Skip to content →

Catégorie : les critiques

rassemble tous les écrits critiques

Influences gaulliennes

De Gaulle et les siens – Bernanos, Claudel, Mauriac, Péguy

Jacques Julliard ; Cerf, 2020. 12 €.

On sait que Jacques Julliard est un historien éminent et respecté, spécialisé dans l’histoire politique contemporaine, ce qui en fait un observateur avisé de notre société, comme le montrent ses chroniques mensuelles du Figaro. Le petit ouvrage que je présente aujourd’hui concerne un des héros de Julliard, le général De Gaulle. Car, bien qu’estampillé homme de gauche et socialiste, Julliard a, depuis quelques années, rejoint le camp des renégats qui osent critiquer sévèrement une gauche qui se renie et se retrouve exsangue de ses propres valeurs historiques. On pourrait retrouver un positionnement assez semblable chez Jean-Pierre Chevènement, dont j’ai par ailleurs chroniqué les mémoires.

Le choix de Julliard dans cet opuscule est de revenir sur quatre écrivains du XXe siècle qui ont incontestablement été important pour l’homme De Gaulle. Nul ne sera étonné de retrouver ici rassemblés quatre auteurs catholiques, ce qui correspond aux idées religieuses du Général. On sait à quel point Charles de Gaulle est l’incarnation d’une France fidèle à ses racines et à son histoire. Il rejoint ici ces quatre écrivains, tous connus pour leur amour de notre pays. Le contenu du livre ressemble plutôt à un cycle de conférences, chaque auteur bénéficiant d’un chapitre, une conclusion générale occupant le cinquième.

JJacques Julliard, fin connaisseur du XXe siècle

Julliard s’appuie évidemment sur de nombreuses citations du Général, mais aussi sur des faits historiques, pour étayer son propos. La première phrase livre situe l’enjeu :

« Charles de Gaulle détestait les intellectuels et vénérait les écrivains. » p.7

D’où le conflit avec Sartre et la complicité avec Malraux. Pour saisir ce choix il convient de ne pas oublier que de Gaulle est lui-même un écrivain reconnu, auteur d’une œuvre dense et profonde ( je renvoie mon lecteur à ma chronique de Au fil de l’épée). Il a compris, de par sa formation aux humanités classiques, que l’écrivain dévoile beaucoup plus du sujet qu’il traite que le meilleur des essais. Dans le choix fait par Julliard – tout à fait judicieux – nous avons affaire à des écrivains-penseurs, souvent engagés dans la lutte contre la bien-pensance de leur temps. La limite avec l’intellectuel est parfois très floue. Mais il reste le style !

Bernanos pour commencer. C’est d’emblée poser la question de l’antisémitisme et du maurrassisme. Ce n’est pas le cadre ici de revenir sur ce que fut l’antisémitisme « classique » de la droite française. Signalons seulement que, s’il est condamnable sans coup férir, il n’a rien à voir avec l’antisémitisme nazi ou russe, mortifère. C’est un antisémitisme culturel, sans nul doute influencé par l’antijudaïsme catholique. Ce que Bernanos reproche aux Juifs, c’est de ne pas être assez Français, mais d’être souvent d’abord juifs. De Gaulle n’a jamais été antisémite et ce n’est pas cela qui l’a attiré chez Bernanos. Fut-il maurrassien ? Nommément non. Mais on sait que Maurras exerça une influence bien au-delà de l’Action Française et que Mitterrand n’y fut pas insensible. Le point commun à Bernanos, Maurras et de Gaulle est l’amour passionné pour la France. Mais là où Maurras veut une France expurgé de ses étrangers et de ses juifs, Bernanos et de Gaulle veulent une France digne et aimée de tous ceux qui y vivent, quelle que soit leur origine. Ce qui a sans nul doute conquis le Général chez Bernanos est ce combat permanent contre la bêtise, la lâcheté et la petitesse. Ils avaient en commun cette exigence morale qui arme tous les romans de Bernanos et qui a porté tous les combats de De Gaulle. Mais, au-delà de cela se trouvait l’exigence spirituelle, celle de ne pas succomber à un matérialisme abêtissant, celle de cultiver la foi et la justice. Bernanos fut une influence dans le combat moral et spirituel.

En ce qui concerne Paul Claudel, la position défendue par Julliard est que le Général avait pour lui plutôt l’estime due à son statut de très grand auteur français qu’un attachement personnel. Ce qui les réunissait était donc plutôt l’appartenance au catholicisme de la grande tradition. Mais on ne saurait affirmer qu’il y eu un grande influence de Claudel sur la pensée gaullienne.

Le cas Mauriac est encore différent. Ils ont en commun le catholicisme, bien sûr, mais aussi un vécu de l’histoire des années 1930 à 1960, avec toutes les péripéties et drames qui les ont marquées. Mauriac a longtemps trouvé que le Général était trop à droite et l’a critiqué, notamment à travers la création du MRP. Il ne devient un inconditionnel qu’à partir de 1958 et du retour au pouvoir. Il sera, pendant dix ans, le pourfendeur des adversaires de De Gaulle. Celui-ci reconnaissait en Mauriac un écrivain de grand talent et était sans doute un peu intimidé par cette stature. De son côté, l’auteur girondin admirait surtout l’homme d’Etat chrétien. Ils se comprenaient sans nul doute, mais ne furent jamais des intimes, avec la même liberté de langage que Bernanos put avoir avec le Général.

Le véritable inspirateur du Général est bien Péguy. De Gaulle a reconnu, dans une conversation rapportée par Alain Peyrefitte :

«  Il sentait les choses exactement comme je les sentais. » p. 56.

Ce genre de confidence intime est extrêmement rare dans la vie du Général. Elle dénote sa relation particulière avec Charles Péguy, le seul de ces quatre auteurs qu’il n’a pas connu personnellement. Le Péguy qu’admire de Gaulle est le Péguy de la dernière période, le patriote catholique. Il est tout à fait clair que l’amour qu’ils ont pour la France est de la même nature. Il y a, pour les deux, une vocation particulière de la France, dans son histoire chrétienne. Jeanne d’Arc représente bien ce symbole du salut chrétien de la France, inspiration puissante du Général. Julliard présente aussi les valeurs négatives que les deux hommes partagent : la défiance envers l’argent et la politique. Bref, en terminant sa présentation par Péguy, Julliard nous offre le lien fort qui unissait les deux hommes.

La conclusion de Julliard porte sur l’esprit commun à ces auteurs et au Général : la résistance. Pas seulement au sens historique contemporain, mais au sens plus large de combat pour des idées et un esprit. Il a ajouté, pour l’édition présente une postface qui fait le bilan de l’évolution des soixante dernières années en termes de politique, de religion et de littérature. Très éclairant.

Celui qui lira ce livre en saura un peu plus sur la pensée de celui qui demeure comme le plus grand homme d’Etat de son siècle, mais il fut aussi un des plus secrets quant à ses convictions. On peut remercier Julliard de lever un peu le voile sur celles-ci.

Jean-Michel Dauriac, Beychac et Caillau, septembre 2022.

Leave a Comment

La joie de Bernanos : pas si gai que ça !

La joie est un roman âpre. Le titre est une antiphrase dont le lecteur découvre le sens en avançant dans l’histoire. Car, au commencement, est la joie pure. Mais très vite le ciel s’obscurcit peu à peu et, chapitre après chapitre, devient de plus en plus sombre. Cependant, le dénouement surprend quand même, car on ne pensait pas que l’auteur oserait aller jusque là.

Ce livre, comme toujours chez Bernanos, est à dimension spirituelle : le mal et le bien s’y affrontent tout du long. De fait, il s’agit d’un roman sur la sainteté et la médiocrité, entendue ici comme le contraire de la sainteté, soit en termes religieux, l’état du pécheur. Mais cette médiocrité est à double signification ; en effet, les protagonistes médiocres le sont aussi au plan personnel, en dehors de leur état peccamineux, comme dit l’Eglise, qui n’a pas peur des gros mots ! Il y a d’abord le cadre, unité de lieu absolue, qui finit par devenir une chape de plomb sur l’héroïne, cette maison de campagne cossue qui sert de résidence estivale. L’héroïne, parlons-en justement. C’est une jeune fille de bonne famille, de dix-sept ans, orpheline de mère, vivant avec son père, intellectuel d’une certaine renommée. Cette jeune fille assume les fonctions de maîtresse de maison et de surveillante de son père, sans donner à ce terme un sens dépréciatif. Elle se soucie constamment de son père, qui apparaît comme un être nerveusement très fragile. Chantal, c’est le nom de la jeune fille, illumine la première partie du roman de sa joie et de sa sainteté inconsciente. Elle survole les problèmes, s’occupe de tous et agit envers chacun avec l’amour évangélique du Christ. Son père, Monsieur de Clergerie, poursuit un unique but : être élu à l’Académie, ce pour quoi il dépense depuis des années une énergie folle et des trésors de stratégie.  Autour du père et de la fille gravitent des personnages de deux types : les amis de la famille, habitués de cette maison de vacances campagnarde, et la domesticité. Le roman passe d’un type à l’autre, selon les besoins de l’avancée de l’intrigue.

Mais y-a-t-il vraiment intrigue ? Celui qui cherche un roman « romanesque » sera très déçu : ce n’est pas le genre de la maison Bernanos. L’intrigue se réduit à quelques jours de la vie de cette maison, sans aucun événement extraordinaire. Au contraire, l’auteur ramène tout à un quotidien banal et, somme toute, très répétitif.  Ce ne sont donc nullement les actions des protagonistes qui intéressent notre écrivain, mais bien plutôt leurs pensées et leurs dires. Comme Sous le soleil de Satan, tout se joue en quelques rencontres et dans des échanges qu’il faut savoir décrypter. Autant dire d’emblée que ce n’est pas un livre facile, pas le genre de roman à apporter à la plage. Il faut souvent relire les paragraphes pour en saisir tout le contenu. Cela est en grande partie dû au style de Bernanos. Il écrit de manière massive, dense et, parfois, lourde. Il creuse son idée comme Rodin creusait la matière. Il ne donne au lecteur aucune facilité. Tu me suis ou te refermes le livre, mais je ne vais pas édulcorer mes propos ! C’est que l’enjeu est colossal. Il s’agit, au travers de Chantal de tenter d’approcher in situ le mystère de la sainteté en action. Du côté de cette jeune fille, on pourrait dire que, dans la première partie, le style de Bernanos est assez lumineux, comme son sujet. Il arrive tout à fait à nous donner à voir une jeune fille vivant l’amour du Christ naturellement, toute habitée par le souvenir de son mentor spirituel , l’abbé Chevances, lui-même un saint homme, mort très récemment, et que Chantal a accompagné jusqu’au bout. Ces deux-là sont le tandem de la sainteté. Bernanos ne la refuse pas au prêtre, mais on sent bien que ce n’est pas à l’Eglise qu’il en accorde la grâce, mais à la vie de chaque croyant. En contrepoint de cet abbé disparu mais omniprésent, il nous offre un autre religieux, l’abbé Cénabre, un penseur reconnu, mais dont la vie spirituelle s’avèrera vide. Un saint prêtre d’un côté, un érudit desséché dans sa foi de l’autre. On sait évidemment très vite vers lequel va la préférence de l’auteur. La seconde partie du roman nous dévoile une longue scène de face-à-face entre la jeune fille et le vieux prêtre désabusé, dont il faut relire plusieurs fois les échanges pour saisir la tension de ce qui se joue ici. On retrouve là l’opposition déjà rencontrée dans Sous le soleil de Satan entre deux conceptions du ministère de prêtre. Chantal de Clergerie se trouve prise entre des forces contradictoires qu’elle a cru pouvoir contenir et qui, soudain, la déstabilisent. Mais le mal est présent sous les traits du chauffeur russe, Fiodor. Le lecteur saisit bien toute l’ambiguïté du personnage, mais Bernanos n’est jamais vraiment explicite et nous devons donc essayer deviner ce qu’il en est de cet homme et de ses mensonges permanents. Toujours est-il qu’il apparaît comme fasciné par Chantal. On le suit à travers le roman, présent même quand il n’est pas là, tant il trouble même la domesticité. La vraie question est la nature de sa fascination : est-il remis en question par la sainteté ou s’agit-il de la contemplation de la victime innocente ? Nous l’ignorerons jusqu’à la fin, mais ils seront réunis pour toujours dans la mort, sans que nous sachions vraiment pourquoi et comment. La porte est ouverte à de multiples interprétations. Je crois qu’il faut se garder d’aller trop loin dans ce chemin, puisque Bernanos ne nous a pas fourni de clés pour toutes les portes.

La médiocrité triomphe de la sainteté, au moins de manière terrestre. Mais qu’en est-il après ? A chaque lecteur de se poser la question et d’y apporter sa réponse.

Cet âpre roman s’avère aussi être un roman amer dont le goût ne passe pas. Le coup de théâtre final nous laisse interloqués. Pourquoi fallait-il que cette jeune fille meure ? Pourquoi Fiodor l’a-t-il tué avant de se suicider ? La réponse est à construire avec le retour nécessaire sur les scènes antérieures. Où était la faiblesse cette jeune sainte ? Qui est responsable ? Son père, l’abbé Cénabre, le docteur La Pérouse ? Le criminel est Fiodor, certes, mais ce n’est pas lui le responsable. Tout autour de la sainteté joyeuse de Chantal les médiocres se sont ligués, eux qui ne connaissaient ni la joie, ni la grâce, ni la paix, ni l’innocence. Il n’y a pas de place pour les saints dans un monde d’ambitions et de petitesses humaines.

J’ai dit plus haut que le style de ce roman était massif et parfois lourd, à la limite de l’ennui. C’est que Bernanos se moque de « faire du style » ; ce qui l’intéresse uniquement c’est la compréhension psychologique de ses personnages et leurs états d’âme au sens religieux du terme. La frontière entre le saint est le médiocre est tracée par ces « états d’âme », expression magnifique souvent rendue péjorative. Le chrétien, pour Bernanos, est celui qui se préoccupe de son âme et de l’âme des autres : Chantal était de ceux-là, comme l’abbé Chevances. Pour avoir des « états d’âme », il faut savoir que l’on a une âme. Le cas du psychiatre est tout à fait emblématique de ce que le matérialisme fait quand il veut ignorer l’âme. Le docteur La Pérouse, qui fut un grand psychiatre est sur le déclin personnel (sans doute atteint d’un début de Parkinson) et refuse de le voir. Il veut ramener toute personne à un « cas ». mais Chantal lui est proprement incompréhensible et elle le lui fait bien comprendre. A travers ce portrait de médecin, on retrouve la plume enflammée du Bernanos pamphlétaire et combattant. La description de la personnalité du docteur est d’une rosserie talentueuse, tout comme le portrait initial de Monsieur de Clergerie. Dans ces lignes nous avons le meilleur Bernanos, celui qui frappe ce qu’il combat : la bêtise, la suffisance, la fausse science… Il est évidemment dommage que tout le roman ne reste pas à ce niveau littéraire. Mais est-ce possible ?

Lire La joie est à la fois un grand plaisir et un effort. Ce n’est pas un livre facile, mais cependant un bon livre, dans le sens où il nous marque à jamais, nous remet en question et, une fois refermé, continue de nous tarabuster. Il faut l’accepter tel qu’il est pour l’apprécier. Pour ma part, je préfèrerais toujours un livre qui se gagne de haute lutte à un livre qui se prostitue dans la facilité pour me séduire. Après tout, qui a dit que la lecture de Madame Bovary ou de L’insoutenable légèreté de l’être était facile ? Ne sont-ce pas d’immenses romans ? Il y a un temps pour tout, un temps pour des lectures faciles et un temps pour des livres robustes qui se défendent.

A bon lecteur, salut !

Jean-Michel Dauriac

Les Bordes 10-11 août 2022

Leave a Comment

Voyage fantastico-poétique au pays animal

A propos de Le pays sous l’écorce

Jacques Lacarrière                                                                                  Collection Points – Récit

                                                                                                                      Le Seuil – 1981 –188 p.

Jacques Lacarrière a fait sa (très bonne) réputation en publiant des livres dans le genre littérature de voyage. Son Eté grec a connu un grand succès dans divers format. Un de ses grands classique est Chemin Faisant, récit d’une traversée pédestre de la France dans la diagonale du vide, bien avant Les chemins noirs de Sylvain Tesson. Quant à son essai sur Les Gnostiques, appuyé sur sa très bonne connaissance de l’Egypte et du monde méditerranéen, il constitue un des meilleurs titres de vulgarisation sur ce sujet très complexe. Bref, Jacques Lacarrière est un écrivain que le voyage aide à écrire, et à bien écrire.

J’ai acheté ce petit livre dans une bouquinerie, sur la foi du nom de l’auteur ; le titre me laissait présager un voyage forestier ou quelque chose comme ça. Mais je n’avais pas regardé plus. C’est en le retirant de ma bibliothèque, au rayon des « espérants » – ces livres achetés assez récemment et qui s’entassent dans l’attente d’une lecture prochaine, qui parfois ne viendra jamais – que j’ai découvert son contenu. Partant pour un petit périple au cœur de la France de l’Est, j’ai choisi quelques livres de petite taille, qui conviennent bien à ces types de jours. Parmi eux, celui dont il est question aujourd’hui ; il voisinait avec un joli petit Modiano, dont je parlerai ailleurs.

Il s’agit bien, en définitive d’un récit de voyage… Mais, pour la première fois, Lacarrière a choisi la forme romancée, la fiction totale. Les amoureux de littérature sont attentifs et friands aux premières phrases des romans ; certaines sont devenues quasi-proverbiales. Celle de ce livre est assez originale, jugez-en :

« Cet été-là, je le passai sous une écorce de platane. »

Avouons que c’est assez étrange. Lisons maintenant la dernière phrase :

« Et, rouvrant les yeux, je me glissai hors de l’écorce. »

Si l’on n’a que ces deux phrases, on en déduit que c’est l’histoire de quelqu’un qui passe un été sous l’écorce d’un platane et en sort à un moment donné.. Tel quel, ce n’est pas très excitant. Mais, évidemment, tout l’art du romancier consiste dans l’intervalle et ce qui s’y passe. Et là, je peux dire que le lecteur ne sera pas déçu, car on bouge beaucoup et il y a du changement, beaucoup de changements, je dirais même, de transformations. Le récit est l’enchaînement de toutes les transformations et voyages vécus par ce quelqu’un qui habite sous l’écorce du platane.

Ami lecteur, si tu ne veux pas succomber à l’irrationnel, si la logique est première pour toi, passe ton chemin, ce livre n’est pas pour toi, il ne saurait te plaire. Pour savourer cet ouvrage, il faut, sans aucun doute avoir une certaine dilection pour la poésie, en tout premier lieu. L’univers poétique est celui qui rend le fantastique à la fois accessible et beau pour tous. Tout au long de ces pages, tu baigneras dans une sorte de placenta poétique rimbaldien .

Il est quasiment impossible de résumer un tel livre. Je laisse donc l’auteur évoquer les étapes de son voyage :

«  Quel monde ? Celui qui déjà remue dans l’aube inquiète qui attend ou celui qui tremble encore dans ma mémoire, celui qui fit de moi, ex-hominien, le presque-Loir, l’apprenti-Grue, le demi-Acridien, l’élève-Termite, le frère-Ephémère, l’anti-Ver, l’enfant des Souffles, le co-Hibou, l’exuvie d’Homme, la fausse Anguille, l’habitant de l’Abysse, le commensal de la Méduse, le voyeur des Tortues, l’hôte de l’Anémone, le pseudo-Poulpe, le quidam des Sardines, l’avorton d’Axolotl, le complice du Caméléon, l’auditeur du Boa, l’allié des Escargots, l’incompris du Grillon, le témoin de la Mante, l’elfe du Ver luisant, le verbe des Abeilles, la mémoire des Mouches, la proie de l’Araignée, l’ami de la Chenille, l’amant du Papillon ? » p. 187.

Ici sont présentées toutes les existences qu’a connues l’auteur quand il eut décidé de se glisser sous l’écorce d’un platane. Il faut alors accepter de rester dans le mystère de ses transformations-adaptations, car il ne devient jamais l’animal évoqué, mais « une sorte de … », capable communiquer avec lui et de partager sa vie durant un certain temps. Il faut accepter de perdre la notion du temps et de l’espace, de ne pas toujours saisir les transitions physiques – ce qui est bien sûr fait volontairement par l’auteur -, de devoir chercher nombre de termes dans le dictionnaire, car Lacarrière est très précis et use du vocabulaire scientifique pour chaque espèce. Bref, il faut accepter de voyager avec lui sans tout comprendre.

A ce jeu de l’animalité, Jacques Lacarrière rejoint les plus grands, ceux qui ont su « devenir »  la bête. Je veux dire Louis Pergaud, avec ses histoires naturelles, ou Franz Kafka avec ses contes fantastiques, voire Léon Tolstoï et son cheval Khostomer. C’est la marque des très grands de réussir cet exploit de nous entrainer dans le monde animal sans être ridicule. Lacarrière a toute sa place auprès d’eux.

Jean-Michel Dauriac

Leave a Comment