidemment pas ces sujets, il donne cependant assez d’exemples pour bien situer le débat. Il ramène ainsi dans le contexte historiques ces textes (ils seraient pour ceux de David, du XIème siècle avant JC), ce qui rend tout à fait compréhensible le vocabulaire et les conflits évoqués. Les Psaumes sont en continuité avec le « Dieu jaloux » du Pentateuque, ils correspondent à une époque où le petit peuple monothéiste hébreux devait guerroyer contre tous les autres peuples de Palestine polythéistes ou païens et, en même temps, lutter contre lui-même et la tentation, si souvent montrée dans la Bible, de revenir aux idoles et à leurs rites. C’est une guerre sans merci entre ces deux mondes. Et il faut bien se garder de juger de ces contenus avec notre mentalité de Bisounours du XXIème siècle – Bisounours qui commettent chaque jour des féminicides, des parricides, des infanticides, usent d’armes chimiques, du viol en masse, etc . Lewis reconnaît bien que cette approche de Dieu choque le croyante n Christ, car la révélation par Jésus a établi une autre alliance, ce qui confirme le fait que la révélation n’est pas donnée une fois pour toute, mais est un phénomène continue, du Sinaï au Golgotha. On ne peut reprocher aux hommes qui vivaient il y a trois mille ans de ne pas avoir connaissance de ce qui s’est passé mille ans après eux. Mais il est tout aussi évident qu’il est impossible aujourd’hui de reprendre les termes des Psaumes pour parler des non-croyants et tout aussi impossible de demander le feu de Dieu sur eux après le « Aimez vos ennemis » de Jésus.
Les chapitres suivants de ce livre sont beaucoup plus « légers ». Ils célèbrent ainsi la « beauté du Seigneur » (chapitre 4), sa douceur (5) ou la nature (7). L’auteur s’interroge aussi sur le sens second des Psaumes (11), qui est, pour nous, très important, ou sur la place des Ecritures (10), sans oublier bien sûr ce qui saute aux yeux du lecteur, la louange ((8). Ce livre ne prétend nullement être exhaustif, il est au contraire très lacunaire, et ceci volontairement. Il faut le voir comme pouvant jouer un double rôle : celui d’une introduction, pour le lecteur découvrant les Psaumes, car il oblige celui qui veut l’aborder sérieusement à parcourir l’ensemble du livre pour chercher les références citées ou évoquées ; mais il est aussi une synthèse utile après lecture du livre entier, car il remémore bien des thèmes. Il incombe à chacun de choisir comment en user.
Voici l’exemple parfait d’un ouvrage qui trouvera sa place dans toutes les bibliothèques, qui est à la fois une réflexion sur les psaumes et un témoignage personnel de l’auteur. Ajoutons que sa lecture est très facile car il est écrit dans une langue fluide, selon moi bien rendue par la traduction. Enfin, il n’est pas dénué de pointes d’humour et d’autodérision.
Dans la série « Dans la bibliothèque de mon père »
Petit dictionnaire des locutions françaises (1953)
Pour écrire correctement (1955)
Parlez français (1954)
Collection « Le français facile pour tous »
Maurice Rat
Paris, Editions Garnier frères.
Je suis tombé sur ces trois petits livres du même auteur (ils font entre 110 et 200 pages, en petit format), toujours en faisant tri et rangement dans l’héritage livresque de mon père. Les titres m’ont d’abord amusé, puis je me suis dit que c’était une face de la personnalité paternelle que je ne connaissais pas : celle de l’homme qui voulait se perfectionner seul dans le domaine de l’expression orale et écrite, domaine dans lequel il n’avait d’ailleurs aucun problème. Ces livres sont exactement contemporains de ma naissance, il était donc un homme jeune quand il les a achetés (il y a encore le prix sur deux des couvertures : 192 francs pour le plus épais et 144 pour l’autre). Mais en y réfléchissant, je me rends compte que cela rejoint sa curiosité sans cesse en éveil, qu’il m’a sans nul doute transmise. Il ne ratait pas « une occasion de s’instruire », comme le disait le père Pagnol à ses enfants[1]. Au-delà de cette surprise, j’ai mis le nez dans ces ouvrages et j’ai finir par les lire entièrement tous les trois. Je ne regrette nullement cette lecture et le temps que j’y ai consacré. On pourrait dire d’un professeur, qui fut d’abord instituteur, puis plus tard chercheur et doctorant dans deux matières n’a vraiment pas besoin de cela. Ce serait, de mon point de vue, faire preuve d’une grande suffisance. Ce qui a été démontré par ces lectures : j’ai appris ou ravivé énormément de faits grammaticaux et linguistiques, et je ne pourrais que conseiller ces lectures à tous mes collègues professeurs et doctorants.
Je ne sais pas pour vous, mais moi, j’ai toujours été intéressé par les expressions françaises, populaire, anciennes ou recherchées, latines ou françaises. J’ai beaucoup aimé le livre de Claude Duneton[2] (encore un prof qui a mal tourné !), qui fut un succès de librairie en son temps et que je consulte encore. Depuis sont apparus nombre d’ouvrages reprenant le même schème, notamment aux éditions du Robert[3], mais le livre de Duneton reste supérieur par le talent d’écrivain de l’auteur. Maurice Rat, l’auteur des trois petits livres « dont au sujet desquels je cause » (clin d’œil à Frédéric Dard, maître de la langue), était Normalien, professeur agrégé et enseignait dans le très chic lycée parisien Jeanson de Sailly. Mais il avait visiblement le souci de la vulgarisation et d’apporter au peuple de base les outils d’une bonne pratique de leur langue maternelle. Le Petit dictionnaire des locutions françaises est dressé selon l’ordre alphabétique. Les notules pour chaque expression suivent toujours le même modèle :
Le mot-clé – l’expression ou les expressions associées – L’explication du sens premier – L’origine contextuelle. Parfois des considérations linguistiques et historiques précèdent cette explication originelle.
Cette méthode permet au lecteur de s’approprier très vite la lecture. Et je me suis donc surpris à faire une lecture suivi de l’ouvrage, de A à Z. Comme je sens que vous restez sur votre faim, voici un exemple, dédié à mes amis limousins.
« Limoger – Limoger quelqu’un – Le disgracier et, selon les cas, le suspendre de ses fonctions, le mettre à la retraite d’office, le placer en situation de disponibilité, etc.
Le terme date de la guerre de 1914-1918, où l’on prit l’habitude d’affecter à Limoges, où l’on avait transféré le 1er corps de Lille, les généraux qui n’avaient pas réussi sur le front de combat. » – p. 102.
Vous en prendriez bien une deuxième ? Alors, je vous fais ce plaisir.
« Froc – Jeter le froc aux orties – 1° Quitter les ordres.
« Rabelais quitta l’habit régulier, c’est-à-dire monial, pour prendre l’habit de prêtre séculier ; il jeta, comme on dit, le froc aux orties, et alla à Montpellier pour y étudier la médecine » Sainte-Beuve »
2° (par extension) Se libérer de quelque contrainte.
« J’espère bien, cet hiver, jeter un peu le froc aux orties dans notre jolie auberge. » Mme de Sévigné »
Jeter le froc aux orties, c’est proprement se débarrasser de son froc en le lançant dans un fossé plein d’orties. Le froc (du bas latin Hroccus, « habit »), désigne la partie de l’habit monacal qui couvre la tête et les épaules, puis, d’une façon générale, un vêtement de moine. De là, outre la locution susdite, les expressions : prendre le froc (se faire moine), porter le froc (être moine), quitter le froc (renoncer à la profession monastique) et les termes populaires : frocard (moine), frocaille (gens de froc, moines), défroque (au sens propre : ce que laisse un moine au monastère), défroqué (qui quitte les ordres, etc.».
Bien sûr, notre Normalien-agrégé ne peut se départir de sa culture universitaire et cite très souvent des auteurs du XVII ou XVIIIème siècle, totalement inconnu du grand public et qui laisseront le lecteur simple perplexe et ignare (surtout à l’époque préhistorique d’avant Wikipedia !). Mais l’ensemble reste assez lisible et très riche, bien que totalement dénué d’humour, mais ce n’est guère la tasse de thé des auteurs de ce genre.
Les deux autres petits volumes sont destinés à l’amélioration de l’expression orale et écrite et agissent selon le principe des erreurs à éviter.
Parler Français a ainsi un sous-titre explicite sur sa couverture :
« Ne dîtes pas… – Ne confondez pas…- Constructions et tours vicieux – Déformations populaires – Contresens et bévues – Pléonasmes. Fausses élégances et néologismes. Le bon usage. »
La lecture de ce menu montre bien qu’il s’agit de donner des moyens de ne pas mal user d’expressions déformées ou peu claires, souvent mal transmises par l’oralité populaire (les bistrots furent longtemps l’université populaire la plus fréquentée en France). Mais il est aussi question des « Fausses élégances et néologismes », et là, l’auteur vise clairement ceux que nous appelons les cuistres, les pédants, les fats et que le peuple appellent les prétentieux, les parvenus ou, plus lapidairement, les cons. En son temps, le grand pamphlétaire Léon Bloy avait publié une Exégèse des lieux communs assez roborative, Gustave Flaubert avait également écrit un Dictionnaire des idées reçues plutôt roboratif, alors que Jacques Ellul a publié, un siècle après L. Bloy, une nouvelle version de l’Exégèse des lieux communs. Maurice Rat n’a pas cette ambition moqueuse, mais il dénonce pourtant les mêmes personnes. Exemple :
« Etre empreint de
La locution être empreint de est une de ces fausses élégances dont on abuse (voir s’accentuer, s’affirmer, s’avérer, de baser, se révéler…) dans es cas où il serait plus simple de se servir du verbe être.
Au lieu de dire
L’entretien fut empreint d’une grande cordialité,
Il est beaucoup mieux de dire
L’entretien fut d’une grande cordialité,
– car il n’est nullement élégant, bien au contraire, d’user de périphrases ou de vieilles formules à images fatiguées pour exprimer avec prolixité ce qui peut s’énoncer simplement. » (p.107)
Voilà qui sent son Boileau à plein nez, mais n’est vraiment pas faux et vous avez reconnu, cité par l’auteur des verbes qui font florès dans les discours et écrits actuels.
A côté de cette rubrique, des conseils fort utiles pour éviter des confusions pourront servir à des gens curieux de s’améliorer (ceux dont je suis). Ainsi distingue-t-il les mots souvent confondus pacifique et pacifiste, prescrire et proscrire ou jonchaie et jonchée.
Le troisième de ces opuscules est un petit précis de grammaire, syntaxe et orthographe. Si je n’ai rien appris sur l’orthographe et la syntaxe d’usage, j’ai par contre pu tester mes lacunes sur le genre des noms – vieux piège qui fait le bonheur des jeux radiophoniques ou télévisés. J’ai donc mis ces livres à côté du Grévisse et du Littré, dans ma bibliothèque de références, celle qui est posée sur mon bureau et dont les grands auteurs sont Alain Rey, Pierre Larousse, Emile Littré ou Maurice Grévisse. En effet, plus j’avance en âge, et donc en connaissance (car pour l’heure je puis me consacrer à l’étude pour mon plaisir à mon rythme), et plus les dictionnaires et guides de langue deviennent utiles, nécessaires et appréciés. Non que je ne sache plus écrire, bien au contraire, mais parce que j’écris de plus en plus et que je veux, autant que faire se peut (est-ce une fausse élégance ?), écrire mieux. Maurice Rat, avec ses publications populaires, a donc naturellement trouvé sa place sur ce bureau.
Pourquoi parler de livres qui ont plus de soixante ans et ne sont plus édités[4] ? Parce que je suis un retraité qui s’ennuie et s’occupe donc à des inanités ? Peut-être après tout. Mais c’est une occasion de parler de notre langue, tout en évoquant l’amour populaire qu’on a pu en avoir. Bien évidemment il existe des centaines de productions sur la langue françaises, à tel point qu’il y a des rayons entiers consacrés à cela ( voyez chez Mollat, par exemple). Mais ce sont exclusivement des ouvrages de bachotage, de travail péri-scolaire ou professionnel. Les trois livres évoqués ci-dessus visaient un autre public, celui que l’on massacre aujourd’hui dans les écoles de la République, pour tout un tas de raisons, plus ou moins bonnes et anciennes, le peuple laborieux, ceux qui n’avaient pas fait d’étude et le regrettaient – alors qu’aujourd’hui, pour certains, c’est un sujet de gloire -, ceux qui voulaient s’améliorer en autodidacte… Mon grand-père, Jean Dauriac, a fait la « guerre de 14 », notamment à Verdun. Il en est revenu, et en bon état, ce qui était déjà un exploit. Pendant quatre ans, il a connu ces épisodes d’attente interminable dans les tranchées. Ce jeune homme intelligent, qui ne voulait pas être agriculteur comme ses parents périgourdins, avait le Certificat d’Etudes Primaires, sanction d’une bonne culture générale. Il écrivait d’une écriture magnifique, à la plume, ne faisait aucune faute d’orthographe et avait réussi les concours de la gendarmerie. Pourquoi ? Parce que pendant quatre ans, il a lu et mémorisé un petit Larousse qu’il avait avec lui. Il l’a entièrement lu et relu. Il avait, pour un primaire, comme on disait alors, un vocabulaire magnifique. A sa mort (j’avais 14 ans), la seule chose que j’ai pu récupérer de lui, fut justement un dictionnaire, la première édition du Larousse dans la collection du Livre de poche. Il est là, au moment où j’écris ces lignes, devant moi, comme un témoin transmis dans el relais des générations . Que transmettons-nous aux jeunes générations ?
Jean-Michel Dauriac – 25 mai 2021.
[1] C’est « Dans la gloire de mon père » ; la phrase est dite dans le film, lors de la scène des treize desserts provençaux, à la Bastide.
[3]Dictionnaire des expressions et locutions, Alain Rey et Sophie Chantreau, Paris, Dictionnaire Le Robert, 1997.
[4] Je viens de vérifier rapidement, pour un de ces titres : ils sont disponibles en quantité sur des sites d’occasion, à des prix dérisoires. Vous pouvez donc vous les offrir ou les offrir (voir la conclusion).
Toujours trouvé en rangeant la bibliothèque de mon défunt père, voici un livre portant sur la mission chrétienne, à travers quatre de ses figures les plus marquantes dans le monde protestant évangélique. Le projet initial est très pédagogique : il s’agit de susciter des vocations missionnaires à travers la présentation de ces quatre figures de missionnaires. La date d’édition du livre, 1959, le situe encore dans une perspective coloniale où la mission faisait partie du « lourd fardeau de l’homme blanc », tel que défini par Kipling, dans un de ses poèmes publié en 1899. Je crois qu’il est nécessaire, pour aborder le contenu de ce livre, de ne pas le juger selon les critères de 2021, comme tous les adeptes de la « cancel culture » le font de l’histoire et de la culture occidentale. La colonisation et la Mission sont des moments particuliers de l’histoire des pays d’Occident et d’Afrique-Asie-Amériques. On peut aujourd’hui juger cela ignoble, indécent, criminel… Mais ceux qui agissent ainsi en ce moment auraient sans nul doute été fervents partisans de la colonisation et de l’œuvre missionnaire il y a 150 ou 200 ans ! Car bien peu de voix s’élevèrent en son temps contre ces entreprises que tout l’édifice socio-culturel de nos pays européens promouvait et validait. Alors, oui, ce que ce livre raconte est bien inclus dans la domination blanche des pays extra-européen, oui on peut le regretter, le condamner, mais aussi l’analyser en tenant compte de tous les paramètres du moment. Les élites européennes étaient vraiment persuadées qu’elles avaient un devoir de civilisation et de christianisation des peuples dits « primitifs ». Mais ce n’est pas véritablement le cœur de ce livre. Bien sûr, il décrit la vie de quatre hommes qui ont choisi d’aller annoncer l’Evangile de Jésus outre-mer. Mais l’intérêt de l’ouvrage est justement d’entendre de leurs mots quelles étaient leurs motivations personnelles.
Et là, on est très loin de l’impérialisme colonial ! Le propos est uniquement spirituel et même mystique. L’ouvrage est organisé en deux parties distinctes : la première propose trois textes de pasteurs qui parlent de la mission comme projet d’Eglise et comme vocation spirituelle personnelle. Le premier de ces textes est signé Ruben Saillens et consiste en un vibrant appel pour éveiller les consciences des chrétiens sur la question des âmes qui se perdent. Car on oublie, dans le camp des décoloniaux et autres déconstructeurs athées que la question unique du christianisme bien compris est celle du salut de l’âme, et non celle des plantations, du coton ou des minerais. Les second texte de J. Oswald Sanders présente les caractéristiques d’un appel missionnaire et démystifie beaucoup d’idées reçues au passage. L’appel que Dieu adresse individuellement à un homme ou une femme peut prendre des formes très diverses et concerner aussi bien son propre pays (l’Angleterre, la France ou autre) que l’outre-mer lointain et exotique, car tout lieu habité est terrain de mission au sens de l’envoi que Jésus fit à ses douze disciples puis aux soixante-dix, tel que Luc le relate dans son Evangile (chapitre 9 et 10). Enfin le dernier texte, celui du Révérend T. Walker, présente les qualifications que doit posséder un missionnaire. Si la formation intellectuelle est un atout, elle n’est pas primordiale, ce qui compte est la consécration et la passion des âmes. Ces textes généraux ayant posé le cadre, la seconde partie peut ensuite donner à voir des vies en action.
En effet, la seconde partie du livre dresse quatre portraits de missionnaires. Ces hommes (auxquels sont intimement associées leurs épouses, toujours en partage de leur appel) furent des célébrités du monde protestant au XIXème siècle et début du XXème. Si les encyclopédies classiques les ignorent, ils ont tous un article dans Wikipedia. Mais il est certain que le peuple chrétien de 2021 ne les connaît pas, sauf exception, car l’Eglise protestante dans sa grande majorité ne pratique pas le travail d e mémoire de l’œuvre, sauf pour les grands Réformateurs, et on ne peut que le regretter. La grande trouvaille de ce livre est de mêler une approche biographique, réalisée par Marcel Blandenier, et leurs propres mots en piochant dans les sermons, conférences ou lettres de chacun d’eux. Ce format permet en vingt-cinq pages environ de découvrir ces hommes de Dieu. Sachant qu’il existe des biographies détaillées de chacun d’eux (malheureusement non disponibles, car pas rééditées, pour les raisons d’amnésie évoquée ci-dessus), que l’on peut encore trouver en fouillant sur le net, chez les bouquinistes en ligne. Mon propos n’est pas de résumer ces vies, mais de dégager quelques points forts que cet ouvrage met en avant. Le premier point est un appel souvent juvénil : ces jeunes hommes sont à un moment précis de leurs vies mis au contact de la Mission et sentent leur cœur brûler en eux à ce sujet. Ils y consacreront leur vie entière. On aurait pu ajouter à ce quartet de missionnaires Albert Schweitzer, mais, protestant libéral, il ne jouit pas d’une bonne réputation spirituelle chez les évangéliques. Le deuxième point commun est la conversion : chacun de ces hommes a fait uen rencontre personnelle avec la Lumière, la Vie, Jésus-Christ. Ils rendent tous ce témoignage que rien n’aurait été possible sans cette conversion. Leurs rencontres sont présentées dans chaque biographie. Nous savons que la conversion est, pour les protestants évangéliques, une condition sine qua non de la qualité de chrétien. Le troisième point est leur désintéressement matériel total : ils sont tous partis sans ressources propres et ont vécu par la foi, traversant des périodes de misère. Chacun d’eux a mis en œuvre les commandements du Christ à ses disciples envoyés en mission, à savoir partir sans rien. Le quatrième point a déjà été évoqué plus haut : à chacun d’eux Dieu a donné une compagne qui fut un soutien de chaque jour et qui partageait leur appel et vision. « La corde à trois fils ne rompt pas facilement » dit Qohélet en 4 :12. Le cinquième point est capital : tous ne voyaient dans les pays qu’ils voulaient évangéliser que des hommes et des femmes perdues et non des sauvages ou des êtres inférieurs. Ils partaient au loin car ils estimaient que leurs pays disposaient de beaucoup de pasteurs et que les autres étaient oubliés, alors que le commandement du Christ est : « Colossiens 1:23 si du moins vous demeurez fondés et inébranlables dans la foi, sans vous détourner de l’espérance de l’Evangile que vous avez entendu, qui a été prêché à toute créature sous le ciel, et dont moi Paul, j’ai été fait ministre. » Il n’y a chez aucun de ces hommes de Dieu l’once d’un sentiment colonial, mais une fraternité de salut en action. Ils furent d’ailleurs souvent les fondateurs des Eglises nationales qui existent aujourd’hui en Afrique, Asie ou Amérique du Sud. Leur unique but est l’obéissance et le service de Christ. Qu’ils aient pu, contre leur gré, être instrumentalisés par les pouvoirs politiques et économiques ne change rien à leur motivation personnelle profonde.
Ce livre est donc à la fois portraits d’hommes de Dieu, donc exemples de vies consacrées (ils seraient des Saints dans le cadre Catholique ou Orthodoxe) et enseignement biblique sur l’esprit de service. Mais au-delà du but premier, il s’agit également d’un très beau livre de spiritualité, qui peut aider bien des gens qui cherchent la vraie lumière à la trouver, et bien des chrétiens qui sentent en eux un manque à le combler.
Voici pourquoi je vous recommande vivement ce livre et pourquoi j’encourage les éditeurs chrétiens à le rééditer, peut-être actualisé de quelques vies du XXème siècle.