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Catégorie : les critiques

rassemble tous les écrits critiques

Auprès de mon arbre: « La vie secrète des arbres » de P. Wolhlleben

La vie secrète des arbres

Ce qu’ils ressentent – comment ils communiquent

 

Peter Wohlleben

 

Editions Les Arènes – 2017 –261 pages

 

 

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Ce livre a une couverture magnifique, qui donne vraiment envie d’entrer dans l’ouvrage comme on entre dans une forêt  majestueuse. Cet ouvrage a connu un succès foudroyant en Allemagne où il s’est vendu à plus de 650 000 exemplaires ; il a ensuite été traduit en 32 langues. C’est dire s’il s’agit vraiment d’un très beau parcours éditorial !

 

L’Allemagne a toujours eu une passion pour les arbres : au XIXème siècle, les Allemands ont établi une liste d’un million d’arbres remarquables. La forêt a participé du romantisme allemand, tant en poésie et littérature qu’en peinture. La mythologie germanique exalte la forêt. Rien d’étonnant donc à ce qu’un livre écrit par un forestier amoureux de son métier et de sa forêt séduise ce peuple. Mais le succès est également en train de se propager en France. Toutes les critiques que j’ai pues lire sur cet ouvrage sont très positives.

 

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L’auteur adopte un point de vue qui peut énerver les scientifiques purs et durs, pétris d’immanence et de logique chimique. Il nous décrit le comportement des arbres en termes humains, parlant de l’arbre-mère et de ses enfants. De même décrit-il une collaboration, une entraide, une communication, une défense des arbres entre eux et contre leurs ennemis. Même si vous connaissez bien les arbres, vous serez charmés par cette approche très sensorielle, qui nous permet de mieux comprendre l’arbre et nous le rend très proche. P. Wohlleben pose ainsi la question de la solidarité entre arbres de la même espèce et la compétition entre espèces, confirmant ainsi Darwin. Mais il va plus loin, en nous soumettant des observations précises qui interpellent sur l’éventuelle mémoire des arbres et, pourquoi pas, une forme d’intelligence, ce qui supposerait un cerveau, jusque là non observé car pas du tout envisagé.

 

Ce livre ne pontifie jamais, il ne manie nullement le langage abstrait des techniciens et savants, il explicite toutes les notions théoriques en langue populaire. Pas de leçon de morale et d écologie non plus. Et pourtant le lecteur pourra en retirer de très nombreux enseignements. Par exemple sur la nécessité de laisser du temps long aux arbres, et donc d’accepter que notre vie et le commerce ne soient pas les étalons en la circonstance. Ou alors en nous décrivant le supplice de l’arbre urbain avec toute l’empathie du connaisseur : on a envie d’aller casser les grilles métalliques et le goudron des boulevards et avenues ! Il ne prend pas non plus l’attitude de l’écologiste profond qui préfère l’arbre à l’homme. Il nous remet simplement à notre place, montrant le respect que nous pourrions avoir envers ces géants pacifiques qui nous sont si utiles.

 

Je pense que c’est un livre à conserver et à relire par morceaux. Les chapitres sont courts et très précis ; certains peuvent donner lieu à un vrai débat public et seront utiles aux animateurs ou professeurs sérieux. Le plaisir est réel et jubilatoire à cette lecture. Et je puis vous assurer que vous ne verrez plus jamais les arbres du même œil après avoir lu ce livre.

 

Jean-Michel Dauriac

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Le crépuscule de la France d’en haut – Christophe Guilluy – Flammarion – 2016-

 

 

Ce livre est le troisième volet d ‘un tryptique consacré à la fracture française, dont la publication a commencé en 2013, avec « Fractures françaises », puis ‘est continué en 2014 avec « La France périphérique » et s’achève, au moins temporairement avec le titre présenté ici. Tout ayant commencé en 2000 avec la publication d’ un « Atlas des fractures françaises » chez L’Harmattan.. Depui0  s plus de quinze ans donc, Christophe Guilluy explore la société française en géographe autour des lignes de séparation sociales, politiques, économique set humaines qui se manifestent dans notre pays. Il faut se souvenir qu’Emmanuel Todd, avant lui, avait inventé l’expression « Fracture sociale » que Jacques Chirac avait préemptée sans vergogne pour sa campagne victorieuse de 1995 et dont on sait à quel point elle n’eut aucune suite ni mise en œuvre dans ses deux mandats.

 

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Il vaut mieux avoir lu « La France périphérique » avant de lire ce volume, tant il s’appuie dessus et en est le contretype. Dans ce précédent volume, l’auteur avait fait le portrait d’une France abandonnée à ses ennuis et à sa misère par la France gagnante. Son diagnostic était sans complaisance et lui a valu l’ostracisme de la gauche bien-pensante, alors même que, comme Michel Onfray ou Jacques Julliard, il est incontestablement homme de gauche. Mais la chape de plomb de la pensée unique sévit beaucoup plus à gauche depuis vingt ans qu’à droite, il est extrêmement aisé de le démontrer par les tribunes publiées dans la presse de droite par des penseurs de gauche qui ne peuvent plus le faire que là.

 

Les idées fortes sont peu nombreuses dans ce livre, qui n’est pas un ouvrage universitaire mais un livre grand public. F. Guilluy prend cependant la précaution de citer toutes ses sources qui sont sérieuses et étatiques le plus souvent. L’idée qui arme tout le livre et qui est répété à satiété est que les élites diverses (de la pensée, de l’économie, de la politique et de la culture) se sont non seulement coupées de la France modeste, mais la rejettent par un certain nombre de procédé techniques et médiatiques, au nom de valeurs humanistes dont elles auraient l’exclusivité et la compréhension. De cette idée majeure d »coulent des idées mineures qui valident la thèse. Les élites ont fait des métropoles ce que Guilluy appelle « les nouvelles citadelles » qui pilotent le pays et excluent ou incluent les populations. Ces citadelles reposent sur une nouvelle féodalité qui se consolide avec le temps. Une quinzaine de métropoles à l’échelle du pays dominent les secteurs-clés de l’économie, de l’emploi et de la pensée sous toutes ses formes. S’y retrouve une partie de la France périphérique, au titre de la force de travail non qualifiée nécessaire aux basses besognes. La société s’y est américanisée totalement et use des médias comme paravent de ses manœuvres idéologiques. La ségrégation spatiale est son arme, camouflée derrière le discours sur la diversité qu’elle promeut mais en évitant surtout, pour les dites-élites, de la vivre au quotidien. Paris en est la quintessence. Cette société ne cherche nullement à assimiler ou intégrer les arrivants, elle a tout misé sur le multiculturalsime de fait et choisit de plutôt misé sur les immigrés que sur les classes populaires traditionnelles (ouvriers et employés). Tout ce modèle repose sur un contrôle médiatique sans faille qui crée les représentations collectives nécessaires à la poursuite des choses. Mais ce schéma se grippe, car les classes populaires se sont nettement désaffiliées du discours politiques et sont entrain d’inventer d’autres modèles de terrain, dans une solidarité contrainte, qui laisse le champ politique abandonné.  C’est ici que sont présentées les deux idées les plus intéressantes de ce livre qui, par ailleurs se répète pas mal.

 

La première idée donne son titre au dernier chapitre : « Le marronnage des classes populaires ». Guilluy développe l’idée que les catégories abandonnées de la France périphérique se comportent comme les nègres marrons des plantations d’outre-atlantique. Il s’agissait des esclaves en fuite qui allaient se cacher dans des terres inaccessibles et y créaient une société nouvelle détachée du monde des maîtres. Ce fut le cas du peuplement des cirques de l’île de la Réunion, refuges de négres marrons en raison de leur isolement.. les bayous du Mississippi jouèrent aussi ce rôle pour les esclaves américains. Cette approche est intéressante car l’étude du terrain la valide à de nombreuses échelles. Il existe une forme de contre-société en marche dans les espaces marginaux du pays, et ceux qui la composent et l’animent ne sont pas de hippies ou des baba cool, mais des français moyens que l’on a relégués et qui ont pris le parti de vivre autrement. Dans son très beau livre « Remonter la Marne », Jean-Paul Kauffmann utilise le mot « conjurateur » pour désigner ces hommes et ces femmes qui se battent pour conjurer le sort qu’on leur a jeté ou qu’on leur fait subir. L’idée est la même : les gens qui « marronnent » selon Guilluy sont les « conjurateurs » de Kauffmann. Il y a maintenant tout un travail fait pas des chercheurs et penseurs libres pour mettre en évidence ces initiatives sociales, économiques et culturelles qui fleurissent dans les territoires des villes moyennes et petites et dans l’hyperruralité comme on dit aujourd’hui à Paris. Il faut synthétiser tout cela pour saisir l’évolution irréversible qui coupe la société française en deux groupes qui n’ont plus grand chose en commun. Mais l’appréhension de cette forme émergente de marronnage ou de conjuration est porteuse d’espoir, d’autant plus qu’elle a lieu dans un contexte de sobriété subie qui est l’avenir de nos sociétés, n’en déplaise aux technophiles béats qui veulent nier l’appauvrissement planétaire des ressources et l’impasse qui nous attend s nous n’entrons pas dans la « conversion écologique » dont parle le pape François.

 

La seconde idée est plus politique et traduit bien la manipulation des mots et des médias que réalise la caste dirigeante de droite et de gauche ici réunie par la promotion et la défense de son modèle social mondialiste et ségrégatif. Il s’agit de l’usage de l’antifascisme (et donc en creux de l’usage du mot et de l’idée de fascisme).

«  Véritable arme de classe, l’antifascisme représente en effet un intérêt majeur. Il confère une supériorité morale à des élites délégitimées en réduisant toute critique la mondialisation à une dérive fasciste et raciste . » page 173

Ce propos est clair et rend bien compte d’une technique rodée, qui consiste à traiter de fasciste tout individu qui remet en cause le modèle actuel mondialiste, multiculturaliste, métissé, technophile et libéral. L’anathème est immédiat et les médias le répercutent ad nauseam. Citons les cas de Finkielkraut interdit de venue au rassemblement de Nuit Debout ou de Michel Onfray, devenu brutalement réactionnaire parce qu’il dit des évidences niées par les bobos socialos qui font le contrôle médiatique. Cela serait dérisoire si l’on s’adressait à un public qui sait ce qu’est le fascisme. Mais ce n’est plus du tout le cas. Les mots « fascistes » et « nazis » sont instrumentalisés en dehors de toute vérité historique et idéologique. Est « fasciste » tout ce qui s’oppose clairement à la doxa dominante décrite en quelques qualificatifs ci-dessus. Il est donc aisé de constituer un front antifasciste contre une menace qui n’est pas réelle. Guilluy renvoie, et je le fais aussi, au livre de Pier Paolo Pasolini, « Ecrits corsaires », chez Champs-Flammarion, où, dans de nombreux articles de combat publiés dans la presse italienne nationale au début des années 1970, il dit de manière très claire ce qu’est le fascisme et ce qu’il n’est pas. Il avait su distinguer bien avant nous la dérive qui règne aujourd’hui et interdit tout vrai débat d’idée en France. Sont également frappés d’indignité nationale le souverainisme, les revendication régionalistes ou la promotion des identités locales.

 

Guilluy termine par l’idée que demain on pourrait faire un suffrage à points qui hiérarchiserait les électeurs en fonction de leurs « aptitudes » à bien voter. Il s’appuie sur l’exemple de l’analyse des résultats du Brexit par les médias français et les experts. En gros, ce vote est celui d’imbéciles qui n’ont rien compris à leur propre intérêt ; il faudrait donc ne pas tenir compte de ce vote ou en réorganiser un qui donnerait un résultat conforme à la pensée dominante. La même chose s’est produite en 2005 au moment des résultats du référendum sur le trait européen constitutionnel que les Français ont rejeté. Les propos des commentateurs et hommes politiques divers ont été ignobles de mépris pour les citoyens français et laissaient déjà augurer de l’objectif de ces classes dirigeants hors sol. Anne Hidalgo à Paris en est le plus magnifique exemple.

 

Ce livre n’est pas exempt de défauts formels, notamment dans ses répétitions, mais il a le mérite de dire tout haut ce que nous sommes nombreux à penser. Il va l’encontre de toute une doxa universitaire géographique que je connais parfaitement et qui empêche toute discussion au fond, en privilégiant un formalisme stérile et une pensée monocolore élaborée par quelques groupes parisiens essentiellement. Reclus, reviens, ils sont devenus fous !

 

Jean-Michel Dauriac

Beychac, le 13 octobre 2016

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Le défi urgent de notre pays et de notre temps – A propos de « Penser l’islam »

Michel Onfray            Grasset 2016 168 pages

 

Ce petit livre est celui dont Onfray avait suspendu la diffusion après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris ; Il comprenait bien que le moment était le plus mal choisi pour essayer de faire réfléchir sur l’islam. Cinq mois plus tard, en 2016, il sort le livre en France, car le texte publié en Italie va revenir de manière indirecte dans ce pays.

 

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En tant que livre, celui-ci est assez mal fagoté, il faut bien le dire : c’est un livre de circonstance, construit avec du matériau disparate. Le début est la reproduction d’articles de l’année passée – publiés ou non – sur les thèmes de la guerre coloniale et de l’islam au prisme des évènements de janvier 2015. Ceux qui lisent la presse les connaissent déjà. Onfray a ajouté des commentaires et des liaisons. Puis à partir de la page 50, un long entretien avec une journaliste algérienne, Asma Kouar, musulmane.

 

            Il  répond à des questions qui partent du « Traité d’athéologie » mais ne suivent aucune ligne directrice ; le lecteur est très rapidement perdu par ces changements de direction et de thématique. Le contenu est assez peu original, Michel Onfray se contentant de répéter en le résumant ce qu’il dit depuis une dizaine d’années sur la laïcité et les religions. Mais celui qui aura lu le « Traité d’athéologie » lors de sa sortie –ce qui est mon cas – ne pourra pas manquer de trouver une nette évolution politique et humaine du philosophe. Il a depuis mieux lu les textes sacrés – le « traité » était très approximatif sur de nombreux points – et surtout approfondi sa pensée sociale sur la place des religions et la République. L’anarchiste de « politique du rebelle » a pris un coup de réalisme. Et  pour moi c’est très bien. Il faut retenir une position finalement assez modérée sur l’islam en France. Au nom de la nécessité de vivre ensemble sur ce territoire, il préconise un choix politique : celui de soutenir l’islam compatible avec les éléments républicains, position aujourd’hui partagée par tous les penseurs de bon sens non pollués par les calculs politiques à court terme.  Voici quelques extraits significatifs.

 

« Il n’y a pas une différence de nature mais une différence de degré entre l’islam pacifique du croyant intégré dans la République qui conduit sa vie bonne en instaurant en principe la fameuse sourate « Pas de contrainte en matière de religion » et l’islam de ceux qui s’appuient sur de nombreuses autres sourates du même Coran et qui s’avèrent antisémites, phallocrates, misogynes, homophobes, bellicistes, guerrières, et tuent au nom du livre qui dit aussi qu’il ne faut pas tuer… » page 47

 

Cette remarque est vraie et s’applique aussi au judaïsme et au christianisme : c’est la même Bible qui a servi de justification aux Croisades diverses et à La Réforme de Luther, c’est la même Tora qui aujourd’hui sert de base aux juifs républicains français et aux ultras-orthodoxes israéliens, qui sont une grosse part du problème palestinien.

 

« Si l’on refuse et récuse l’idéologie, la République doit composer avec cette réalité, en dehors de toute fantasme, et promouvoir l’islam républicain qui s’appuie sur les sourates pacifiques. » page 66

 

«  Proposer un contrat social avec l’islam en France pour qu’il y ait un islam de France. Cet islam devrait prélever ce qui, dans le Coran, dans les Hadiths du Prophète, dans la biographie de Mahomet (Sîra), dans l’islam, dans l’histoire des musulmans, se montre clairement compatible avec les valeurs de la Républiques que je viens de citer. Si tel est le cas (ce qui suppose de renoncer à ce qui justifie la haine et le sang au nom de l’islam…), alors la République donne ce qu’elle doit donner : elle fournit un formation aux imams, elle les salarie, elle surveille les prêches pour qu’ils soient républicains, elle finance les lieux de prière, elle assure la protection des musulmans.

Tout ceci serait assuré par un denier du culte prélevé en fonction des confessions, l’athéisme ou l’agnosticisme constituant une case dans la déclaration… » page 126

 

Alléluia ! Onfray vient de réinventer le système allemand ou scandinave et de piétiner le Concordat dans son esprit laïcard, revenant au modèle d’Alsace-Lorraine. Cette pique énoncée, je sui tout à fait d’accord avec lui qu’à situation nouvelle et exceptionnelle, il faut des réponses nouvelles et exceptionnelles. L’Etat, garant de la sécurité et de l’harmonie de son peuple doit prendre les choses en mains. Je suis plus réservé sur un contrôle systématique des prêche, qui gêne le théologien que je suis. Je pense qu’une surveillance discrète par Les RG comme elle s’est toujours faite dans les diverses églises évangéliques du pays est suffisante.

 

Ces trois extraits résument à peu près l’ensemble du livre sur la question de l’islam. Il faut reconnaître que , si cela peut paraître évident à plusieurs, pour Michel Onfray, c’est une très grande évolution par rapport à ses positions anciennes férocement antireligieuses. Il prouve ainsi qu’on peut être athée et admettre la foi et la praxis des autres. Resterait à poser la délicate question de la place dans la sphère publique : l’islam a-t-il vocation à s’exprimer sur les évolutions de ce pays ? Comment ? Quand on voit avec quel mépris les médias parisiens ont traité l’opposition au mariage pour tous ( dont je ne partageais pas toutes les positions, loin de là !), il y a du chemin à parcourir pour obtenir un vrai dialogue dans ce pays.

 

Mais ce livre rappelle aussi une position plus philosophique, celle de la lecture et analyse des textes sacrés des religions.

 

« On doit pouvoir lire avec un œil d’historien les textes sacrés de toutes les religions comme on le fait des textes philosophiques, spirituels, politiques – d’autant que els trois textes monothéistes sont aussi des textes philosophiques, spirituels, politiques. » Page 87

 

On est bien d’accord. Je crois Michel Onfray trop cultivé pour ne pas savoir qu’Ernest Renan il y a 130 ans environ a écrit une « vie de Jésus » sur cette base : il n’a pas été banni de la République, mais a été vivement critiqué par les chrétiens de son temps, ce qui est la règle du jeu du débat. Par ailleurs, il existe un grand théologien protestant, Rudolf Bultman qui a proposé, au sein du christianisme, d’accomplir un travail de « démythologisation » des textes bibliques ; il est aujourd’hui considéré comme un auteur incontournable des exégètes sérieux du christianisme. Là aussi la question est celle du but poursuivi : s’il s’agit de la liberté d’étude et de débat, je vote des deux mains pour ; s’il s’agit de vouloir ridiculiser les religions, je ne peux que m’opposer car on piétine alors les valeurs revendiquées. La limite est celle de la liberté individuelle absolue, dans les deux sens.

 

«  Voilà pourquoi je tiens à égale distance les littéralistes qui ignorent le contexte et les contextualistes qui ignorent la lettre. Le littéraliste produit le fondamentaliste qui confond l’esprit et la lettre et ne lit que ce qui est écrit. En revanche le contextualiste ne lit pas ce qui est écrit et veut même parfois voir le contraire de ce qui est écrit. » page 128

 

Encore une fois, je suis tout à fait d’accord ! Car l’espace de « vie bonne » est dans la lecture spirituelle de ces textes et non dans leur lecture comme textes historiques – le géographe universitaire que je suis ne peut admettre une lecture littérale de la création en 6 jours de 24 heures ! – ou comme code de morale intemporelle : la société hébraïque préchrétienne ou l’antiquité romaine n’ont plus rien à voir avec notre époque (pas toujours de manière positive d’ailleurs).

 

«  Question : Beaucoup prétendent que l’Occident « néo-libéral » est politiquement, et moralement, pornographique, idolâtre et ennemie de tout transcendance. Qu’en pensez-vous ?

 

Réponse de Michel Onfray : Ceux qui pensent cela n’ont pas tout à fait tort ! L’occident est en bout de course, l’Europe est moribonde, elle ne revivra pas, et comme toutes les civilisations en phase d’effondrement, elle montre des signes de décadence : l’argent roi, la perte de tous les repères éthiques et moraux, l’impunité des puissants, l’impuissance des politiciens, le sexe dépourvu de sens, le marché qui fait partout la loi, l’analphabétisme de masse, l’illettrisme de ceux qui nous gouvernent, la disparition des communautés familiales ou nationales au profit des tribus égotistes et locales, la superficialité devenur règle générale, la passion pour les jeux du cirque, la déréalisation et le triomphe de la dénégation, le règne du sarcasme, le chacun pour soi… » page 68

 

Je partage ce diagnostic avec le philosophe. Notre monde ancien va mal et il dit que tout va mieux ! Je crois à l’utilité de la transcendance dans la guérison sociale. Non pour revenir à une chrétienté morte ou une théocratie républicaine, mais pour raviver le débat moral et éthique en profondeur et non selon les canons des formats télévisuels ou internet. Il faut recréer des espaces de discussion sur le temps long : les Université populaires sont un de ces outils.

 

 Il faut donc une vraie réflexion sur les textes et je suis convaincu que le dialogue inter-religieux sans concession est LA solution pour l’émergence de cet islam de France. J’ai déjà organisé plusieurs rencontres de ce type et j’en ai vu les aspects très positifs tant du côté des musulmans que des chrétiens ou des juifs.

 

Je n’aborderai pas ici les considérations politiques que Michel Onfray développe dans sa conclusion. Je partage tout à fait ses positions : ces attentats ne sont pas liés au hasard mais à une politique étrangère de la France ; le dégoulinement de sentiments superficiels mus par les médias et qui retombent comme un soufflé est une piètre réponse d’un pouvoir qui n’en peut mais.. Je ne fais pas du tout confiance à Hollande pour résoudre cette crise, pas plus qu’à Sarkozy ou Juppé ; il faudrait un homme ou des hommes et des femmes qui puissent être libres dans leurs têtes et non formatés par les diverses grandes écoles ou grands partis – et c’est un prof de classe prépa qui dit cela ! -. Je ne crois pas aux hommes providentiels, qui sont la paresse des hommes du peuple et qui se retournent en général contre ceux qui les ont élevé ou sont assassinés.

 

C’est donc un livre qui peut susciter le débat. Mais il faudrait aller plus loin : il y a quelques années, lors d’une rencontre avec Michel Onfray, celui-ci m’avait lancé, sous forme de boutade, après avoir appris que j’étudiais la théologie protestante : « Pourquoi pas de la théologie à l’Université Populaire de Caen, un jour ? » Je crois que le moment est venu. Et je serais tout à fait volontaire pour y réfléchir, moi qui ai fondé une Université Populaire que Michel Onfray a bien voulu parrainer par deux magnifiques conférences.

 

Jean-Michel Dauriac

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