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Catégorie : dans l’actualité

Purin d’ortie et réchauffement climatique

Je redémarre ma saison de blog, après une assez longue interruption technique. Pour me mettre en jambe, je ne peux laisser passer l’absurdité de l’affaire du purain d’ortie.

Voici une recette simplicissime obtenue à partir d’orties (plantes qui poussent naturellement assez facilement) et d’eau de pluie (ce qui pour l’instant n’est pas encore marchandisé). Les effets de cette macération sont positifs, aussi bien comme complément nutritionnel que comme engrais naturel. Eh bien, par les vertus de la nouvelle loi d’orientation agricole de 2006, il est strictement interdit d’en assurer la promotion publique (et a fortiori la commercialisation) sous peine d’une amende très conséquente et d ‘une peine de prison. Comment transformer en délinquants les détenteurs et promoteurs d’une agriculture traditionnelle. Bien sûr il est aisé de débusquer là derrière le lobby de la chimie phytosanitaire. Mais faut-il encore une fois baisser les bras et accepter ce qui devient de plus en plus inacceptable: le déni de liberté couplé à l’assassinat programmé de l’espèce humaine. Que fleurissent cent mille orties et que partout l’odeur nauséabonde de ce purin titille les papilles des conseils d’adminsitration de Bayer, Rhône-Poulenc et autres amis de la terre…

Dans le même temps se réunit au Kénya la nième conférence sur le climat. Comme d’habitude attendons-nous à ce qu’elle accouche d’une souris, malgré le tintamarre médiatique qui l’accompagne. Le fameux protocole de Kyoto est un gadget comparé à l’amplitude des mesures qu’il faudrait prendre sans tarder. On commence juste dans ces cénacles à parler de la suite. L’urgence de la situation n’est vraiment pas saisie et surtout pas communiquée réellement aux populations. Les mesurettes ne seront d ‘aucune utilité en la matière. Il faut une action révolutionnaire pour espérer faire face. Il s’agit ni plus ni moins de tourner le dos à une grande partie de notre modèle de développement occidental. Et comment les puissants dirigeants de toutes espèces pourraient-ils le faire, alors même qu’ils sont les promoteurs et les bénéficaires de ce système mortifère? Seuls les citoyens peuvent impulser ce retournement qui va aux racines du système capitaliste, qui remet en cause la croissance, ce dieu des imbéciles formatés dans les même écoles d’autistes… L’observation de nos sociétés laisse peu d’espoir en un sursaut civique, quand on observe quels sont les enjeux de la campagne présidentielle en France. Mais la foi c’est « espérer contre toute espérance »! Je veux donc continuer à me battre pour ce changement par tous les petits moyens dont je dispose, même si je suis assez pessimiste sur la suite.

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Changer le monde par un ordinateur à 100$?

Dans Le Monde 2 du 17 juin 2006, le grand reportage est consacré à l’ordinateur des pauvres, sous l’accroche provocante de couverture: « Cet ordinateur peut changer le monde ».

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L’enquête nous entraîne dans les coulisses d’un projet né il y a quelques années dans la tête de Nicholas Negroponte, un ancien gourou de l’informatique, copain des Bill Gates et autres Steve Jobs. Negroponte a trahi la famille (du moins en apparence) en se faisant le coordinateur d’une ONG baptisée OLPC (One Laptop Per Child) soit « un ordinateur portable par enfant ». Il a réuni une équipe de chercheurs et des partenaires prestigieux pour mener à bien son rêve: rendre accessible à environ 100$ un ordinateur portable basique destiné aux enfants des pays pauvres. Après plusieurs versions, l’appareil est prêt et vient d ‘être présenté au Sommet mondial de l’information de Tunis en novembre 2005. Associées à ce projet, on trouve des entreprises du type AMD (processeurs), Google (moteur de recherche) ou Red Hat (distributions Linux), aussi bien que le PNUD (programme de développement de l’ONU). En face d’une équipe motivée et soudée qui a l’impression d’accomplir une tâche quasi-messianique, les critiques et opposants ne manquent pas, à commencer évidemment par Bill Gates. On comprend mieux quand on sait que ce portable des pauvres fonctionnera avec un système d’exploitation Linux, c’est-à-dire libre de droit et open source (améliorable par tous les gens de bonne volonté et compétents). Le PDG d’Intel, numéro un mondial des processeurs, est lui aussi contre ce projet (la machine fonctionnera avec un processeur AMD, son grand concurrent!). On saisit donc dès l’énoncé de ces camps opposés que la logique du capital et du marché est à l’oeuvre. A noter qu’un certain nombre de personnes éminentes dans les pays du Sud sont également contre ce projet qu’ils qualifient soit d’inessentiel, soit d’impérialiste. Bref l’ordinateur à 100 $ est loin de faire l’unanimité. Ce qui n’a aucune importance et ne doit pas nous surprendre. Au final, et c’est très bien ainsi, ce sont les clients qui choisiront ou non de donner raison à Negroponte.

Mais ceci pourrait rester un simple sujet sur la guerre des grands de l’informatique si Negroponte et ses collaborateurs ne pensaient, en accomplissant cela, changer le destin des jeunes du monde et, par conséquent, le monde. Leur discours est le parfait reflet de la philanthropie américaine, dont on doit toujours se demander si elle est fondée sur l’éthique protestante du capitalisme ou sur un impérialisme paternaliste. Et c’est là que je ne saurais approuver ce projet sur ces motivations. Une machine peut améliorer ou pourrir la vie de nombreux êtres humains: la brouette est une invention géniale qui aidé grandement les travailleurs manuels, mais il serait abusif de dire que la brouette a changé le monde! Le fusil a tué des millions de gens, mais il n’a pas changé le monde au sens philosophique.

Car je suis intimement convaincu que rien ne peut changer le monde si ce n’est l’homme en tant qu’être pensant ou son créateur, si on est déiste. C’est verser dans le matérialisme le plus obtus que de donner à un assemblage électronique la capacité de changer le cosmos. L’ordinateur est maintenant banalisé à outrance dans nos pays occidentaux; il a modifié les métiers, rendu caduques certains d’entre eux, créé de nouveaux emplois; Internet ouvre sur le monde de manière vertigineuse, offrant l’accès au savoir, aux biens et aux tares humaines les plus dégradantes. Mais il n’est que le reflet de l’humain dans son essence, il n’est en aucune manière la cause de l’humaine nature, ce qui est capable de la changer. Confondre des changements opératoires avec des changements d’être, c’est confondre les conséquences avec les causes. Le monde change parce que l’homme pense. Le premier qui a conçu un outil, le premier qui a pensé une organisation sociale, le premier qui a orné une grotte de fresques, le premier qui a inventé l’écriture, celui-là a fait faire de grands pas à son espèce. Par son travail de pensée. Mais l’outil, l’organisation sociale, la fresque ou l’écrit ne sont pas en eux-mêmes les changements du monde. Une civilisation est d’abord un rapport au monde, spirituel et matériel, elle ne saurait se résumer à un objet. Parler de « civilisation automobile » ou de « cyber-civilsation » me semble une formidable réduction mentale. La voiture, quand elle est arrivée dans nos vies, et je me souviens de la première voiture de mon père, une 4CV Renault,, a peu à peu bouleversé nos comportements et nos manières d’être. On allait plus souvent voir les grands-parents à la campagne, car c’était bien plus rapide, souple et moins coûteux! Mais ce qui sous-tendait cela c’était la structure familiale de notre civilisation occidentale du XXème siècle. La voiture est un outil de transport, rien de plus ; l’homme a vécu sans elle fort longtemps, il faut d’ores et déjà qu’il commence à s’habituer à vivre à nouveau sans elle, ou au moins à beaucoup moins l’utiliser, crises énergétique et écologique obligent. L’ordinateur n’est rien d’autre qu’un assemblage plus ou moins ingénieux de composants. Il n’aide en rien à penser. Platon a été un des fondateurs de la pensée occidentale avec pour seul outil la parole et la puissance de son esprit. Bill Gates n’a en rien changé le monde, car il n’y a aucune pensée dans un DOS ou un Windows, seulement des routines de programmation qui exécutent à la demande des tâches de plus en plus complexes et cela de plus en vite. Le traitement de texte n’apprend pas à écrire les livres ou les poèmes, le correcteur orthographique n’enseigne pas les joies subtiles et sadiques de la grammaire. Je pourrais continuer ainsi fort longtemps, mais comme je crois le lecteur intelligent, je pense que c’est assez!

Changer le monde consiste d’abord à le penser, à en prendre la mesure. Vaste tâche qui nous occupe toute notre vie. Ce n’est pas un hasard si la plupart des grands livres essentiels sont écrits au soir d’une vie et si les grands penseurs sont considérés souvent juste avant leur mort ou parfois après! Changer le monde est d’abord se construire face au monde et dans le monde. C’est connaître la richesse des gens qui nous ont précédés et les civilisations qu’ils ont élaborées, qui ont toutes grandi, puis décliné, pour enfin disparaître. L’Histoire sert à comprendre cela, mais aussi à relativiser les apogées. Nous appartenons à une époque qui se pense immortelle dans ce qu’elle construit. Ce sentiment a sans doute habité les hommes de toutes les grandes époques, mais il est omniprésent chez nous et porté au rang de dogme. C’est, entre autres choses, pour cela que nous ne mesurons pas la gravité de la situation écologique. Nous sommes en train de changer le monde en le rendant inhabitable à notre espèce, si nous ne retrouvons pas lucidité et modestie. L’homme doit s’inscrire dans un cadre naturel qui ne lui appartient pas, qui le dépasse; nous ne sommes pas les Maîtres du monde, juste ses locataires. La seule chose que nous pouvons changer c’est notre « être au monde ». Et là, aucune machine, pas plus l’ordinateur à 100$ que n’importe quelle autre ne peut nous aider. Oui, chaque homme peut changer le monde en lui, ce qui le changera, lui, inévitablement. Voilà un beau projet, qu’on peut bien appeler humaniste si l’on veut.

ajout du 22 novembre 2006: http://akosh.pcinpact.com/actu/news/32899-OLPC-usine-chine.htm

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Musée du Quai Branly: ainsi nous n’avons rien appris!

Tout Français à peu près normalement inséré dans la société n’aura pu échapper à l’inauguration du nouveau musée du Quai Branly, ouvert au public à partir du 23 juin 2006.

Il s’agit de fait d’une réalisation architecturale importante, signée Jean Nouvel, qui marque l’achèvement d’un feuilleton qui aura duré plus de dix ans et restructure définitivement un quartier jadis industriel.

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Ce bâtiment résistera-t-il aux assauts du temps et des modes, de plus en plus rapides à se succéder? Les générations prochaines le diront… Mais là n’est pas le vrai problème.

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Il aurait dû s’appeler « Musée des Arts Premiers », mais la discussion à ce sujet virait à la polémique et le nom choisi étant vide de sens il est donc consensuel . La notion d’ « Arts Premiers » posait la même question que les « Peuples Primitifs » ou les « Peuples Premiers », celle du vocabulaire et des dérives sémantiques. C’est que dans notre belle civilisation européenne, les Premiers seront les Derniers et inversement! Donc, il s’agissait d’une appellation perfide à caractère raciste et colonial. On l’abandonna. mais pas le contenu du flacon, juste l’étiquette… Car sur le fond, le Musée Branly contient bien des collections qui nous parlent des peuples qui ont les premiers habité la planète ou qui sont restés dans leur stade civilisationnel originel.

Paul Vidal de La Blache, le grand père fondateur de la géographie française écrivait, dans son dernier livre, paru à titre posthume en 1918 (1):

 » Plusieurs de ces formes primitives d’existence sont périssables; plusieurs sont éteintes ou en voie d’extinction: soit. Mais elles nous laissent, comme témoins ou comme reliques, les produits de leur industrie locale, armes, instruments, vêtements, etc., tous les objets dans lesquels se matérialise, pour ainsi dire leur affinité avec la nature ambiante. On a eu raison de les recueillir, d’en former des musées spéciaux où ils sont groupés et géographiquement coordonnés. Un objet isolé dit peu de chose; mais des collections de même provenance nous permettent de discerner une empreinte commune, et donnent, vive et directe, la sensation du milieu. Aussi des musées ethnographiques tels que celui qu’a fondé à Berlin l’infatigable ardeur de Bastian, ou ceux de Leipzig ou d ‘autres villes, sont-ils de véritables archives où l’homme peut s’étudier lui-même, non point in abstracto, mais sur des réalités. »

Il me semble que toute la défense positive de tels musée est rassemblée ici. Le motif majeur est la connaissance anthropologique, et la survie de peuples menacés de notre histoire humaine. Il est à noter que l’auteur fait référence à des musées allemands, maîtres de cette discipline au début du XXème siècle, la France ne se lançant dans l’entreprise qu’après la guerre de 1914-48. On sait où l’anthropologie allemande, détournée de son objectif, a pu mener le peuple allemand et l’Europe entière! Quand la France se lance à son tour dans la course ethnographique avec les grands maîtres fondateurs des années 1930, c’est dans le champ colonial qu’elle laboure et c’est en puissance coloniale qu’elle érige ses musées. Le Musée Branly est l’héritier direct du Musée National des Arts d’Afrique et d’Océanie, lequel va être transformée en musée de la mémoire coloniale! Ce serait extrêmement drôle si ce n’était pitoyable. De plus, pour alimenter le nouveau musée, on a démantelé deux autres musées des années 1930, le Musée de l’Homme et le Musée des Arts et Traditions Populaires, lesquels avaient chacun leur thématique propre. Le nouveau musée n’est donc en fait que la synthèse revue et corrigée de trois musées à forte connotation coloniale. C’est sans doute pour cela que l’argumentation officielle, qui fleurit un peu partout dans les médias ces jours-ci sous la plume ancillaire de féaux dévoués, nous répète à l’envie qu’il s’agit d’un musée « post-colonial »! Que nenni! Quel autre droit moral avons-nous à monter un tel établissement que le fait de posséder les pièces qui le meublent? Et comment avons-nous eu ces pièces? En pillant les colonies ou en achetant des pièces retirées de leur cadre originel, à des marchands ou à des voleurs… Souvenons-nous du fait d’armes du jeune André Malraux, volant des pièces khmères pour les ramener en métropole ( il devint notre premier Ministre de la Culture). L’alibi de défense intellectuelle ne tient pas la route, il est la reprise exacte de l’argumentation vidalienne du début du XXème siècle où la pensée dominante était coloniale dans tous les partis de gouvernement et chez toutes les élites dirigeantes. Nous n’avons pas bougé d’un pouce. Nous avons perdu le contrôle politique sur ces territoires, mais nous avons gardé comme nous avons pu le contrôle économique (ah la zone Franc! la coopération! la francophonie! etc…). Et surtout nous continuons à nous penser en maîtres savants de ces pays et cultures. Il nous appartiendrait de présenter, savamment organisées, ces collections qui racontent la vie et la culture de peuples qui n’ont rien à voir avec la France! Et cela au nom d’une école ethnographique de qualité! Quand le savoir devient le vaguemestre de la volonté de puissance impérialiste du politique, il est dénaturé et se trahit. Et ceci quel que soit le régime, dans le Moscou des staliniens comme dans le Paris des chiraquiens!

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Tiens, justement Jacques Chirac, parlons-en! On sait sa passion pour le sumo et les Arts Premiers! Que n’a-t-il fait édifier un centre mondial du Sumo au lieu de ce musée! Car cette institution est la matérialisation du « dur désir de durer » de notre président, décidément toujours à courir dans l’ombre de François Mitterrand qui a semé dans Paris une multitude de traces en sa mémoire. Vous voulez une manifestation de la fracture abyssale qui sépare le peuple français, se débattant dans ses difficultés de vivre, et ses dirigeants politiques? Le Musée du quai Branly en est un bon exemple. Dix ans de lutte acharné pour arriver à cet empilage de boîtes géantes où ranger notre pillage colonial étiqueté. Que n’a-t-on mis la même énergie têtue à résorber le chômage ou à refonder les solidarités intergénérationnelles (pour ne pas dire les retraites)! Ce musée est une double insulte: une insulte à tous les peuples premiers dont nous détournons l’histoire à notre profit, mais aussi une insulte à tous les Français précaires, chômeurs, exclus de toutes sortes. Que cela ne saute pas immédiatement aux yeux de la classe politique et de la tribu journalistique est significatif: à vivre si loin des « vrais gens », du « petit peuple de la rue », il faut bien un jour admettre qu’on ne les connaît plus, qu’on n’a plus grand-chose en commun avec eux. Musée colonial sans aucun doute, ou au mieux néo-colonial, voire post-colonial au sens de post-modernité, c’est-à-dire vide de sens. Musée-stèle à la mémoire d’un président qui finit douloureusement son règne. L’alibi culturel proposé aux Français est un gadget pour détourner l’attention des vrais problèmes posés par cette réalisation.

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Si de tels musées doivent voir le jour, c’est dans les pays d’origine des biens exposés qu’il faut les édifier. Quand on parle de co-développement, de commerce équitable ou de tout autre expression humaniste du même style, il faut prouver sa détermination. La France devait financer la construction de musées nationaux ou régionaux en remettant les oeuvres à leurs vrais propriétaires. En faisant cela, elle aurait un peu réparé ses fautes inexpiables de la colonisation. Ceux qui auraient voulu visiter ces musées et voir ces collections auraient pris l’avion et seraient allés sur place, contribuant au moins au développement touristique culturel de ces pays ignorés (ils auraient aussi contribué au réchauffement climatique avec la consommation de kérosène !), alors qu’il suffit de prendre simplement le métro aujourd’hui, ce qui est beaucoup plus démocratique pour les Français , mais pas pour les Maliens ou Cambodgiens. Au lieu de quoi on crée une « journée » supplémentaire de commémoration pour l’esclavage et on prépare un nouveau musée de mémoire pour la colonisation! Nous n’avons donc vraiment rien appris des jours mauvais!

1 – Principes de géographie humaine – Paul Vidal de la Blache – éditions Utz – Paris – 1995

Jean-Michel Dauriac


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