Skip to content →

Catégorie : Bible et vie

Prier dans le secret – Méditations de confinement 7

Lecture de base :

Matthieu 6 : 6  « Mais toi, quand tu pries, entre dans la pièce la plus retirée, ferme la porte et prie ton Père qui est dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra» version NBS

la version audio est là:

Nous revenons à ce grand texte fondateur, le Sermon sur la Montagne. Dans le chapitre 6, Jésus continue son exploration de la Loi et de la religion juives et développe l’enseignement de cette nouvelle loi d’amour, qui accomplit et dépasse la Loi de Moïse (ch. 5, verset 17). Il en vient aux pratiques religieuses des juifs et dénonce comme « hypocrites », l’aumône, la prière et le jeûne publics, faites, dit-il, « pour être vu des hommes » (6 :5, 5 et 16). Notre verset du jour vient après ces condamnations d’actes religieux, initialement bons, mais « faits pour être vu ». C’est ce qui explique le « mais » qui débute le verset 6 sur lequel nous allons nous arrêter spécifiquement. Ce même mot « mais », se trouve d’ailleurs dans les trois passages cités (voir versets 3 et 17).

Avant même de considérer le verset 6, nous voyons une première leçon à tirer dans ce petit mot de liaison oppositionnel. Les actes de notre foi ne sont pas destinés à être montrés mais à être accomplis.  Si nous recherchons, d’une manière ou d’une autre, à les faire voir (et admirer), Jésus conclut : « Ils ont leur récompense. » Ils perdent toute signification réelle, et leur seule valeur, est de flatter notre vanité. Ceci a toujours caractérisé les « chrétiens mondains », comme on les condamnait dans les livres de religion du XVIIème siècle.

 Pour chaque acte cité, Jésus donne sa version ; il faut lire :  6 : 1 à 17 dans sa totalité pour bien en comprendre la logique. A chaque fois, la parole de Jésus suit le même cheminement et s’achève par la même formule. Considérons son enseignement sur la prière. Il condamne sans équivoque les prières publiques qui s’exhibent (verset 5). Puis il enseigne la foule, et nous, en une phrase courte qui comporte quatre temps, que nous allons étudier.

Premier temps : « Quand tu pries, entre dans la pièce la plus retirée, ferme la porte ». Louis Segond a traduit « dans ta chambre », comme la Bible de Jérusalem ou la TOB. Ici, je préfère nettement la version NBS ou Parole de Vie, qui sont plus proches de l’idée du texte grec. Il y a dans le mot grec ???????? (tamieion) l’idée de pièce isolée, reculée et, au-delà, de lieu où l’on cache le trésor, ce qui a donné comme traduction possible, le cellier ou la réserve. C’est un lieu à part, peu connu ou camouflé, qui abrite des choses utiles ou précieuses. En passant au plan symbolique, c’est la partie de nous qui est la plus riche, celle que nous gardons le plus souvent pour nous. C’est de là que doit monter notre prière. Et pour être certain de ne pas être dérangé, il est demandé de fermer la porte à clé ou avec une barre : c’est le sens du verbe grec traduit par « ferme la porte ». C’est donc absolument tout le contraire de la prière publique des hypocrites qui est préconisé par Jésus.

Deuxième temps : «  Prie ton Père, qui est là dans le lieu secret ». La prière s’adresse au Dieu-Père que Jésus est venu révéler tout au long de son ministère terrestre. C’est un Dieu intime, un Dieu dans les bras duquel nous avons plaisir à nous réjouir comme à nous réfugier dans l’épreuve, un Dieu qui nous connaît car il nous engendrés. On ne parle pas à son père comme on parle à un étranger ou à quelqu’un qui nous effraie. On lui parle avec amour et respect, familièrement.

 Ce père est là, sa présence est une assurance, Jésus nous l’affirme. Mais il est caché aux yeux de ceux du dehors. « Le lieu secret » vient du verbe grec qui veut dire « cacher ». Si le Père est dans le lieu secret, fermé à clé, de notre intimité, c’est par opposition avec la prière exposée, publique, faite aux yeux de tous où, là, Dieu n’est pas. Cette idée du Dieu caché, qui se révèle à ceux qui le cherchent vraiment, traverse toute la Bible. Jésus est dans la tradition de ce Dieu secret, intime, mais pas dans les formes religieuses spectaculaires.

Aux versets 7 et 8, qui suivent immédiatement, Jésus lève le voile sur la prière vraie : « ne multipliez pas de vaines paroles » (Segond) ou « ne rabachez pas comme les païens » (TOB). La prière n’est pas une litanie de formules répétées, un mantra chrétien. C’est d’ailleurs pourquoi, juste après, aux versets 9 à 13, il donne l’exemple unique de prière qu’il nous ait laissée, le Notre Père, extraordinaire dans la richesse de sa concision.

Prie avec peu de mots, mais avec des mots qui viennent de ta réserve intime. Je vais ici parler pour moi seul ; à toutes les prières magnifiques dont nous sommes les héritiers, des Psaumes aux prières des Saints ou des grands serviteurs de Dieu, je préférerai toujours les mots qui sortent de mon cœur, de mon vocabulaire, pour parler à mon père. Cela n’enlève rien à toutes ces belles prières, évidemment.

 Troisième temps : « Et ton Père qui voit dans le secret ». On attendrait le verbe « entendre », mais aux trois reprises de la formule (versets 4, 6  et 18), c’est trois fois le verbe « voir ». Car la vue peut englober l’audition, et pas l’inverse. Voir, c’est saisir la globalité d’une chose ; ici, de la prière. Dieu est celui qui peut absolument tout voir et savoir de nous, c’est une de ses définitions possibles. Et il voit au plus profond de  nous, dans l’intimité de notre trésor. Pas la peine de chercher à le « bluffer » avec de belles formules, il ne s’y laissera pas prendre. Il préférera toujours le simple cri du cœur, comme l’aveugle criant à Jésus : « Fils de David, aie pitié de moi ! » (Luc 18 :38).

Ayons toujours cela à l’esprit, ne nous abusons pas nous-mêmes par de belles tirades, mais soyons sincères, car c’est ce que Dieu veut et voit. Rien ne lui échappe. C’est en même temps inquiétant, si nous mentons et sommes hypocrites, et très rassurant, surtout quand nous sommes maladroits dans notre prière, mais vrais. L’Eternel regarde au cœur, dit la Bible.

Quatrième temps : « te le rendra ». Etrange conclusion elle aussi répétée à trois reprises. Que veut dire cela ? Qu’est-ce que Dieu peut bien me devoir ? Evidemment, il n’est pas question de marchander avec Dieu, de faire de notre prière le terme d’un troc. Ce serait un blasphème ! Ce que cette expression signifie s’éclaire quand nous allons voir les significations du verbe grec du texte original, ????????. (apodidomi). Le premier sens est bien « rendre » ou « restituer ». Mais ce verbe a des acceptions plus précises : on trouve aussi l’idée de « remettre », « donner en échange », « payer la dette ». Et je crois que c’est cela le sens profond. En voyant un cœur sincère tirer de son trésor une prière d’amour et de vérité, Dieu le Père ne peut que tenir sa promesse, accomplie en Jésus, de « remettre notre dette ». Il s’agit donc ici de la rédemption, mot qui signifie racheter ou remettre la dette de quelqu’un. Ce qui se joue dans la prière personnelle, de cœur à cœur, est infiniment sérieux.

Voici donc un petit verset, sur lequel on glisse souvent, mais qui contient pour nous un trésor d’enseignement et d’encouragement.

Jean-Michel Dauriac

29 avril 2020.

Leave a Comment

La Colombe et l’Olivier – Méditations de confinement 8

Lectures de base : Genèse 6 : 9 et 11 – 7 :23-24 – 8 : 11-16 – 9 :1.

6 :9 et 11. « Noé était un homme juste et intègre. […] La terre était corrompue devant Dieu, la terre était pleine de violence. »

7 :23-24. « Dieu effaça tous les êtres qui étaient à la surface de la terre : ils furent effacés de la terre. Il ne resta que Noé et ce qui était avec lui dans l’arche. Les eaux grossirent sur la terre pendant cent cinquante jours. »

8 :11-16. « La colombe revint à lui sur le soir, elle tenait dans son bec une feuille arrachée à l’olivier. Noé sut ainsi que les eaux avaient baissé sur la terre. Il prit encore patience sept autres jours, puis il lâcha la colombe. Mais elle ne revint plus à lui. L’an 601, le premier du 1er mois, les eaux avaient séché sur la terre. Noé écarta la couverture de l’Arche : il regarda, et voici au la surface du sol avait séché. Le second mois, le 27ème jour du mois, la terre était sèche.

Alors Dieu parla à Noé en ces termes : Sors de l’arche, toi, ta femme, tes fils et tes belles-filles. » 

9 :1. « Dieu bénit Noé, ainsi que ses fils, et leur dit : soyez féconds, multipliez-vous et remplissez la terre. » (version Segond révisée)

La version audio est là:

Quand le gouvernement français a instauré le confinement, j’ai aussitôt pensé à l’histoire de Noé. Car je savais qu’il y aurait une sortie du confinement et c’est elle qui m’a renvoyé à Noé. Théoriquement, nous y sommes, puisque la semaine prochaine, à partir du lundi 11 mai, les mesures les plus contraignantes cesseront. Nous allons sortir de l’arche où nous avons vécu durant 8 semaines. C’est moins long que Noé et sa tribu, puisque, si l’on suit le texte biblique, leur séjour a duré près de 11 mois. Mais avouons que nous voyons arriver la libération avec plaisir.

Que peut nous apprendre l’histoire de Noé ?

Une remarque théologique ; peu importe que cela se soit passé exactement comme c’est écrit ou que ce soit un mythe (ce sont les deux positions possibles en théologie) : cela ne change rien au message que Dieu a voulu transmettre à l’humanité.

Voyons le cadre et les personnages : ch. 6, verset 9, nous trouvons une description morale qui est quasiment la même que celle utilisée pour caractériser Job – je vous renvoie à la méditation 6 – : « Noé était un homme juste et intègre dans son temps. » Donc Noé est un homme comme Dieu les aime, un homme droit.

En face et autour de lui, le verset 11 nous décrit un monde qui ressemble pas mal au nôtre : « La terre était corrompue devant Dieu, la terre était pleine de violence. » Evidemment, la formulation désigne les hommes, car la terre ne saurait ni se corrompre ni exercer la violence avec volonté. A nouveau, le Bien contre le Mal, l’homme intègre seul face à une société mauvaise. Dieu choisit de garder le bien et de détruire le mal.

Passons à l’action décrite. Nul besoin de revenir en détail sur ce qui arrive. Noé reçoit de Dieu des instructions pour construire un grand bateau, y embarquer  des spécimens de tout ce qui vit dans l’air et sur la terre, y stocker des provisions pour sa famille et attendre le signal de Dieu pour fermer les portes. Notons que Dieu parle – il ne nous est pas dit de quelle manière – à l’homme intègre qui suit sa loi, c’est une constante de la Bible.

Commence alors le déluge : le verset 11 du chapitre 7 dit cela en termes très poétiques : « … toutes les sources du grand abîme jaillirent, et les écluses des cieux s’ouvrirent. » Et c’est parti pour des mois de pluie battante. Tout est submergé, plus aucune topographie n’est visible. Les versets 23 et 24 de ce même chapitre 7 nous donnent le résultat : extermination de toute vie sur terre et dans le ciel, ne subsiste que la vie aquatique. Plus de cinq mois de submersion totale.

Transposons à ce que nous vivons : depuis maintenant plus de cinq mois (ou peut-être plus), ce virus inconnu est apparu en Chine et, peu à peu, par le jeu des voyageurs, il a submergé le monde, comme la pluie pour les contemporains de Noé. La menace d’une extermination massive de la population humaine est bien réelle. Si on laissait courir le virus, ce serait une fraction énorme de la population qui disparaîtrait. Le Covid-19 est notre déluge. Combien de temps avant que les eaux baissent ? Nous n’en savons absolument rien, pas plus que Noé ne le savait.

Le déconfinement lent de Noé. Le chapitre 8 raconte un déconfinement très progressif. Noé voit bien l’eau baisser, mais il ne voit pas apparaître le sol. Alors il fait des tests : d’abord il lâche le corbeau, qui va et vient, puis ne rentre pas. Puis il envoie la colombe. Il y aura trois tests avec elle. Au deuxième test, elle ramènera une feuille d’olivier. Au troisième test, elle ne revient pas.

Comment là aussi ne pas faire le  parallèle avec notre situation. On nous parle de première et de deuxième vague, de pic, puis de plateau. Tout ce que décrivent les chapitres 7 et 8 de la Genèse. Il faut être sage et patient, c’est ce qu’on nous demande avec insistance. Les tests sont la clé du déconfinement, vous l’avez entendu comme moi. Pour Noé aussi, ils furent ce qui lui a permis de savoir qu’il pouvait « ôter la couverture de l’arche » pour laisser l’air et la lumière  pénétrer. Soyons prudent comme Noé. Attendons le signe de l’olivier, ce double symbole de la paix revenue avec la colombe. Il y aura une fin à cette « guerre sanitaire », l’olivier sera le vaccin ou le traitement. Mais tant qu’il n’est pas revenu avec la colombe, pas question de quitter nos abris sans assurance.

Le « retour à la normale ». 8 : 15-16 et 9 :1. Dieu a envoyé le signe de l’olivier, puis il a parlé à Noé et donné l’ordre de sortie. Cet ordre est donné car au chapitre 8, verset 14, il est dit : « Le second mois, le vingt-septième jour du mois, la terre fut sèche. » Nous devons attendre que la terre soit sèche, que toute trace de cette inondation virale ait disparu. Jusque là, pas question de revenir à la vie d’avant.

D’ailleurs le récit nous confirme bien qu’il y a un nouveau départ, selon ce  que Dieu souhaite. Le chapitre 9 est le compte-rendu d’une nouvelle alliance entre Dieu et la famille de Noé. Dieu s’engage à ne plus produire de déluge et donne le signe de l’arc-en-ciel. Lisez le contenu de cette alliance dans tout le chapitre 9 jusqu’au verset 19. C’est bien une base nouvelle que Dieu pose. Il ne revient pas à la condition d’Adam en Eden, mais il modifie la vie, dans le sens d’un respect plus grand et d’une responsabilité accrue. Il est demandé à Noé et aux siens de peupler cette terre : voici la mission première, peupler et remplir la terre.

Alors, tout est bien qui finit bien ? Pas tout à fait. Si l’histoire s’arrêtait en Genèse 9 :19, ce serait ce que les Américains appellent une « happy end », un beau conte moral. Mais il y a les versets 20 à 24 de ce chapitre.

La première cuite de l’histoire biblique. 9 :20-24. Ces cinq versets douchent notre enthousiasme. Noé plante de la vigne, en tire du raisin et fait du vin, et il se saôule. Et comme toutes les personnes ivres, il fait n’importe quoi. Il se dénude dans sa tente. Son fils Cham le voit et va le dire à ses deux frères Sem et Japhet.

Nous avons alors cette scène très cinématographique, qui prouve le grand talent du rédacteur : les deux garçons rentrent à reculons dans la tente, en portant le manteau de leur père et le recouvrent, sans voir sa nudité. Il faudrait une méditation entière pour étudier ce moment. Ce que je veux retenir pour nous est plutôt l’enseignement que l’on peut en retirer.

Dieu a conclu une nouvelle alliance avec les hommes, posé un cadre de respect de la vie (9 :2-11). Tout pourrait repartir à zéro. Mais voilà, Noé a réussi, il est heureux et il fait la fête, seul, et perd le contrôle. Il perd alors sa dignité devant son fils. Cet homme juste et intègre offre une image de lui très dégradante, malgré toute la grandeur de ce qu’il a  fait avant.

Nous venons de faire la démonstration que le peuple français pouvait respecter des règles très dures. Mais ne risquons-nous pas de finir comme Noé, et pour fêter la liberté retrouvée, perdre la tête. La nudité est ici le symbole de la vulnérabilité, pas de l’innocence édénique. Ivre, Noé redevient un homme ordinaire, qui peut être très fragile. Soyons donc rusés comme le serpent et prudents comme la colombe, en ces moments où l’ivresse de la liberté peut faire tourner la tête à notre peuple.

Il est dommage que cette belle histoire de Noé finisse sous la double faute du père et du fils. Elle est là non pour nous dire qu’il est fatal que cela finisse ainsi, mais pour nous exhorter à veiller sur notre intégrité, à garder notre dignité d’enfant de Dieu. La  vraie joie n’a pas besoin de l’ivresse pour exister.

Il faut que nos vies soient orientées par la colombe et l’olivier dans la prudence et la sagesse. L’apôtre Paul a pu dire : en « Ephésiens 5:18 Ne vous enivrez pas de vin : c’est de la débauche. Soyez, au contraire, remplis de l’Esprit » . Ce n’est pas le vin qui est mauvais – il est le sang du Christ dans la Sainte Cène -, c’est son abus. Tout est dans la mesure et la tempérance.

Jean-Michel Dauriac – 10 mai 2020

Leave a Comment

Réveiller l’esprit -Méditations de sortie de l’arche 1

Méditations de sortie de l’Arche: le principe

Le cycle de 8 méditations du confinement a ouvert une réflexion sur l’intériorité, tant personnelle que claustrale, avec l’assignation à résidence de tout le peuple français (sauf les métiers nécessaires et vitaux).

Débuté avec le souvenir lointain de Jérusalem dans l’exil babylonien, par le début du psaume 137, il s’est clos par Noé et la fin du déluge, assortie d’une nouvelle alliance et mission : peupler et remplir la terre.

Les circonstances changeant, le contenu et le but des méditations devait changer et s’adapter à ce nouveau contexte, qui n’est plus le confinement mais n’est pas le retour à la liberté antérieure. L’image de la sortie de l’Arche symbolise bien ce qui se passe : retour sur la terre d’avant, mais avec un nouveau contrat entre Dieu et l’humanité. Donc, tout se ressemble mais rien ne devrait être pareil. C’est maintenant le défi de l’extériorité qui s’offre à notre intériorité, renouvelée par le temps de la remise en question profonde que le retrait a pu permettre. Qu’allons-nous faire de ces semaines, de ces mois qui s’ouvrent devant nous ? Je ne veux évidemment pas parler du trivial qui refait surface aussitôt : l’apéro, la fête, la consommation, les vacances, l’inconséquence des comportements en public… Mon but est de réfléchir sur la traduction concrète des aspects spirituels que nous avons abordés dans les méditations précédentes, la foi, la prière, le salut, la volonté de Dieu, le rapport au prochain…

Un chrétien se doit de tenir un équilibre entre la spiritualité, la mystique,  et l’incarnation accomplie, la vie du corps et des sensations ; un équilibre, par définition instable et difficile entre la vie intérieure, la solitude nécessaire et le souci permanent du prochain et les mains dans le cambouis de la vraie vie. Il est tellement facile de n’avoir pas de mains pour ne pas risquer de les salir. Le message de Jésus est sans aucune ambiguïté ni concession : relisons le Sermon sur la Montagne ou Jean chapitre 17 pour en raviver le souvenir.

Que devons-nous et pouvons-nous faire dans le monde où nous revenons après deux mois d’apesanteur ? Ce sera le défi que je vais vous proposer : partir d’une parole biblique, (car la Bible est pour moi Parole de Dieu révélée aux Hommes par les hommes), pour nous aider dans cette recherche d’équilibre. Je n’ai pas de réponses préalables. Je vous propose de les chercher ensemble. Puisse Dieu m’aider par vos remarques et réactions. Seuls l’échange et le débat pourront construire la liberté et la vie vraie et bonne en Christ.

Jean-Michel Dauriac – Dimanche 17 mai 20

Réveiller l’esprit

Lecture de base : Esdras 1 :1-5 – version NEG.

« 1 ¶  La première année de Cyrus, roi de Perse, afin que s’accomplisse la parole de l’Eternel prononcée par la bouche de Jérémie, l’Eternel réveilla l’esprit de Cyrus, roi de Perse, qui fit faire de vive voix et par écrit cette publication dans tout son royaume :

2  Ainsi parle Cyrus, roi des Perses : L’Eternel, le Dieu des cieux, m’a donné tous les royaumes de la terre, et il m’a commandé de lui bâtir une maison à Jérusalem en Juda.

3  Qui d’entre vous est de son peuple ? Que son Dieu soit avec lui, et qu’il monte à Jérusalem en Juda et bâtisse la maison de l’Eternel, le Dieu d’Israël ! C’est le Dieu qui est à Jérusalem.

4  Dans tout lieu où séjournent des restes du peuple de l’Eternel, les gens du lieu leur donneront de l’argent, de l’or, des effets, et du bétail, avec des offrandes volontaires pour la maison de Dieu qui est à Jérusalem.

5 ¶  Les chefs de famille de Juda et de Benjamin, les sacrificateurs et les Lévites, tous ceux dont Dieu réveilla l’esprit, se levèrent pour aller bâtir la maison de l’Eternel à Jérusalem. »

La version audio de cette méditation est là:

Nous avons débuté ce cycle de méditation avec un psaume « babylonien » où l’on trouve une des phrases capitales du judaïsme : « Si je t’oublie Jérusalem… ». Je vous renvoie à la méditation 1 sur le psaume 137.

Nous y avons trouvé le peuple Hébreux en exil et n’ayant plus que sa mémoire pour pratiquer sa religion et garder sa foi.  J’avais pris appui sur cette situation pour nous exhorter à cultiver une vie d’église, malgré les circonstances absolument nouvelles et brutale du confinement de toute la nation française.

Les versets d’Esdras que je propose de partager avec vous poursuivent cette histoire d’Israël, et donc la nôtre symboliquement puisque, comme le dit Paul dans les chapitres 9 à 11 de l’Epître aux Romains, nous sommes « l’Israël spirituel » qui doit permettre le salut final de l’Israël historique. Tout ce qui est dit d’Israël dans la Bible est donc, selon la théologie chrétienne depuis l’origine, transposable aux Chrétiens, l’Israël spirituel né de la loi de Jésus.

Depuis 50 à 70 ans, les Israélites, du Royaume du Nord, comme de Juda,  sont déportés à Babylone. C’est donc deux ou trois générations qui sont nées sur cette terre étrangère et idolâtre. Nous savons combien l’émigration change les gens qui émigrent et comment leurs enfants, quelles que soient les circonstances de leur venue, s’imprègnent de la langue et de la culture du pays d’accueil : on appelle cela l’intégration. A terme, celle-ci peut devenir de l’assimilation, c’est-à-dire que toute trace de la culture originelle a disparu. Nous avons assisté à ce phénomène en France au XXème siècle, avec les Polonais, les Espagnols, les Portugais, les Italiens et la majeure partie des maghrébins et africains venus en France.

Les Hébreux n’y ont pas échappé non plus. On peut penser qu’il en fut ainsi lors de cet exil à Babylone. En –550 ou –540, une bonne partie des enfants hébreux nés en Mésopotamie étaient intégrés et faisaient leur chemin dans ce pays et cette société (le livre de Daniel nous en donne un exemple indirect).

Est-ce une faute pour les Hébreux de s’être intégré chez les vainqueurs ? Si on lit la Torah, sans nul doute oui, car elle établit une séparation entre le peuple élu et les autres nations, pour des raisons de fidélité à Dieu et ses commandements. S’intégrer, est-ce oublier Dieu et ses paroles ? Ma question n’est pas innocente, elle nous concerne au premier chef. Nous connaissons les paroles de Jésus et de Paul à ce propos.

« Jean 17 : 15  Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les préserver du malin.

  1. Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde. »

Ce passage établit clairement la différence entre « dans le monde » et « du monde ».

« Actes 2 : 40 : 40  Et, par plusieurs autres paroles, il les conjurait et les exhortait, disant : Sauvez-vous de cette génération perverse. »

« Philippiens 2 : 15  afin que vous soyez irréprochables et purs, des enfants de Dieu irréprochables au milieu d’une génération perverse et corrompue, parmi laquelle vous brillez comme des flambeaux dans le monde… »

Pierre et Paul donnent la consigne de se sauver d’une « génération perverse et corrompue ». Donc d’éviter l’intégration complète.

Or, voici que survient un événement extraordinaire, résumé dans les versets 1 et 2 de notre texte. Dieu suscite chez Cyrus, empereur de Perse, une décision totalement inattendue et improbable. Celui-ci veut obéir à L’Eternel, qui lui a commandé de lui bâtir un temple à Jérusalem. En lisant ces lignes, nous devrions être abasourdis et frappés presque d’incrédulité. Récapitulons :

  • Cyrus II le Grand n’est pas un roi quelconque comparable aux roitelets cités dans les livres historiques de la Bible. Il est le fondateur de l’Empire Perse, qui a vaincu Babylone et les royaumes alentours et qui installe une domination de plusieurs siècles. (A cette époque les Romains sont des paysans sans puissance et les Grecs règnent sur des cités aux pouvoirs limités). Cyrus est le maître du monde de l’époque, comme les pharaons le furent en leurs temps.
  • Ce souverain appartient au monde païen, selon les critères de la Bible – en réalité, nous savons par l’histoire des religions que la Perse avait des religions monothéistes ou dualistes, comme le mazdéisme ou le zoroastrisme. La notion de Dieu unique ne leur était donc pas étrangère.
  • Mais Dieu s’adresse directement à Cyrus, et lui donne un programme totalement surprenant pour un roi non-hébreux : construire un temple à Jérusalem. Il s’agit en fait de reconstruire le temple qui a été détruit par les Babyloniens en 587-86. Ce sera donc le second temple.
  • Nous avons là une pratique divine qui trouble les hommes religieux et qui se retrouve à plusieurs reprises dans la Bible juive : Dieu se suscite un serviteur pour son œuvre, parmi les païens : on pourrait dire que cela commence par Moïse et se poursuit jusque dans le Nouveau Testament, avec Corneille et sa famille ou le centenier romain. Nous devons savoir et croire que Dieu choisit qui il veut, où il veut, quand il veut, même si cela nous étonne ou nous déplait. Il a bien choisi Saul de Tarse, un persécuteur de la jeune église chrétienne, pour en faire le plus grand des évangélistes et des docteurs chrétiens. Nous avons déjà vu cela avec Job, qui n’était pas israélite. Dans le cas de Cyrus, Dieu avait déjà annoncé ce qu’il ferait des siècles auparavant, avec une précision accablante pour Israël. Lisons deux versets dans Esaïe 44-28 et 45 :1. « 28  Je dis de Cyrus : Il est mon berger, Et il accomplira toute ma volonté ; Il dira de Jérusalem : Qu’elle soit rebâtie ! Et du temple : Qu’il soit fondé ! 1 ¶  Ainsi parle l’Eternel à son oint, à Cyrus… » Il faut noter l’emploi du mot traduit par « oint » dans le dernier verset, qui est le terme messiah en hébreux, soit le messie ; il est rarissime que ce terme soit donné à un non-hébreux.Les sages d’Israël n’ont donc pas dû être surpris, eux, de cet épisode, mais ont pu louer l’Eternel pour la fidélité de ses promesses.
  • Nous ne saurons rien de plus de la relation de Cyrus avec l’Eternel. C’est son affaire et celle de Dieu. Mais il est dit une chose remarquable au verset 1 : « L’Eternel réveilla (ou éveilla) l’esprit de Cyrus. » Voici comment Dieu agit : il réveille en l’homme l’esprit originel mis en lui (à travers la création) et qui dort. Cet esprit est présent chez tous les hommes depuis les origines. Et là, c’est Dieu qui prend la décision, sans quête apparente de Cyrus. Le projet du second temple vient de Dieu lui-même, alors que celui du premier temple était une idée de David que Dieu avait acceptée, mais avec des conditions restrictives – David ne put le réaliser lui-même car il avait trop de sang sur les mains. Dieu suscite donc ce projet par Cyrus, qui s’adresse aux Hébreux pour être les réalisateurs de ce vœu de Dieu. Il s’adresse aussi à son peuple et le sollicite pour qu’il fasse des dons aux Hébreux pour le Temple. Evidemment Cyrus n’envisageait pas de ne pas être obéi, et c’est sans doute d’ailleurs une des raisons du choix de Dieu : Cyrus a le pouvoir de faire exécuter ce plan.
Jérusalem détruite par les Babyloniens en -587

Sommes-nous capables d’imaginer ce qui a bien pu se passer chez les Hébreux quand ils eurent connaissance de cet édit de l’Empereur ? Incrédulité, crainte, surprise, désintérêt ou joie en Dieu, je pense que tout cela a existé chez eux. Les Hébreux étaient installés, ils avaient fait leurs vies à Babylone, les premiers déportés étaient morts depuis longtemps, c’était de l’histoire maintenant. Et voici que Dieu chamboulait toute leur existence. Mais cela n’aurait pas dû les surprendre, car ces faits arrivent, comme le dit le verset 1, en accomplissement de la prophétie de Jérémie, que nous lisons au chapitre 25, 11 à 14 et 29 :10.

« 25 : 11  Tout ce pays deviendra une ruine, un désert, et ces nations seront asservies au roi de Babylone pendant soixante-dix ans.

12  Mais lorsque ces soixante-dix ans seront accomplis, je châtierai le roi de Babylone et cette nation, dit l’Eternel, à cause de leurs iniquités ; je punirai le pays des Chaldéens, et j’en ferai des ruines éternelles.

13  Je ferai venir sur ce pays toutes les choses que j’ai annoncées sur lui, tout ce qui est écrit dans ce livre, ce que Jérémie a prophétisé sur toutes les nations.

14 Car des nations puissantes et de grands rois les asserviront, eux aussi, et je leur rendrai selon leurs œuvres et selon l’ouvrage de leurs mains. 

29 : 10  Mais voici ce que dit l’Eternel : Dès que soixante-dix ans seront écoulés pour Babylone, je me souviendrai de vous, et j’accomplirai à votre égard ma bonne parole, en vous ramenant dans ce lieu. »

Dieu avait donc déjà tout planifié et tout annoncé. Mais pour que le plan fonctionne, il fallait deux choses : que Cyrus entende et obéisse, et que les Hébreux se mettent en marche. Tous les Hébreux n’ont pas réagi à l’appel de Dieu. Certains avaient trop à perdre, ils étaient trop intégrés à Babylone. Le texte, dans le verset 5 dit : « tous ceux dont Dieu réveilla l’esprit » se levèrent pour obéir à l’appel de Cyrus et de Dieu. Les autres sont restés dans leur vie ordinaire.

Quand Dieu veut faire connaître sa gloire et être célébré, il est tout puissant sur le choix des moyens. Mais il ne peut contraindre qui que ce soit à faire sa volonté. L’esprit donné par Dieu, le pneuma divin, est en chacun de nous. Il veut le réveiller, lui rendre sa dynamique. Mais cela ne se fera nullement contre notre gré.

Comme les Hébreux après l’exil, nous revenons au monde d’avant la closure. Mais pourquoi y revenons-nous ? Servirons-nous Babylone, dans la continuité d’une intégration au monde païen (sans Dieu), ou voulons-nous construire le Temple de Dieu, sous l’impulsion du grand roi ?

Les Hébreux qui sont restés à Babylone n’ont pas renié Dieu, ils ont gardé la tradition et, plus tard, après la destruction de ce Temple, en 70 après JC, ils rédigeront un des deux Talmuds de référence du judaïsme (avec celui de Tibériade). Mais ils n’ont pas vécu la riche expérience de ceux qui sont revenus à Jérusalem, après le réveil de leur esprit. Partir, c’est accepter de se remettre en question. C’est vouloir que le retour soit différent. C’est à nous de choisir ce que sera demain pour nous, à Babylone ou à Jérusalem.

Dans la prochaine méditation, nous verrons ce qu’ont vécu ceux qui ont accepté le réveil de leur esprit et ce que cela peut signifier pour nous. Jean-Michel Dauriac – 17 mai 2020

Leave a Comment