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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

Ecologie et christianisme : autour de « Laudato si », du pape François

Le cadre de toute réflexion sur l’écologie, dans un cadre chrétien, passe par l’approche de la création divine. L’histoire des hommes se déroule entièrement entre deux textes précise, qui ouvrent et ferment la Bible :

 

Genèse 1 : 27-28 et Apocalypse 21 :1

 

L’histoire humaine a un début et une fin, c’est ce que le judaïsme nous a légué. Entre ces deux moments sur lesquels nous sommes ignorants se déroule notre histoire propre, celle de l’humanité.

La Terre est notre maison commune comme le dit le pape François, et nous l’avons reçue en cadeau de Dieu, avec la mission d’en prendre soin. La question écologique n’est donc pas une petite affaire annexe qui peut se réduire à l’environnement. Il s’agit de penser la création et la créature homme dans celle-ci.

 

Pour nous aider, nous avons choisi un livre qui aborde l’ensemble des questions sous un angle chrétien (catholique précisément), mais l’auteur précise qu’il s’adresse à tous les hommes, croyants ou non, donc à plus forte raison aux protestants évangéliques. Nous allons revenir dans un instant sur le message de ce livre et les questions soulevées.

 

Mais avant cela, j’aimerais que nous prenions appui sur un des plus grands pasteurs protestants du XXème siècle, Albert Schweitzer, qui a réalisé un énorme travail humanitaire en Afrique, mais aussi une grande œuvre philosophique et théologique, plaçant sa vie et son œuvre, à partir de 1915 (il a alors 40 ans) jusqu’à sa mort en 1965, sur le « respect de la vie ».

 

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« m’apparurent, sans que je les eusse pressentis ou recherchés, les mots « Respect de la vie». La porte d’airain avait cédé. La piste s’était montrée à travers le fourré. Enfin je m’étais ouvert une voie vers l’idée centrale où l’affirmation du monde et de la vie rejoint l’éthique.

Je tenais la racine du problème. le voyais maintenant comment une conception éthique du monde, disant oui à la vie et inspirant les valeurs de la civilisation, trouvait ses fondements dans la pensée……(1)

 

Le fait le plus élémentaire que saisisse la conscience de l’homme peut être exprimé comme suit: « Je suis vie qui veut vivre parmi d’autres vies qui veulent vivre »…

 

En conséquence, l’éthique provient de ce que je ressens la nécessité de témoigner à toute volonté de vivre le même res­pect pour la vie qu’à la mienne. De là ce principe fondamen­tal de la conduite morale, qui s’impose en toute logique à la pensée: le bien consiste à conserver et à favoriser la vie; le mal consiste à détruire la vie ou à l’entraver. (2) 

 

Un homme n’est véritablement éthique que s’il obéit à l’obligation de secourir toute vie, lorsque la situation se présente et qu’il en a les possibilités, et s’il craint plus que tout de nuire d’une façon ou d’une autre à un être vivant. II ne se demande pas jusqu’à quel point telle ou telle vie mérite qu’il lui accorde son intérêt, selon qu’elle aurait une valeur propre ou selon qu’elle serait capable d’éprouver des sensations ou pas. Pour lui, la vie est sacrée, en tant que telle. fl n’arrache pas étour­diment des feuilles aux arbres ni des fleurs à leur tige et il prend garde à ne pas écraser des insectes en passant. Si par une nuit d’été il travaille sous une lampe, il préférera laisser sa fenêtre fermée et respirer un air lourd, plutôt que de voir une hécatombe d’insectes aux ailes roussies s’abattre sur sa table. (2) »

 

Albert Schweitzer – Extraits de « Ma vie et ma pensée » (1) et de « La civilisation et l’éthique » (2)

 

Cette expression est beaucoup plus parlante en allemand, langue maternelle de Schweitzer. « Ehrfurcht » vient de l’association de deux verbes : « Ehren », qui signifie vénérer, respecter totalement, et « Furchten » qui signifie craindre. Pour reprendre une expression biblique il s’agirait donc de « respect et crainte et tremblement pour la vie »

 

Ce passage par Schweizer montre que la réflexion est ancienne (plus d’un siècle » et qu’elle traverse les églises chrétiennes de toute obédience. Le livre de Schweizer, « Civilisation et éthique » serait trop riche et compliqué pour notre sujet du jour.  C’est la raison pour laquelle nous avons opté pour « Laudato si », encyclique du pape François, parue en 2015 et qui est le premier texte pontifical entièrement consacré à l’écologie. Ce livre a eu un grand retentissement, bien au-delà de la seule sphère catholique et chrétienne, il a été salué comme une contribution majeure au débat. Nous allons le parcourir rapidement, chapitre par chapitre, à plusieurs voix, et nous verrons ainsi les thèmes abordés et les questions soulevées. Cela devrait alimenter, au moins initialement, nos échange de l’après-midi.

 

Avant de rentrer dans le vif du livre, il faut rappeler quelques éléments utiles à situer ce livre et donner une vue rapide de l’ensemble.

 

                Ce livre est profondément catholique dans sa conception : toutes les références sont issues de travaux de conciles ou assemblées d’évêques, ou de penseurs catholiques. Les papes précédents sont eux-mêmes cités en introduction, pour montrer la continuité d’une pensée sur ce sujet.

                Ce livre intervient dans un contexte mondial particulièrement tendu dans le domaine écologique : les sommets se multiplient et les rapports sur l’avenir se font très alarmants. Le pape a voulu faire entendre la petite musique chrétienne sur ce sujet, et il est vrai qu’il était sans doute le mieux placé pour avoir une audience mondiale.

                Le livre vise l’ensemble des homes et femmes de bonne volonté ; il n’y a pas besoin d’être croyant pour s’y retrouver, en sautant les aspects purement théologiques.

 

Nous vous proposons maintenant un survol général des intentions de ce livre, avant de rentrer un peu dans le détail.

 

« Réflexion et méditation sur :

les chrétiens et l’écologie selon le livre du pape François : « Laudato si »

 

 

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Dans le Cantique des créatures que François d’Assise composait et chantait en 1225,  il implorait le Créateur en ces termes: « Loué sois-Tu, mon Seigneur pour sœur notre mère la terre (qui nous soutient et nous gouverne et produit divers fruits avec des fleurs colorées et de l’herbe) »

François d’Assise est fidèle à l’Ecriture, il nous rappelle que la nature conduit à Dieu : La grandeur et la beauté des créatures font contempler, par analogie, leur Auteur » (Livre de la Sagesse 13- 5) et «  ce que Dieu a d’invisible depuis la création du monde, se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres, son éternelle puissance et sa divinité (lettre de Paul aux romains 1 – 20).

 

Il y a plus de 50 ans, alors que le monde vacillait au bord d’une crise nucléaire, le pape Jean 23 adressa un message  Pacem in terris aux « fidèles de l’univers ainsi qu’à tous les hommes de bonne volonté ».

En 1971, le pape Paul 6 présenta la problématique écologique  comme une crise : « par une exploitation inconsidérée de la nature l’être humain risque de la détruire et d’être à son tour la victime de cette dégradation ».

La science de l’environnement n’échappera pas au pape Jean Paul 2 qui a appelé à une conversion écologique globale. En même temps il a fait remarquer qu’on s’engage trop peu dans la sauvegarde des conditions morales d’une « écologie » humaine authentique.

Benoît 16 a proposé de reconnaître que l’environnement naturel est parsemé de blessures causées par notre comportement irresponsable .

Outre l’Église catholique, d’autres Églises et communautés chrétiennes – comme d’autres religions – ont nourri une grande préoccupation et une précieuse réflexion sur ces thèmes qui nous préoccupent tous.

Dans son message pour la journée de prière de sauvegarde de la création du 1er septembre 2012 le Patriarche Bartholomée se réfère à la nécessité de se repentir  « dans la mesure où tous nous causons de petits préjudices écologiques » Il rajoute « un crime contre la nature est un crime contre nous mêmes et un péché contre Dieu »

 

 

Par  son livre « Laudato  si » adressé aux évêques, à l’ensemble des chrétiens de l’Église de Rome le pape François se propose d’entrer en dialogue avec tous au sujet de notre maison commune, « notre mère la terre ».

Nous avons grandi  en pensant que nous étions ses propriétaires, ses dominateurs, autorisés à l’exploiter . Il est à remarquer que parmi les plus pauvres, les plus abandonnés, se trouve notre terre opprimée et dévastée, qui gémit en travail d’enfantement (lettre de Paul aux romains 8-22).

Le pape François manifeste de l’optimisme, il déclare que « l’humanité possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune . Je souhaite saluer, encourager et remercier tous ceux qui, dans les secteurs les plus variés de l’activité humaine, travaillent pour assurer la maison que nous partageons».

 

Le mouvement écologique mondial a déjà parcouru un long chemin, il a généré de nombreuses associations citoyennes qui ont aidé à la prise de conscience.

Il faut une nouvelle solidarité universelle pour comme l’ont affirmé les Evêques d’Afrique du Sud : »les talents et l’implication de tous  sont nécessaires pour réparer les dommages causés par les abus humains à l’encontre de la création de Dieu »

 

La mission d’enseignement du pape François dans « Laudato si » se porte sur :

– l’intime relation entre les pauvres et la fragilité de la planète

– la conviction que tout est lié dans le monde

– l’invitation à chercher d’autres façon de comprendre l’économie et le progrès

– la valeur propre de chaque créature

– le sens humain de l’écologie

– la nécessité de débats sincères et honnêtes

– la grave responsabilité de la politique locale et internationale

                la culture du déchet et la proposition d’un nouveau style de vie »

 

synthèse réalisée par Jacques Perry

 

 

 

Le message de « Laudato si » et les perspectives ouvertes à sa lecture

 

 

chapitre 1 : « Ce qui se passe dans notre maison »

 

Ce chapitre fait un état des lieux des grands problèmes écologiques. Nous avons abordé la plupart de ces sujets lors de nos « cultes d’actualité » depuis plusieurs années ; vous pourrez trouver sur le site EEL33 des textes et diaporamas sur ces thèmes-bilans. Je me contente ici de donner les titres majeurs :

                La pollution et les changements climatiques sont sans doute els sujets les plus médiatisés, ils sont liés tous les deux par le rôle des hommes dans l’augmentation des gaz à effets de serre dans l’atmosphère. Aujourd’hui plus aucun analyste sérieux ne nie le réchauffement climatique et le rôle de l’homme, sauf ceux qui y ont intérêt pour leur business (cf Trump) et les ignorants.

                La question de l’eau, tant dans sa rareté relative et sa dégradation est abordée également.

                La perte de biodiversité est cité également : nous sommes dans une phase d’extinction d’espèces préoccupante, dont l’homme porte une grande responsabilité.

                La détérioration de la qualité de vie de nombreux humains, riches ou pauvres est également constatée, tant par l’urbanisation, le bruit, le décervelage numérique…

                L’accroissement des inégalités mondiales et la persistance d’une pauvreté scandaleuse.

                François constate la faiblesse des réactions face à l’ampleur de ces problèmes et la diversité des attitudes, allant du déni à l’impuissance, et insiste sur le rôle que l’Eglise doit jouer.

 

Chapitre 2 : « l’évangile de la création »

 

C’est le chapitre théologique de ce livre. Le pape y reprend les bases sur la création, ce sur quoi nous allons passer rapidement car Raymond a évoqué cela au début de notre culte. Nous retiendrons le rôle qui est souligné pour le Saint-Esprit comme agent divin de cette création toujours en cours. Chaque créature a en elle une part de la gloire de Dieu. De même tous les hommes ont droit à une juste part des richesses de la terre. Jésus a été un exemple d’une vie en prise avec le monde matériel et naturel. Dans sa personne nous avons la plénitude de la création.

 

Le cantique des créatures

écrit par saint François d’Assise en 1225

 

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Très-Haut, tout-puissant et bon Seigneur, à vous appartiennent les louanges, la gloire et toute bénédiction ; on ne les doit qu’à vous, et nul homme n’est digne de vous nommer.

Loué soit Dieu, mon Seigneur, à cause de toutes les créatures, et singulièrement pour notre frère messire le soleil, qui nous donne le jour et la lumière ! Il est beau et rayonnant d’une grande splendeur, et il rend témoignage de vous, ô mon Dieu !

Loué soyez-vous, mon Seigneur, pour notre sœur la lune et pour les étoiles ! Vous les avez formées dans les cieux, claires et belles.

Loué soyez-vous, mon Seigneur, pour mon frère le vent, pour l’air et le nuage, et la sérénité et tous les temps, quels qu’ils soient ! Car c’est par eux que vous soutenez toutes les créatures.

Loué soit mon Seigneur pour notre sœur l’eau, qui est très utile, humble, précieuse et chaste !

Loué soyez-vous, mon Seigneur, pour notre frère le feu ! Par lui vous illuminez la nuit. Il est beau et agréable à voir, indomptable et fort.

Loué soit mon Seigneur, pour notre mère la terre, qui nous soutient, nous nourrit et qui produit toutes sortes de fruits, les fleurs diaprées et les herbes !

Loué soyez-vous mon Seigneur, à cause de ceux qui pardonnent pour l’amour de vous, et qui soutiennent patiemment l’infirmité et la tribulation ! Heureux ceux qui persévéreront dans la paix ! Car c’est le Très-haut qui les couronnera.

Soyez loué, mon Seigneur, à cause de notre sœur la mort corporelle, à qui nul homme vivant ne peut échapper ! Malheur à celui qui meurt en état de péché ! Heureux ceux qui à l’heure de la mort se trouvent conformes à vos très saintes volontés ! Car la seconde mort ne pourra leur nuire.

Louez et bénissez mon Seigneur, rendez-lui grâces, et servez-le avec une grande humilité. »

 

 

Chapitre 3 : « La racine humaine de la crise écologique »

 

Présenté par Vincent Gebelt

 

Ce chapitre traite de la puissance acquise par la technologie sur nos vies, et son corollaire, la croissance illimitée au plan économique, grâce au progrès. Nous n’avons plus vraiment de choix autre. La technique nous fait croire à des réponses techniques partielles. Il faut vraiment se donner le temps et ralentir la marche, faire naître un homme nouveau, ouvert à l’ensemble de la dimension écologique. Pour cela il faut remettre le travail au centre de nos vies, comme moyen d’épanouissement et de créativité. De même la science doit absolument être éclairée pour être au service des humains.

 

Chapitre 4 : «  Une écologie intégrale »

 

Dans ce chapitre, le pape développe le concept central d’ « écologie intégrale », dont il présente les composantes. Il voit d’abord une « écologie sociale » qui concerne la vie des humains en société et leurs relations politiques. Il y ajoute une « écologie culturelle », qui traite de l’importance des cultures diverses du monde ; il faut les valoriser et les défendre face à l’uniformisation de la mondialisation. Une « écologie quotidienne » doit être développée pour créer un environnement harmonieux, notamment dans le domaine de l’habitat. C’est ici qu’arrive la notion de « bien commun » qui conditionne les diverses solidarités à mettre en œuvre (sociale, intergénérationnelle…) Il ne saurait donc y avoir d’écologie qui ne prenne en compte tous ces aspects, autant l’aspect social que l’aspect environnemental.

 

Chapitre 5 : « Quelques lignes d’orientation et d’action »

 

Plusieurs niveaux sont à considérer :

                Le niveau des discussions internationales est mis en œuvre de puis maintenant 45 ans. Mais les résultats sont décevants, tant les intérêts des Etats sont divergents. Ce sont les plus pauvres qui font les frais de cet échec relatif. Il y a pourtant des problèmes qui en peuvent être traités qu’à ce niveau : protection des océans ou lutte contre le réchauffement climatique.

                Le niveau national est tout à fait capital, mais il est miné par le court-termisme des calculs politiques incessants. La société civile et ses organisations doivent exercer un contrôle effectif sur les pouvoirs pour que les choses puissent avancer.

                Le niveau local est le plus apte à voir des actiosn concrètes, et elles sont assez nombreuse et encourageante.

Quelques principes sont posés :

                La nécessité de la transparence t de la consultation de tous dans les processus de prise de décision.

                Le respect du « principe de précaution » ;

                Le dialogue entre la politique et l’économie est tout aussi obligatoire, sans que le politique ne se laisse dominer par la sphère économique. Le marché n’est pas le juge des décisions environnementales ou écologiques à prendre. Le mythe du progrès perpétuel doit être mis à bas.

                Il faut inventer un nouveau chemin de développement qui passe par un ralentissement et des secteurs de décroissance partielles.

                L’homme doit être au centre de toutes les réflexions.

                Les textes religieux et la foi ont à apporter leurs lumières dans ce débat.

 

 

Chapitre 6 : « Education et spiritualité écologique ».

 

Présentation par Jacques Perry & Alain Verborne

 

« Nous voila devant un défi éducatif qui inclut une critique des mythes de la modernité. Il oriente vers un équilibre, une citoyenneté écologique afin d’arriver à un style de vie.

Son développement nous redonne le sentiment de notre propre dignité.

 

Les supports éducatifs seront : l’école, la famille, les moyens de communication, la catéchèse . Dans ce contexte il est très important de prêter attention à l’environnement. Il devient nécessaire de s’arrêter pour observer, pour évaluer ce qui est beau.

 

La conversion écologique est un appel à une profonde conversion intérieure. Ainsi nous pourrons vivre la vocation de protecteur de l’œuvre de Dieu dans une existence vertueuse.

Les convictions de notre foi enrichiront le sens de cette conversion, en se rappelant que « au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » Génèse 1:1,  et de  »oui, c’est moi, l’Éternel, qui ai fait toutes choses. Moi seul j’ai déployé le ciel, j’ai étendu la terre, sans aucune aide. » Esaïe 44:24

Il est possible de vivre intensément dans la joie et dans la paix à travers les rencontres fraternelles, dans la musique dans l’art, dans le contact avec la nature, dans la prière. 

 

L’amour de la société et l’engagement pour le bien commun sont des formes excellentes de charité. Il faut revaloriser l’amour au niveau politique, économique, culturel. Cet amour social nous pousse à penser aux grandes stratégies à même d’arrêter efficacement la dégradation de l’environnement et promouvoir une culture protection

 

La contemplation est d’autant plus éminente que l’homme sent en lui même l’effet de la grâce divine et qu’il sait trouver Dieu dans les créatures extérieures. »

 

Le point 8 : « La reine de toute la création  ou l’humble servante »

 

Luc 1 : 48

 

Les deux prières de conclusion du livre

 

Prière pour notre terre

Dieu Tout-Puissant

qui es présent dans tout l’univers

et dans la plus petite de tes créatures,

Toi qui entoures de ta tendresse tout ce qui existe,

répands sur nous la force de ton amour pour que

nous protégions la vie et la beauté.

Inonde-nous de paix, pour que nous vivions

comme frères et soeurs

sans causer de dommages à personne.

O Dieu des pauvres,

aide-nous à secourir les abandonnés

et les oubliés de cette terre

qui valent tant à tes yeux. Guéris nos vies,

pour que nous soyons des protecteurs du monde

et non des prédateurs,

pour que nous semions la beauté

et non la pollution ni la destruction.

Touche les coeurs

de ceux qui cherchent seulement des profits

aux dépens de la terre et des pauvres.

Apprends-nous à découvrir

la valeur de chaque chose,

à contempler, émerveillés,

à reconnaître que nous sommes profondément unis

à toutes les créatures

sur notre chemin vers ta lumière infinie.

Merci parce que tu es avec nous tous les jours.

Soutiens-nous, nous t’en prions,

dans notre lutte pour la justice, l’amour et la paix.

 

 

Prière chrétienne avec la création

Nous te louons, Père, avec toutes tes créatures,

qui sont sorties de ta main puissante.

Elles sont tiennes, et sont remplies de ta présence

comme de ta tendresse.

Loué sois-Tu.

Fils de Dieu,Jésus,

toutes choses ont été créées par Toi.

Tu t’es formé dans le sein maternel de Marie,

Tu as fait partie de cette terre,

et Tu as regardé ce monde avec des yeux humains.

Aujourd’hui Tu es vivant en chaque créature

avec ta gloire de ressuscité.

Loué sois-Tu.

Esprit Saint, qui par ta lumière

orientes ce monde vers l’amour du Père

et accompagnes le gémissement de la création,

Tu vis aussi dans nos coeurs

pour nous inciter au bien. Loué sois-Tu.

O Dieu, Un et Trine,

communauté sublime d’amour infini,

apprends-nous à te contempler

dans la beauté de l’univers,

où tout nous parle de Toi.

Éveillé notre louange et notre gratitude

pour chaque être que Tu as créé.

Donne-nous la grâce

de nous sentir intimement unis à tout ce qui existe.

Dieu d’amour, montre-nous

notre place dans ce monde

comme instruments de ton affection

pour tous les êtres de cette terre,

parce qu’aucun n’est oublié de Toi.

Illumine les détenteurs du pouvoir et de l’argent

pour qu’ils se gardent du péché de l’indifférence,

aiment le bien commun, promeuvent les faibles,

et prennent soin de ce monde que nous habitons.

Les pauvres et la terre implorent:

Seigneur, saisis-nous

par ta puissance et ta lumière

pour protéger toute vie,

pour préparer un avenir meilleur,

pour que vienne

ton Règne de justice, de paix, d’amour et de beauté.

Loué sois-Tu. Amen.

 

Nous pouvons terminer par deux textes bibliques :

 

1 Corinthiens 13 :12

 

Apocalypse 21 :1

 

Qui résument l’attente des croyants, ce qui ne les empêche nullement de combattre pour cette écologie intégrale qui glorifie la création et en prend soin.

 

Jean-Michel Dauriac

 

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Une si jolie musique ! sur Franz Schubert – La musique au cœur Michele-Lhopiteau-Dorfeuille

Franz Schubert – La musique au cœur

Michele-Lhopiteau-Dorfeuille

Lormont, LE BORD DE L’EAU, 2019

206 pages, 33 €

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Une si jolie musique!

 

Franz Schubert est, pour beaucoup, réduit à être l’auteur de La truite, et encore dans sa version adaptée en chanson plus ou moins enfantine. Pour la plupart des mélomanes amateurs, sa musique de chambre en petites formations constitue l’essentiel de son œuvre. Schubert souffre, comme on dirait dans la novlangue de notre merveilleuse époque, d’un « déficit d’image ». Mozart, Bach ou l’incontournable Beethoven de cette année 2020 (année anniversaire !) sont des stars, pour des raisons diverses. Le dernier membre de ce quatuor, lui, est ramené à ce portrait très classique qui orne la couverture de l’essai que lui consacre Michèle Lhopiteau-Dorfeuille : un jeune homme aux cheveux bouclés et à la face sympathique, simplement barrée d’une fine paire de lunettes. De lui, il est retenu qu’il mourut encore plus jeune que Wolfgang et moins sourd que Beethoven. Une des trouvailles de l’auteur est de proposer d’ailleurs comme explication de la mort du compositeur la même piste qu’elle avait explorée pour Mozart : l’empoisonnement aux produits pseudo-médicaux à base de mercure. Alors pourquoi donc Schubert est-il finalement beaucoup moins connu que ses illustres confrères ? Citons l’auteur, dans sa conclusion :

 

« Car Schubert est de toute évidence un homme moderne : Bach avait son Dieu, Mozart et Beethoven, en bons fils des Lumières, leurs utopies et leur foi en l’humanité. Franz, malade et désargenté dans un pays ruiné, prisonnier d’une époque à tous points de vue réactionnaire et dont l’avenir illisible préfigurait singulièrement la nôtre, n’eut rien de tout cela. Et en cela il nous ressemble. » (page 194).

 

A la lecture de cet essai – je préfère ce terme à celui de biographie, en raison des choix de l’auteur -, on découvre pourquoi, effectivement Schubert est notre plus-contemporain, par rapport aux trois autres compositeurs évoqués.  Schubert est contemporain de l’Empire napoléonien et de ses guerres européennes, qui ont saigné une partie majeure de l’Europe, dont l’Autriche. Son époque marque le début de la fin (qui sera merveilleusement évoquée au plan romanesque par le grand écrivain Joseph Roth dans le dyptique La marche de Radetski et La crypte des capucins). Franz est essentiellement Viennois : Michèle Lhopiteau montre combien peu il voyagea, et pas très loin quand il le fit. Sa vie pourrait être sous-titrée « une histoire viennoise du début du XIXème siècle ». Sa vie ne met en évidence aucun fait saillant aucun scandale, aucun coup d’éclat. Il est le fils surdoué musicalement d’un directeur d’école, et lui-même débutera sa vie professionnelle en étant aide-instituteur, un boulot ingrat et mal payé qu’il n’aimait pas et abandonna dès qu’il le put. Voilà pour le portrait social superficiel. Mais  là n’est pas l’important.

 

L’important est que Franz Schubert est un génie de la composition. Ce qui a été clairement compris et dit par ses amis, et reconnu par ceux qui ont pu entendre sa musique. Car le problème principal est là. Schubert, à la différence du trio majeur évoqué plus haut, n’a pas eu      de mécène ou de protecteur , et sa musique n’a pas du tout obtenu l’audience qu’elle aurait mérité. Ajoutons à cela que le doux Franz n’est pas un animal de foire, virtuose dès l’enfance ou compositeur attitré, comme Mozart, Beethoven ou Bach. C’est là un des aspects passionnants de ce livre, de nous faire découvrir cette personnalité introvertie, que l’on qualifierait, aujourd’hui dans le cadre des mythologies de la réussite, de « loser ». Il n’a jamais su s’imposer, se pousser du col, ou simplement se signaler. Le résultat est impressionnant : sa musique, de son vivant ne fut jouée que dans des cercles restreints au sein desquels il évoluait. A l’exception d’un grand concert viennois organisé par ses amis, en 1828, jamais sa musique ne fut offerte au grand public.

Parler de Franz, c’est parler d’un cercle d’amis fidèles, qui l’accompagnèrent jusqu’à sa mort et même au-delà, se battant pour que sa musique soit jouée et reconnue à sa juste valeur.Très judicieusement, notre auteur débute son essai par un chapitre titré « La garde rapprochée » où elle brosse, par extraits de lettres et courtes notules biographiques le portrait de ce cénacle schubertien. On y voit donc que le compositeur a eu la chance d’avoir ces vrais fidèles autour de lui . Il est même assez vraisemblable de penser que s’il avait été seul, Franz Schubert aurait eu une petite vie terne et n’aurait peut-être pas créé tout ce qu’il a composé.  Car nous apprenons, entre autres choses, que Schubert n’eut jamais de domicile vraiment personnel, mais vécut chez autrui selon les circonstances, tantôt chez son père, son frère ou l’un  ou l’autre de ses bons compagnons. Car ceux-ci, bons viennois au fait de la musique de leur époque, avaient compris qu’il était vraiment génial et firent tout leur possible pour qu’il puisse composer et entendre se œuvres. Plusieurs étant de bons musiciens, montèrent des formations à cet effet. Un chanteur et une chanteuse de renom surent reconnaître la valeur de ses lieder et les firent connaître du mieux qu’ils le purent. Mais le bilan global des compositions jamais jouées ou seulement en cercle privé est impressionnant. Tout autant que la couardise (ontologique) des éditeurs qui refusèrent sa musique, soit parce qu’elle était trop complexe – ce qui était objectivement vrai -, soit parce qu’elle n’était pas connue (le serpent qui se mord la queue), soit simplement par paresse.  Bref, si Schubert eut un bel enterrement –que la famille paya longtemps après – suivi par de nombreux amis et connaissances, à l’inverse de Mozart (Michèle Lhopiteau a aussi expliqué pourquoi dans un livre précédent), il mourut comme « inconnu célèbre » au-delà de Vienne.

C’est finalement l’acharnement de ses amis qui permirent d’éviter l’oubli et la foi de certains musiciens, comme Félix Mendelssohn, pour le remettre à sa juste place. Mais même aujourd’hui, le Schubert connu des musiciens et mélomanes reste celui des lieder et de la musique de chambre.   Son œuvre religieuse et symphonique est mésestimée et méconnue. Ses opéras ne sont pas joués : mais là, il y a selon Michèle Lhopiteau, la raison objective de la faiblesse des livrets. Il y a encore une grosse marge de progression pour la reconnaissance de Franz Schubert.

A la lecture de cette chronique aura compris toute la richesse de ce livre, qui s’inscrit dans la continuité des trois autres (Mozart, Bach et Beethoven), que j’ai chroniqués en leur temps. Je dois ici redire le coup de génie qu’est le fait de joindre deux cd d’extraits à cette lecture. Ces extraits sont tous annoncés dans le texte, cela permet d’entendre aussitôt ce que l’auteur explique ou cite. Les plages sont dans l’ordre linéaire du texte. Mais, comme pour les précédents, ces deux disques peuvent s’écouter seuls, comme une sorte de best of de Schubert (ce que j’écris là est un crime pour l’amateur de musique classique !).

Mes remarques critiques porteront sur la forme et non sur le fond, auquel je n’ai rein trouvé à redire, l’information étant très sérieuse et l’expertise de Michèle Lhopiteau-Dorfeuille reconnue. Pourquoi ne pas mettre le lexique des formes et la chronologie de Schubert en fin de volume, comme cela se fait habituellement. C’est assez aride de débuter ainsi et le risque est soit que ce soit ignoré, soit que cela rebute le lecteur potentiel. Et il en faut peut, aujourd’hui, pour rebuter un lecteur, à l’ère du zapping qui n’épargne rien ni personne.  Quant au chapitre XV « Schubert et le septième art », qui est une excellente idée (celle de montrer l’étonnant succès de Schubert comme « auteur » de musique de films), il aurait sa place en annexe, comme je l’avais indiqué dans l’ouvrage sur Bach, à propos du chapitre sur les « baroqueux ». Il s’agit simplement d’une précaution formelle visant à ne pas rompre l’unité thématique du livre. Tout en préservant ce travail intéressant qui vient en complément du reste. Car, il faut dire cela pour terminer, Schubert, bien plus que Mozart, Bach ou Beethoven, est un génie de la mélodie pure et en a composé un nombre impressionnant (d’où son succès au cinéma), toutes plus belles les unes que les autres, ce que les deux disques permettent amplement de vérifier.

Ce Schubert vient donc enrichir la connaissance des mélomanes et l’oeuvre de Michèle Lhopiteau-Dorfeuille qui, discrètement mais sûrement, s’impose comme un auteur de premier plan en musicologie populaire – secteur déserté par les spécialistes, car le peuple est infâme et ne mérite pas de jouir des trésors de la bourgeoisie éclairée (c’était la phrase Gilets Jaunes du jour) -, comme le démontre aussi le succès de ses conférences de vulgarisation (de vulgus en latin, le peuple, beurk !), notamment à l’Université Populaire des Hauts de Garonne, où elle officie bénévolement depuis des années, pour partager sa passion de la musique avec tous.

 

Jean-Michel Dauriac

Président-Fondateur de l’Université Populaire des Hauts de Garonne et mélomane.

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« La foi est plus belle que Dieu » sur « La panthère des neiges » de Sylvain Tesson Gallimard , 2019 ; prix Renaudot2019

 

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Ecrire un livre sur l’attente, c’est à nouveau rédiger L’Arlésienne ou Le désert des Tartares. Vieille idée littéraire ou philosophique : l’attente éveille la réflexion, mais pas seulement elle . Tous nos sens peuvent se mettre en éveil, selon la nature de l’attente. Bien sûr ce n’est pas à l’arrêt d’autobus ou sur le quai de la gare que cela se passe. Cette attente-là est stérile, enchâssée dans la course folle de la vie des hommes ordinaires, réduits le plus souvent à l’état de bipèdes lobotomisés. Un bus ou un train ne portent aucune menace ou espérance ; au pire seront-ils bondés et l’entrée et le voyage seront pénibles, au mieux on pourra s’asseoir. Sylvain Tesson remplace d’ailleurs le terme par « affût », parfaitement adapté aux circonstances que narre ce livre.

 

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Le sujet est très cadré et dirait-on, squelettique : L’auteur est invité par un grand photographe animalier à l’accompagner au Tibet pour photographier la « panthère des neiges », appelée zoologiquement « Once ». L’expédition rassemble quatre personnes, Tesson, Munier (le photographe) et deux collaborateurs, Marie et Léo. Unité de Lieu : tout se passe dans l’univers semi-minéral des hauts plateaux tibétains, entre 4600 m et 6000 m pour les monts qui encadrent le vaste plateau du Tchang Tang. Unité de temps : l’affût est la mesure unique de ce récit ; peu importe les jours et les nuits. Unité d’action enfin : le seul but de tout ce qui est fait est d’observer cette panthère zonale, en voie d’extinction sous le feu de la contrebande pour sa fourrure. Car nous sommes bien dans une tragédie, mais pas celle qui va se conclure par la mort de l’héroïne – ici l’animal -, comme dans le modèle grec ou cornélien. Ici la tragédie est le simple déroulement de la vie, au sens du bios, dans un espace quasiment préservé des nuisances civilisationnelles actuelles par la rudesse de son climat et la pauvreté apparente de ses ressources. Il y a les chasseurs, les proies et les parasites du système : toute la métaphore de notre humanité. Et c’est là que réside la véritable tragédie dont parle ce livre : l’être humain est le grand destructeur de l’ordre  biologique du monde, l’artisan de la sixième extinction des espèces, observée, quantifiée et annoncée dans un avenir tout proche. Nous vivons, indifférents ou impuissants, au milieu de ce carnage dont nous ne pouvons nous laver les mains. L’appât du gain escalade aussi les pentes du Tibet et rend la survie de l’once très incertaine, malgré des mesures de protections chinoises tardives et purement formelles. Là, durant deux ou trois semaines (je n’ai pas réussi a vraiment faire le compte en lisant l’ouvrage), Tesson va vivre une expérience unique, lui qui, pourtant, s’est mis souvent en situation d’en vivre beaucoup.

 

Expérience de l’affût, avec toute sa conséquence intérieure. Observer sans répit une portion de vallon himalayen, à travers des jumelles ou une lunette, pour espérer apercevoir cet animal insaisissable. Voici qui vide le cerveau des futilités d’en bas et ramène à l’os de l’esprit humain. Pour Tesson, il s’agira à la fois de songer à sa mère brutalement disparue et à un amour perdu. Le milieu géographique et géologique n’accorde aucune distraction. Géométrie et minéralité scandent le paysage. Une neige rare couvre les sommets, des torrents ravinent les flancs de montagne, une herbe rare et stoïque ourle les pentes les plus basses et les moins froides. Le vent ou la course des troupeaux soulève une poussière d’érosion vielle de quelques millions d’années, selon la stratigraphie actuelle. Impossible de distraire sa pensée par le paysage ; lui aussi est à l’os. Il faut bien alors affronter ses démons intérieurs, si l’on en a.  Là-haut, le mode de vie d’en bas, celui que nous mettons en œuvre, chacun pour notre part, de gré ou de force, apparaît comme ce qu’il est : insensé et suicidaire. L’homme, peu doué pour la survie en milieu naturel, a peu à peu artificialisé l’oekoumène – et touristifié le reste – tout en éliminant les prédateurs historiques de l’homo sapiens. Il fonce tout droit vers une catastrophe générale, drogué à l’illusion technicienne. Les hauteurs du toit du monde ramènent au réel : la vie est un équilibre fragile où chaque espèce joue son rôle ; seul l’homme a refusé de tenir le sien. Est-ce la faute des chrétiens, des savants, des ingénieurs ? Au point de non-retour où nous en sommes cela n’a plus guère d’importance.

 

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La panthère des neiges résiste avec ses moyens : son osmose avec un milieu hostile, son art du camouflage et une prudence sensorielle à toute épreuve. La voir est un moment exceptionnel, une apothéose rare. C’est pour cela que Munier a fait le voyage et qu’il est prêt à rester des heures en affût, dans un air à -20 ou -30°C.

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Munier est le véritable héros de ce livre. Par petites touches, Tesson nous en dresse un portrait touchant. Mais sans pathos. Munier n’est pas un desperado ou une victime de notre monde qu’il fuirait. Il est un homme qui vit avec une ouverture au monde qui y inclut toute la faune et remet l’homme à sa (juste) place. Comme tous les sages, il parle peu, sauf quand il s’agit de nommer et décrire un animal. Photographier l’animal c’est de l’anti-chasse. Lui traque la présence de la vie non humaine jusque dans la bruyante fête foraine de la grande ville chinoise de Chengdu où ils se promènent la veille de leur retour en France. Il aperçoit une chouette dans le vacarme du ciel illuminé; un peu plus tard, ayant fui le bruit et la luminescence, il observe la lune. A côté de lui se trouve une femme qui l’aime et le comprend, Marie, qui l’assiste et l’accompagne dans ses campagnes. Se le sont-ils dit ou se contentent-ils de vivre leur bonheur d’être ensemble ? Nous n’en saurons rien. Ce qui les unit est le même amour des animaux et leur compréhension. Faut-il aller plus loin ?

 

Verront-ils la panthère ou seront-ils comme le héros de Buzzati ou le « trop vieux général » Zangra de la chanson éponyme de Jacques Brel, qui espèrent l’ennemi et ne sont plus là quand il vient ? Selon la logique de Munier On pourrait le croire durant toute la première partie du livre, quand ils contemplent les yacks, les vautours et les loups. Puis ils trouvent le vallon miraculeux, celui où elle doit,  selon la logique de Munier, apparaître. Tesson, qui n’oublie jamais qu’il fut d’abord formé en géographie, a dessiné deux cartes manuelles au début du livre. Le lecteur s’y référera souvent pour mieux comprendre le récit. Ce vallon court, parcouru par un petit affluent du Mékong naissant, offre des points d’observation stratégiques. Dans le froid glacial d’une grotte ou sur le replat d’un talus, ils espèrent ; car l’attente est ici chargée d’une espérance : la panthère existe et elle fréquente cette région, donc ils peuvent la voir. Et ils vont la voir ! L’épiphanie aura lieu à trois reprises, sous trois angles et à trois distances différentes. A cette occasion, Sylvain Tesson comprend combien l’attention est importante et mobilise toute notre concentration. Il ne s’agit pas de regarder, mais de scruter le terrain, de se détacher de nos apprentissages culturels qui focalisent sur un premier plan et ignorent le reste. Il faut retrouver la pureté du regard des enfants, comme ceux des fils du berger nomade, qui du premier coup d’oeil ont vu a panthère là où le commun ne voit que le rapace du premier plan ; Retrouver ce regard est en quelque sorte renaître a soi-même dans sa relation au monde. Le symboliste comprendra que cette histoire a aussi un sens spirituel qui dénonce nos regards étroits et dominateurs.

 

Avant de repartir, Munier veut aller voir les sources du Mékong, ce fleuve-vie de toute l’Asie Moyenne, qui sur 5000 km court des monts Kunlun à son delta indochinois. Tout là-haut, il n’est qu’une micro-source prise par la glace et un torrent qui ne suinte que deux heures par jour en raison du froid. C’est l’occasion pour Tesson de délivrer une double leçon – sans aucun ton professoral mais au sens sapiential – sur le fleuve et sur sa symbolique pour nos sociétés.

 

Dans ce livre, Tesson poursuit sa vocation d’écrivain-voyageur. Mais il me semble qu’il y a un infléchissement net depuis son terrible accident et sa « gueule cassée ». Les chemins noirs étaient déjà empreints d’une gravité que les livres d’ « avant » ne m’avaient pas offerte. L’homme a vieilli, il a côtoyé la mort et la douleur : on n’en sort pas indemne. Dans le même temps, je trouve aussi que son style a acquis une plus grande qualité littéraire ; il ose le lyrisme, chose qu’il faisait du bout du stylo, presque par effraction autrefois. Ce livre est un fort beau texte. Je suis d’avis qu’il faut le mettre dans tous les CDI de France, et que les professeurs de lettres s’en emparent. Pas la peine de le conseiller aux lecteurs, Tesson a maintenant un public large et fidèle qui le suit. C’est amplement mérité.

 

Mériadec – Jean-Michel Dauriac – le 26 décembre 2019,

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